Orouni, songwriter en herbe

On ne remerciera jamais assez Orouni d’avoir choisi de se jeter à l’eau plutôt que par la fenêtre pour nous éclairer un peu sur l’univers de son deuxième album Jump Out The Window (lire notre chronique). Car depuis la sortie il y a quelques semaines à peine de ce petit classique instantané de songwriting pop, le musicien parisien n’en finit plus de faire tourner les têtes malgré (ou peut-être grâce à) sa discrétion et son humilité, au point même de se retrouver deuxième de notre classement de septembre, plébiscité à la surprise générale par les votants du forum en ce mois pourtant surchargé en sorties attendues. Pour ceux qui n’auraient pas encore en leur possession Jump Out The Window, Orouni et Indierockmag vous propose d’en gagner cinq exemplaires par l’intermédiaire d’un petit concours. Et comme on ne fait pas les choses à moitié, Orouni sera également notre invité prochainement pour une carte blanche spéciale sur la webradio IRM. Mais ça on vous en reparle très vite...

Indierockmag : Quel a été ton premier contact avec la musique ? As-tu été bercé très tôt par celle qu’écoutaient tes parents par exemple ou est-ce que tu y es venu sur le tard ?

Orouni : J’y suis venu assez tard. Et j’ai commencé par les Beatles, Bob Dylan, Simon & Garfunkel, que ce soit par des amis ou les disques de mes parents. C’est venu assez tard en tant qu’acte volontaire de ma part, je veux dire, car il y avait toujours de la musique dans la voiture, dans la maison, mais ce n’était jamais moi qui la passais ou la choisissais. Vers le milieu de l’adolescence, c’est devenu quelque chose de conscient, j’ai commencé à écouter des choses par moi-même, à acheter des disques, à en échanger. Mais pendant assez longtemps la musique n’était vraiment pas essentielle pour moi.

As-tu été surpris de l’accueil très positif de ton premier album A Matter Of Scale, notamment sur certains blogs américains comme Said The Gramophone ?

J’aurais bien aimé que Said the Gramophone parle de l’album ! Il n’a pas posté de chansons d’ A Matter Of Scale à proprement parler, puisque ça a commencé avec The Perfume Conspiracy feat. Mina Tindle. Le jour où j’ai vu ça, j’ai cru que j’allais m’évanouir. J’aime beaucoup ce blog, le fait d’y être était assez incroyable.

Et sinon, l’accueil positif de l’album sur le web m’a fait très plaisir, oui bien sûr. J’ai toujours beaucoup de mal à dire si les choses que je fais sont réussies ou non. J’ai des préférences personnelles, mais elles ne correspondent pas toujours aux tendances générales qui se dessinent. Et puis des fois, tout simplement, les gens trouvent ça nul. Par exemple, j’ai toujours bien aimé la chanson Bee Flat sur mon premier album, mais à part quelques hurluberlus notoires, les gens n’ont pas vraiment accroché, je pense. Je trouve ça intéressant.

Le titre de ton nouvel album Jump Out The Window tu vois ça plutôt comme un geste désespéré ou une libération ?

Les deux. Si quelqu’un se jette par la fenêtre, c’est parce qu’il est désespéré. Mais s’il le fait, c’est aussi parce qu’il pense que ça peut le libérer d’un poids trop lourd. Donc c’est assez ambivalent, un peu comme le suicide en fait. En plus de ça, il y a le côté "mise en scène", ce qui rend le tout assez fascinant, même si c’est un peu morbide.

Les chansons de Jump Out The Window ont des constructions très pop, est-ce une orientation que tu voulais donner à tes chansons dès le départ ou cela s’est-il fait spontanément ?

Pour faire simple, on peut dire que j’ai une sensibilité pop beaucoup plus que folk ou rock, donc je lui ai simplement donné libre cours, et cet album est né. Il y a aussi eu des choses un peu plus réfléchies ou travaillées : par exemple, un des mes modèles en pop est Toy Fight, et sur The Tyrant’s Yoke je voulais (modestement) leur rendre hommage, notamment dans l’utilisation des claviers. C’est quelque chose que j’avais assez peu fait, d’empiler des claviers comme ça. Et j’aime aussi la façon dont les chansons de ce groupe regardent droit devant, avec une rythmique qui trace. La première fois que j’ai fait écouter cette chanson à David (de Toy Fight), il ne l’a pas trop aimée, ce qui montre que j’ai quand même réussi à bien saboter leur boulot. Sur ce morceau j’ai aussi eu l’impression de jouer une guitare rythmique à la Kinks, qui sont pour moi un autre modèle de pop. Et pour la petite histoire, David a fini par bien aimer la chanson.

Le fait de te faire accompagner au chant par une voix féminine sur pas mal de titres c’est aussi un choix prémédité ?

Avant même de commencer à chanter, j’ai pris conscience des limites de ma voix. En plus de ça, je pense qu’une certaine monotonie peut naître simplement à cause de la présence continue d’une même voix sur plusieurs chansons. J’avais donc vraiment envie de renouveler/diversifier ça, et à force d’écouter Leonard Cohen, je m’étais aussi dit que ça pouvait être la classe d’être accompagné par une voix féminine. Enfin, quand on connaît la qualité du chant de Mina Tindle et Mlie, c’était forcé que je leur demande de chanter sur des morceaux !

Tu dévoiles une nouvelle facette de ton talent sur The Only Pictures I’ve Got, qui met en avant des arrangements de cordes dépouillés mais particulièrement ciselés alors que tu nous avait plutôt habitués jusqu’ici à un son paradoxalement "brut de décoffrage" malgré sa douceur, une impression de première prise si l’on peut dire, avec des arrangements toujours discrets, au second plan. Ce côté moins immédiat transparaît également sur un morceau comme Stomach Attack, particulièrement luxuriant dans ses arrangements. As-tu déjà fait, comme Neil Hannon à l’époque de Liberation, ce rêve de pouvoir enregistrer avec un orchestre pour habiller davantage tes morceaux ?

Plus que d’un orchestre, j’aimerais pouvoir passer une journée ou deux avec chaque instrumentiste qui le compose, car je préfère largement la spécificité, dans les arrangements. J’aime rarement l’ambiance des chansons enregistrées avec un grand orchestre, je trouve que ça fait un peu chantilly, on entend une sorte de masse informe et on ne distingue plus vraiment les instruments. Et puis ça fait un peu prétentieux. Des morceaux que je trouve très réussis au niveau de l’orchestration sont par exemple For No One des Beatles avec son solo de cor d’harmonie (arrêtez-moi si je me trompe, mais c’est ce que j’ai trouvé comme traduction de french horn), Ruby Tuesday des Rolling Stones avec sa flûte, ou Two Sisters des Kinks avec son clavecin. Et honnêtement, je ne suis pas sûr que j’aurais préféré avoir contrebasse, alto et violon sur The Only Pictures I’ve Got (sans parler des autres instruments de l’orchestre). Car Emma a vraiment utilisé toute la tessiture de son violoncelle, des notes les plus graves aux notes les plus hautes, et c’est ce travail qui est intéressant je trouve, triturer à fond l’instrument pour en sortir quelque chose de dense.

The Only Pictures I’ve Got est par ailleurs emblématique de la façon dont ta musique parvient à mêler enchantement et dimension tragique, à la manière de Nick Drake auquel cette chanson fait immanquablement penser. C’est presque devenu un cliché de citer Nick Drake comme influence, une sorte de passage obligé pour tout musicien souhaitant s’inscrire dans un courant moderne, voire branché, de la folk ou de la pop acoustique, mais au-delà de ces considérations sans importance est-il une source d’inspiration pour toi ? As-tu d’autres modèles de songwriting ?

Honnêtement, Nick Drake n’est pas vraiment une source d’inspiration pour moi. J’aime beaucoup sa musique et il y a certaines de ses chansons que je trouve vraiment magnifiques, mais je ne le considère pas comme une influence. Pour The Only Pictures I’ve Got, je n’ai jamais pensé à lui, et de façon tout à fait prétentieuse mon inspiration était plus Eleanor Ribgy en fait, même si ça n’a plus grand chose à voir au final. Parmi les gens dont j’admire le songwriting, je peux citer Ray Davies (The Kinks), James Mercer (The Shins), Carl Newman (The New Pornographers), Matthew Caws (Nada Surf)...

Et concernant tes textes qui sont souvent assez sombres et pessimistes d’où puises-tu ton inspiration ?

Pour cet album, je me suis pas mal inspiré d’articles de journaux, de faits divers, de films, bref de très bons moyens pour externaliser l’inspiration. Plus de la moitié des paroles de l’album ont été écrites comme ça. Ensuite il y a aussi Stomach Attack, adapté d’un texte écrit par Mlie, puis le reste des paroles, ce sont des impressions personnelles.

As tu l’impression d’appartenir à une certaine scène qui semble émerger sur Paris notamment autour du bar le Motel ?

Je t’arrête tout de suite, si on met les membres de Toy Fight, (Please) Don’t Blame Mexico, MiLK & Fruit Juice, Mina Tindle, Odran Trümmel, Maison Neuve, Top Montagne, Kawaii, Quetzalli et Michael Wookey ensemble, on ne rentre pas tous sur la scène du Motel.

Le fait de faire évoluer tes chansons sur scène dans des configurations différentes avec des invités extérieurs qui varient, c’est quelque chose d’important pour toi ?

Ce sont souvent mes moments préférés dans les concerts, car il y a un apport extérieur qui enrichit le son habituel. Je pense notamment à The Only Pictures I’ve Got avec Michael Wookey au clavier ou Hélène (de Top Montagne) au hautbois, et Pierre (de Quetzalli) à la scie. Egalement Panic At The Beehive avec Aude (de Top Montagne) au glockenspiel et Anne (de Kawaii) au stylophone. C’est aussi souvent assez improvisé, car on ne sait pas toujours qui va être là et pouvoir jouer, donc souvent ça se décide à la dernière minute, et c’est ça que j’aime aussi : s’adapter à toutes les contraintes présentes au moment du concert et faire quelque chose d’un peu nouveau à chaque fois.

Orouni (feat. Michael Wookey & Thomas Wykes) - The Only Pictures I’ve Got@Le Motel

Dans la playlist que tu nous as proposée pour la radio IRM, dont le lancement officiel est prévu très prochainement, il y a des choses assez inattendues : du reggae, de la musique africaine ou brésilienne... est-ce que ce sont des musiques que tu as découvertes récemment et qui ont pu influencer certaines chansons de Jump Out The Window comme Air Hostess On A Mission par exemple ?

Ce ne sont pas spécialement des musiques que j’ai découvertes récemment, c’est simplement que ça a pris du temps pour que j’aie envie de (ou j’arrive à) en incorporer des éléments dans mes chansons. C’est vrai qu’Air Hostess On A Mission en est l’exemple le plus évident, pour l’aspect brésilien, et aussi un peu reggae. L’outro de ce morceau, avec le motif de xylophone (et de steel drum) est peut-être la seule marque de l’influence africaine sur l’album.

D’une manière générale en tant que mélomane as-tu tendance à t’éloigner du domaine du rock indé qui peut sembler un peu étriqué à la longue ?

Je trouve que dans le rock indé, il y a déjà de quoi faire, sachant que c’est un domaine de plus en plus vaste et que des musiciens vont chercher des sonorités qui sortent de ce cadre à proprement parler. Quand on écoute Animal Collective et Joanna Newsom, par exemple, ça n’a pas grand chose à voir l’un avec l’autre, ni avec l’indie rock tel qu’on le conçoit habituellement. Le truc, c’est qu’ensuite, quand on se met à écouter autre chose que de l’indie rock, on peut tomber sur des ambiances vraiment différentes. Que ce soit une compilation de kora, Tabu Ley Rochereau, ou Etoile de Dakar, on a le sentiment que des instruments, des techniques, des rythmes tellement différents sont utilisés qu’on se sent complètement ailleurs. Et comme j’aime beaucoup être dépaysé, je m’éloigne parfois du domaine rock indé, oui.

Ton expérience avec The Limes a-t-elle modifié ta façon de faire de la musique ? Y a-t-il une chance pour que le groupe sorte quelque chose d’ici quelque temps ?

Oui, mon expérience avec The Limes a modifié ma façon de faire de la musique, surtout grâce à David en fait. La première chanson que nous avons travaillée ensemble était Morning, Noon & Night, et il m’a dit "tu sais, tu peux bourriner sur la guitare". A l’époque, je n’avais pas conscience qu’on pouvait bourriner sur la guitare. Puis, la deuxième chanson que nous avons faite était Big Top Head, et nous avons utilisé une quarantaine de pistes, à tel point que mon ordinateur a failli exploser. Je savais qu’on pouvait faire ça, mais sur mon premier album j’avais utilisé relativement peu de pistes. Par conséquent, sur ce nouvel album, il n’y a presque que des chansons de 45 pistes et où je bourrine à la guitare. C’est pourquoi même si je cite souvent des groupes "extérieurs" comme influences, ce qui m’a le plus marqué et transformé entre les deux albums, c’est probablement le travail avec The Limes.

Pour l’instant, on a un certain nombre de chansons, même si elles ne sont pas toutes finies. Il y en a potentiellement assez pour faire un disque, mais du fait de la nature un peu spéciale du groupe, je ne peux pas dire quand nous serons en mesure de sortir quelque chose. J’espère vraiment que ça pourra se faire un jour prochain, car les morceaux me plaisent beaucoup et c’est vraiment un plaisir d’être dans ce groupe.

Il y a une chanson que tu as écrite pour The Limes (City Lights) qui a été pour le moins métamorphosée par la partie américaine du groupe. Peut-on imaginer retrouver un jour sur un disque d’Orouni la sublime version originale que tu chantes sur scène en duo avec Mina Tindle ?

A l’époque où nous avons réenregistré The Perfume Conspiracy avec Mina Tindle, si on m’avait demandé si je la mettrais sur un prochain album, j’aurais dit non assez catégoriquement. Pour différentes raisons, je l’ai mise sur ce nouvel album, mais ce n’est pas le genre de choses que j’ai envie de faire systématiquement. Comme la version "américaine" se retrouvera peut-être sur un disque de The Limes, ça m’embêterait un peu d’en faire ma version studio de mon côté. En fait, ça ne m’est même pas venu à l’esprit. Pour moi c’est une chanson dont The Limes disposent, et quand je la joue sur scène je la considère un peu comme une reprise. Mais comme vous avez vu, je peux changer d’avis, donc c’est à suivre...

Durant tes concerts tu as pris l’habitude de dédicacer une de tes chansons à une personnalité qui fait la une de l’actualité, à qui voudrais tu dédier cette interview ?

J’aimerais dédicacer cette interview à Stéphane Buron. Je pense que le simple fait d’être cité ici va le propulser à la une de l’actualité. Mais c’est bien car il le mérite.

Crédit photo : Michel Leung Kut


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