IRM Expr6ss #34 - coups de coeur expé de novembre 2025, part 2 : Christophe Bailleau O’Farrell, Dufourd & Demoulin, Mark Fell & Pat Thomas, Kingbastard, SML, Wahn

Pendant que les habituels éjaculateurs précoces de la blogosphère ricaine bouclaient leurs bilans annuels de lemmings malentendants (à l’heure où l’on écrit ces lignes, The Quietus, Past Magazine, Pitchfork et Rolling Stone ont déjà lâché la sauce et souillé le tapis), on continuait d’explorer tranquillement les merveilles singulières d’un mois de novembre particulièrement bien achalandé en la matière (cf. ici). Oubliez Los Thuthanaka (déjà en haut de plusieurs de ces listes taillées pour cocher toutes les cases chères aux hipsters queer altermondialistes) et leur bouillasse latine sursaturée produite avec les pieds, on va parler de vraie musique expérimentale, pas de cumbia cheap passée aléatoirement à la pédale d’effets. À bon entendeur.




- Christophe Bailleau O’Farrell - A Version Of Yourself Always Surpasses Death (Obliqu3, 5/11)

Déjà auteur de l’un des sommets musicaux de l’année (Insight and Vision, inclus parmi nos albums du premier trimestre) et de plusieurs beaux EPs en 2025, Christophe Bailleau réitère avec un disque émaillé de collaborations comme l’était l’immense Shooting Stars Can Last il y a trois ans, et nettement moins opaque, plus facile d’accès que le précédent. Souvent construit sur des motifs plus épurés, qu’ils soient purement électroniques (Libellule, Le Nouveau Vertige) ou semi-acoustiques (TOPY A TOPY), A Version Of Yourself Always Surpasses Death regorge d’éclats de lyrisme (Tardigrade) et de confrontations ludiques avec une certaine idée du kitsch (Braudi Maudi) voire les deux à la fois (l’aérien It Was The Future, rencontre aussi fascinante qu’improbable entre Air et Grails), un peu comme si le musicien avait voulu nous livrer sa version très personnelle de l’hyperpop, épique et méditative (cf. Hodus ou Sainte Clave), définitivement plus élégante et aventureuse que celle plébiscitée par le genre de publications dont on vous parlait en introduction de cet article.



- Dufourd & Demoulin - Microchimères (Three:four Records, 21/11)

Dans la foulée du bel album cristallin de son nouveau projet Forest Dweller chroniqué ici, Julien Demoulin retrouve son compère du très évocateur - et particulièrement fameux - Entre Chien et Loup de 2022, Frédéric Dufourd, pour une nouvelle échappée à quatre mains. Si ce Microchimères s’avère moins cinématographique et moins fortement contrasté que son aventureux prédécesseur, plus léger aussi peut-être avec davantage de ritournelles électro-acoustiques (Sans Moi, Célestine), les deux Français s’y révèlent toujours aussi talentueux pour déployer leurs atmosphères oniriques et immersives (Hors-Sol, En Suspens) aux rêves parfois troublés (Le Ciel En Nous, ou Ville Étang avec son ballet de voix abstraites), et continuent sans relâche leurs explorations aux confins du sommeil et de l’éveil, flirtant cette fois avec le jazz et le slowcore (Finir Par Avancer) ou encore la folktronica (Tout Refaire).



- Mark Fell & Pat Thomas - Reality Is Not A Theory (Black Truffle, 21/11)

Chantre au sein du duo SND comme en solo, du côté des labels Mille Plateaux, Raster-Noton ou Editions Mego, d’une musique électronique microtonale et déstructurée aux abstractions lorgnant sur le glitch, le Britannique Mark Fell s’est associé le temps d’un concert à son compatriote Pat Thomas, vétéran toujours ultra-productif de l’expérimentation jazz/électronique au piano. Découpé en deux longues pistes d’une grosse vingtaine de minutes chacune, le résultat, atonal et heurté, tantôt solennel et hanté (set two, part one) ou plus libertaire et chaotique (set two, part two), fait honneur au sous-titre de l’enregistrement : "algorithmic and improvised music for computer and piano".



- Kingbastard - I’m Sorry, I Thought I Was Someone Else... (Odd John Records, 21/11)

Après p o p u p s et l’EP Wrong’uns. en octobre, Chris Weeks ne nous aura pas fait attendre bien longtemps. Une volonté, probablement, de célébrer en fanfare les 20 ans de cet insaisissable et passionnant projet électronique, puisqu’une fois de plus I’m Sorry, I Thought I Was Someone Else... refuse de choisir et fait feu de tout bois dans l’esprit schizophrène de son titre, sautillant du downtempo lo-fi au psychédélisme saturé, de l’ambient fantasmagorique à la techno stellaire. Bénéficiant toujours de cette sensation de spontanéité typique de l’improvisation analogique, ce nouvel opus est avant tout remarquable pour le soin tout particulier apporté aux textures, lesquelles par leur crépitante instabilité, leur tendance à la désagrégation voire à la décrépitude, servent de parfait liant à ces différentes dynamiques et inspirations.



- SML - How You Been (International Anthem, 7/11)

À peine plus d’un an après la sortie de l’extraterrestre Small Medium Large dont les métissages jazz kosmische évoquaient le groove futuriste du Tortoise de Standards, on retrouve le même quintette autour de la bassiste Anna Butterss, de Jeremiah Chiu aux synthés et de Josh Johnson du Chicago Underground Quartet au sax et à l’électronique. S’éloignant encore davantage des codes du jazz ou de ce qu’il en reste, surtout en début d’album, How You Been est à l’image de sa pochette : ludique, abstrait, coloré et riche en textures héréroclites, lesquelles se télescopent allégrement au sein d’un grand patchwork de motifs composites et mouvants traversant les genres et les époques, y compris une certaine dimension kitsch revenue tout droit des années 80 (Taking out the Trash, Stepping In / The Loop, ou un morceau-titre très Talking Heads). Des sonorités anachroniques (de boîtes à rythmes notamment) qui contrastent d’autant mieux avec les incursions ambient psyché (Plankton, Brood Board SHROOM) de ce fascinant oxymore musical, par ailleurs souvent méditatif et organique.



- Wahn - Drifted Vol. 4 (Form@ Records, 25/11)

Drifted Vol. 3 est encore tout chaud que l’on peut déjà goûter à la suite, et le moins que l’on puisse dire c’est que l’on n’attendait pas un tel changement de braquet, surtout au regard de la dynamique claire-obscure et cardiaque du précédent volet. Après les beats électroniques plus saillants du premier opus et l’impressionnisme au feeling presque modern classical du second, c’est cette fois la tonalité globalement sombre de la série qui s’efface, par moments du moins, au profit de passages beaucoup plus élégiaques et rêveurs, à l’image de l’introductif Echoes of the Long Night tout en arpeggiators ascensionnels et en pads cristallins, ou de l’éthéré Sorry. Toujours présentes par intermittence, les incursions dark se font quant à elles plus posées, toujours denses mais riches en respirations et en motifs évanescents (Silent Guardian, The Quiet Stalker), et les rares véritables rythmiques résolument downtempo (Where we were, Pale Lake). Peut-être le plus bel album de la quadrilogie du musicien rennais, ce qui en dit long au regard de nos coups de coeur pour ses prédécesseurs !


Articles - 03.12.2025 par RabbitInYourHeadlights
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