Saul Williams & Mike Ladd + Tortoise @ Festival Sons d’Hiver - Maison des Arts et de la Culture (Créteil)

le 23/02/2013

Diaporama © Le Crapaud pour indierockmag.com
Saul Williams et Mike Ladd Saul Williams et Mike Ladd saluent Tortoise - quelques invités Tortoise - section rythmique avec en guest J.T. Bates Tortoise - le Cercle Froid... Tortoise au salut

Saul William & Mike Ladd + Tortoise @ Festival Sons d’Hiver - Maison des Arts et de la Culture (Créteil)

C’était la soirée que j’attendais avec le plus d’impatience. Ça semblait même pas croyable de voir réunis autant de talents dans une seule soirée. Objectivement, c’était aussi l’affiche la plus moderne de la programmation de Sons d’Hiver. Ça promettait du lourd... Peut-être trop justement...

Dans l’espace gigantesque de la Grande Salle du MAC, Saul Williams est entré sobrement. En avant-scène, sans micro, il a entamé un speech rythmé a cappella comme on l’a vu faire maintes fois, avec toujours autant de talent, de finesse et de bon goût. J’entrave pas grand-chose. Je regrette ces longues heures durant lesquelles une prof tentait d’enseigner la langue de Shakespeare à des demeurés armés de sarbacanes dont j’étais le chef de guerre... (j’expie en me mordant la clavicule inférieure gauche). Heureusement, au-delà de la sémantique, on peut prendre plaisir à entendre le poète écouler son flow. Le choix des mots pour la qualité sonore de leur juxtaposition n’en est que plus prégnant. Mike Ladd vient ensuite et, toujours sans beat, continue le propos. Un peu hésitant au début, avec une antisèche à la main, on comprend que l’idée venait de l’autre et que le dialogue des deux artistes provient d’un projet récent. Passé cette ouverture théâtrale classieuse, les deux rappeurs alternent : quand l’un est au micro, l’autre est aux machines. L’alternance rend manifeste la différence entre les deux types de flow. Pour Williams, c’est l’école du slam dans ce qu’elle a de plus élégant (c’eut été utile que nos fiertés françaises – Grand Corps Malade et autre Abd Al Malik – fussent venues prendre une petite leçon auprès de ce grand monsieur, cela aurait peut-être permis de les faire taire un moment...), la beauté du langage poétique dans une bouche hargneuse. Pour Ladd, il y a aussi le slam à l’origine, puis l’influence de l’avant-garde new-yorkaise (Antipop Consortium, par exemple) qui ont formé son écriture narrative et son débit efficace. Avec un coffre étonnant, il lui prend de chanter ses refrains et ça fonctionne pas mal. Il assurait le show hip-hop, avec déambulation scénique le mic à la main. Williams jouait le rôle de l’intello. Au pied du micro qu’ils partageaient, devant leurs machines, il avait entreposé plusieurs livres qu’il venait ouvrir au gré des instrus et dont il lisait en rythme quelques lignes choisies. Le résultat de ce dispositif périlleux fut mitigé, il y eut de beaux moments de poésie « lyrique » et d’autres plus douteux... Quand le show se conclut, on restait un peu sur notre faim, regrettant qu’ils n’aient pas plus mobilisé leur répertoire respectif... Et quant aux beats, qu’ils semblaient avoir produits « sur le vif », ça n’avait pas toujours été très réussi et ça avait souvent manqué de puissance.

Entracte. On boit une bière en pesant le pour et le contre. On a conscience d’avoir assisté à un show unique mais chacun avait pu constater que le projet était peut-être encore très frais et qu’il manquait de maîtrise, pas au niveau des flows bien sûr qui étaient parfaits, mais plus par rapport à l’alternance des deux voix, des machines, à la répartition des rôles et à l’aspect improvisé des instrus. (Ha oui, au fait, pour l’anecdote, Saul Williams a tenté une interprétation en français à peine assumée du Requiem pour un con de Gainsbourg, d’une fébrilité touchante. Idée marrante.)

On retourne se caler dans les fauteuils de la grande salle. On trouve une bonne place, bonne visibilité sur... Quoi ? Deux batteries ? Oh putain génial ! On va en prendre plein la gueule. Bon, là, ça devenait vraiment sérieux. Il y avait Tortoise certes et ça paraissait déjà énorme, mais avec eux sur scène, une palanquée d’invités. Six au total. Parmi ceux-ci, je reconnais Julien Desprez, un guitariste au jeu strictement noise, que j’avais croisé lors d’une soirée Coax au Cirque électrique, avec son groupe DDJ. Et à la flûte Nicole Mitchell, qui était déjà présente au côté de Denis Fournier et de son projet Watershed le dimanche précédent. L’ensemble forme un arc de cercle sur la scène avec un grand espace vide au milieu où se dresse un micro qui attendra, jusqu’à la fin du concert, qu’on vienne y déposer une voix...

D’après mon pote, quand le concert fut fini, ce vide pouvait compter comme une métaphore de leur prestation. Bon, c’était un jugement radical, à chaud, forcément exagéré, n’empêche qu’il avait mis le doigt sur quelque chose, ce connard... Il y avait bien eu un vide lors de ce concert, c’était celui de nos attentes qui n’avaient pas été comblées... Oui, j’ai le regret de le dire, et de l’avoir vécu, ce concert était décevant. En fait, comme on avait placé en lui tous nos espoirs, on avait peut-être fantasmé un show qui, de toutes façons, n’avait pas prévu de se réaliser tel. Il s’agissait d’une création. Du coup, pas de morceau de Tortoise à l’horizon. Des thèmes qui leur ressemblent certes, des intentions qui sont les leurs, mais pas de compositions déjà entendues. Par exemple, rien de leur dernier album qui est pourtant si bon ! Cela a tourné autour d’un free-jazz (les deux batteurs en roues libres) progressif (morceau d’ouverture, au moins dix minutes, tout en crescendo, puissant), parfois noise (un trop court dialogue bruitiste entre Julien Desprez et John McEntire, aux machines) et d’autres fois flirtant avec l’avant-garde contemporaine, notamment lors d’une dernière plage sonore typiquement minimaliste. Ils ont opté pour une formule jazz où chacun avait son petit moment pour développer son solo au détriment d’un grand spectacle rock où l’énergie aurait primé.

Musicalement, l’ensemble était d’une qualité incomparable, mais le problème était le froid qu’ils avaient instauré entre eux et dans le public. Il s’est particulièrement ressenti au moment du salut, quand le groupe est rapidement revenu et n’a daigné se pencher qu’une fois, puis s’en est allé sans un regard pour ses admirateurs, avec quelques vagues signes de la main en guise de bonsoir...

Rarement connu pour un concert une si profonde frustration.


Le concert de Tortoise est visionnable en intégralité sur Arte Live Web.


( Le Crapaud )

 


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