Live Report : Centenaire + Orval Carlos Sibelius - Espace B (Paris)

Sorti en novembre 2014, Somewhere Safe est un album qui est malheureusement passé inaperçu chez nous, ne bénéficiant d’aucun avis, ni d’une place dans le top mensuel, et pourtant, c’est peut-être l’un des meilleurs disques de l’année. Privé de son chanteur, Orval Carlos Sibelius, parti faire sa vie en solo, le désormais trio (Damien Mingus de My Jazzy Child, Stéphane Laporte alias Domotic et membre d’Egyptology, et Aurélien Potier) est sorti du couvent duveteux où il avait confectionné ses deux premiers albums pour faire briller sur les murs d’un garage de béton les sonorités granuleuses de leurs nouvelles compositions. Un album d’une fraicheur noise qu’on était content d’aller retrouver sur scène ce 30 janvier dernier.

Si l’on pouvait s’attendre à la venue d’un trio, on pouvait s’étonner de voir Orval Carlos Sibelius accolé au nom de son ancien groupe à l’affiche. C’était donc 2 pour le prix d’1 ! Centenaire, certes, avec son nouvel album qu’on était impatient d’entendre dans une formule live, et maintenant, Orval Carlos Sibelius en solo qui, depuis la sortie de son album en 2013 a gagné un succès d’estime bien au-delà de la sphère underground. On ne boude pas notre chance !

Ce n’est pourtant pas Super Forma que celui-ci est venu défendre, mais un spectacle créé lors du dernier Festival International du Film de La Rochelle. Basé sur le film Les rendez-vous du diable de Haroun Tazieff (1959), ce ciné-concert proposé par l’ancien chanteur de Centenaire, accompagné par la claviériste Karine Larivet, co-compositrice, avait pour grande originalité d’être sans ciné. Il s’agissait donc de la musique mise à nue, dépouillée de son caractère de suppléance et devenue personnage principal. Une musique contemplative, toute en nappes languissantes et arpèges phosphorescents. Des grandes vagues psychédéliques déferlent, des geysers de frisson, une tectonique d’accords plaqués au service d’une image absente, mais supposée : un ciné-concert intérieur !




Entre les vieux orgues aux sonorités catchy et les échos à bandes magnétiques, Orval Carlos Sibelius a choisi d’entreprendre une construction artisanale, presque bio, pour mieux rendre compte de l’extase du cinéaste dans la sauvagerie des territoires qu’il traverse. Parcimonieusement, une boite à rythme, souvent, la guitare, de la mélancolie, de la colère, les variations de ce voyage sonore esquissent les reliefs terrifiants qu’a gravis Tazieff. Loin des images, on se représente un vieux Cronenberg : la mutation d’un homme en insecte ou des cerveaux qui explosent par la seule force de l’esprit...

Cette création devrait voir le jour sous la forme d’un disque bientôt. On l’attend de pied ferme !


Une expérience immersive convaincante.

Sur son dernier album, Centenaire part à la conquête de l’espace, ou plutôt d’un espace, d’un endroit sain, calme, apaisé. Mais cette quête de quiétude s’effectue à travers une lutte des contraires, un affrontement sanglant où il faut rivaliser de finesse pour sortir vainqueur. C’est ce combat intense entre la beauté lisse des cieux statiques et l’inesthétique colère du magma terrestre que les musiciens de Centenaire ont représenté dans Somewhere Safe, en faisant dialoguer mélodies pop et dissonances électriques, harmonies fluides et percussions rocailleuses. Un album par conséquent tendu, rugueux, sauvage, mais aussi ouvert vers un ailleurs élégant, harmonieux où les contraires sont réconciliés et s’étreignent en une danse jouissive.




À l’image de Where to Go, qui décolle à l’occasion d’un refrain léger ou de Somewhere Safe, qui s’ouvre sur une accroche pop et progresse vers une issue obscure, ou encore avec When It All Fell Down, et sa mélodie dégingandée que l’orgue emmène dans une ascension vertigineuse, la musique de Centenaire ne se contente pas de creuser un sillon évident. Depuis leurs débuts teintés de folk et de psychédélisme, ils en sont arrivés à produire ce que d’aucuns appellent du kraut-prog. Difficile à dire. Les traits marquants de ces styles n’apparaissent pas nettement. Mais c’est un gage d’originalité et d’authenticité dont le trio n’a pas à rougir. Leur rock (car c’est encore du rock, si ce n’est du post-quelque chose) est animé d’une vie réelle. Là où d’autres se contentent de l’ersatz, d’une puissance accomplie dont ne restent actifs que des échos diminués, Centenaire fait progresser son monde, le bouscule, et prend des risques.

Le psychédélisme est peut-être la plus évidente trace de leur vie antérieure. Un psychédélisme qui traverse le tricot des guitares, le canevas des orgues et les hypnotiques percussions, ou encore les airs de chant chargés de reverb, comme ceux qui surplombent Maps Can’t Be Wrong ou l’on croirait reconnaitre le fantôme de Syd Barrett.
Si la musique de Centenaire paraît en constante évolution, chaque étape de cette évolution se cristallise dans un album au contenu homogène. Une cohérence qui se manifeste d’autant plus en live. Le son à la fois humble et puissant de Somewhere Safe s’y trouve restitué avec une exigence d’identité qui manifeste le soin accordé par le trio à l’acoustique de ses instruments :

Une guitare sonorisée comme dans le garage de papa par un montage d’amplis vintage (une idée de papa bricoleur sans doute). Pour un résultat excellent. Le son est hors pair, tantôt mordant ou caressant, il rappelle la noise 90’s ou le prog-rock 70’s, tout en s’en démarquant par sa texture inédite, mise au premier plan sur l’album comme sur scène. L’éruption noise grandiose qui se décharge à la fin de The truth about those who pretend to be your friends est une preuve de cette sonorité sans égale.

Le dispositif réduit de la batterie (un gros tom, un tambourin et deux cymbales) est par ailleurs ce qui rapproche le plus évidemment la musique de Centenaire de ce qu’on appelle kraut-rock. Car cette restriction impose un jeu minimaliste, répétitif, tribal. Une limite dont on peut se satisfaire, tant elle s’accorde à l’efficacité et, là aussi, au timbre de l’instrument.

L’orgue enfin et la voix de Damien Mingus finissent d’authentifier de façon irréductible cet ensemble pittoresque. Avec ses courts motifs mélodiques lumineux et ses accords plaqués épais, le clavier joue les rôles d’accompagnements et de dorures avec une élégance indescriptible. Quant à la voix, plutôt monotone, elle sait se faire simple pour mieux se démarquer lors de rares moments d’envolés.

Orval Carlos Sibelius, invité sur un morceau à produire quelques percussions fait là une apparition dispensable.

Finalement, une prestation haut de gamme dont on regrette la concision. On aurait aimé voir le trio remonter sur les planches pour un rappel... avec Inside War, par exemple, qu’on imagine compliqué pour eux par rapport au total changement d’instrument qu’il implique, mais qui eut donné l’occasion d’un finale merveilleux !


Articles - 12.02.2015 par Le Crapaud
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