Eels - Wonderful, Glorious
Débutée avec un Hombre Lobo poussif et achevée par un Tomorrow Morning qui eut tôt fait de tourner en rond, la récente trilogie de Eels - malgré le très correct End Times- nous avait laissés sur notre faim. De fait, ce Wonderful, Glorious constituait pour bon nombre de fans du groupe l’ultime chance de conjuguer leur romance commune au futur. Une certaine appréhension se mêlait donc à la logique excitation au moment de découvrir le dixième opus de Eels.
1. Bombs Away
2. Kinda Fuzzy
3. Accident Prone
4. Peach Blossom
5. On the Ropes
6. The Turnaround
7. New Alphabet
8. Stick Together
9. True Original
10. Open My Present
11. You’re My Friend
12. I Am Building A Shrine
13. Wonderful, Glorious
A l’instar de la nostalgie évidente de Blinking Lights and Other Revelations, de la pop sucrée de Daisies of the Galaxy ou enfin de la face sombre d’Electro-Shock Blues, la pochette de Wonderful, Glorious est assez significative du contenu de l’album. Principalement orange, une certaine allégresse pour le groupe s’en dégage. L’impression est d’ailleurs corroborée par les propos de Mark Oliver Everett, leader de la formation. "Il est devenu clair pour moi que l’album évoquerait la façon dont on peut surmonter les moments sombres de la vie. Ces périodes valent la peine d’être vécues car elles nous guident ailleurs, à un endroit lumineux qu’on n’aurait su imaginer. D’où le titre Wonderful, Glorious".
Ces propos peuvent étonner quiconque ayant suivi, ne serait-ce que de loin, le parcours discographique de Eels tant le champ lexical de la détresse a pris l’habitude d’être prégnant dans les textes de E. Finissons de nous intéresser à cette pochette, donc. La seule entorse - outre les noms de l’album et du groupe - à l’unité orange de celle-ci se trouve être un avion lâchant des bombes. Un appareil volant utilisé dans le but de détruire une vie humaine ? Voilà qui rappelle l’une des tragédies les moins connues ayant touché un membre de l’entourage de Mark Oliver Everett. En effet, le 11 septembre 2001, sa cousine Jennifer Lewis travaillait comme hôtesse de l’air à bord de l’American Airlines Flight 77 qui s’écrasera sur la face du Pentagone dans laquelle avait travaillé un certain physicien nommé Hugh Everett.
Dans Things the Grandchildren Should Know, autobiographie de E parue en 2008, celui-ci se demandait ainsi si l’avion avait percuté l’ancien bureau de son père. Derrière l’apparente luminosité qui se dégage de cette pochette - et de la musique de l’album - se cache en arrière-plan l’éternelle mélancolie et l’indéboulonnable auto-dérision du chanteur.
Probablement conscient de la baisse de régime évidente de sa récente trilogie, Mark Oliver Everett a choisi de rompre avec les habitudes ancrées dans le fonctionnement du groupe. "Après avoir écrit mon autobiographie, réalisé un documentaire sur mon père et clos la trilogie d’albums, il était difficile de savoir où aller. C’était comme plonger dans l’inconnu. Après six mois comme ça, j’ai décidé de rassembler le groupe en studio avec un nouveau plan : ne pas avoir de plan". Au Compound, maison transformée par le guitariste The Chet en studio et considérée par E comme "l’endroit le plus joyeux de la Terre", les treize morceaux de Wonderful, Glorious prennent alors corps au gré des improvisations et idées des différents membres du groupe. Outre The Chet et E, l’autre guitariste P-Boo, le bassiste Koool G et le batteur Knuckles ont ainsi pris part à l’écriture de l’album, ce qui constitue une première dans la discographie d’une formation au sein de laquelle le songwriting était jusqu’alors la chasse gardée de Mark Oliver Everett. Ce dernier s’amuse ainsi du fait que "même le batteur a participé au songwriting. Comme quoi, tout est possible".
Cette écriture à dix mains a probablement contribué à l’hétérogénéité de Wonderful, Glorious. Ce dernier s’ouvre en effet sur l’excellent Bombs Away qui, avec ses riffs efficaces, ses percussions appuyées et ses divers bricolages, contient d’évidentes réminiscences de Souljacker. Par la suite, Kinda Fuzzy est un morceau schizophrénique. Il constitue un condensé d’une bonne partie de ce que sait faire Eels, du rock presque garage de Souljacker à la folk de Shootenanny ! en passant par la pop sucrée de Daisies of the Galaxy. A l’instar du Paranoid Android de Radiohead, pour reprendre un exemple contemporain des débuts du groupe, ce morceau ressemble à l’assemblage de différents embryons de chansons emboîtées pour donner sens à ce qui serait un single en puissance dans un monde parfait.
Après cette excellente entrée en matière, les Américains calment le jeu avec Accident Prone. Assez minimaliste, le morceau se rapproche de l’ambiance nostalgique de la récente trilogie du groupe. Le calme avant la tempête puisque vient ensuite Peach Blossom. Le premier single de l’album est rythmé par quelques arpèges bien sentis, un riff entêtant et la batterie de Knuckles, et sa progression offre une fin jouissive à souhait dans un registre mélangeant les ambiances acidulées de Daisies of the Galaxy et celles plus dépouillées de Shootenanny !.
On The Ropes et The Turnaround (dont la progression est elle aussi assez jouissive) rappellent la folk plutôt sage dont abusait Eels sur Hombre Lobo. Parfaitement intercalé entre deux morceaux plus musclés - et surtout beaucoup plus inspirés que la plupart des pistes composées alors - ce diptyque constitue néanmoins une réussite et se rapproche de That Look You Give That Guy ou All The Beautiful Things, rares sommets (auxquels il faudrait ajouter In My Dreams) de l’époque "loup-garou". Vient ensuite New Alphabet, second single de Wonderful, Glorious. Presque nonchalant, le chant du natif de Virginie évolue presque à contre-emploi pour un résultat paradoxalement très convaincant, bien aidé il est vrai par quelques beaux arrangements de cordes soutenus par un Knuckles en grande forme derrière les fûts.
Les relents du sous-estimé Souljacker sont décidément prégnants sur cet album puisque Stick Together dont les percussions et le thème chargé d’amphétamines n’auraient pas dépareillé aux côtés de Jungle Telegraph ou Friendly Ghost. Une petite ballade plus tard (la doucereuse True Original) et Eels revient avec Open My Present à des sonorités mélangeant folk et rock-garage, tirant même sur la lo-fi. You’re My Friend vient alors mêler quelques guitares à un thème électro qui donne envie de prendre des nouvelles de Mc Honky, pseudonyme choisi il y a dix ans par E pour sortir un album d’abstract. Ce qui tombe d’ailleurs plutôt bien puisque E - qui n’a jamais admis le secret de polichinelle que constitue cette double identité - a récemment évoqué le DJ californien. "J’essaye de lui bouger le cul afin qu’il donne une suite à l’excellent I Am The Messiah. Il nous surprendra peut-être, nous verrons bien".
Il ne reste plus que deux morceaux et le quintette a déjà, quoi qu’il arrive, réussi son coup. I Am Building A Shrine, mélange, en termes d’influences, de Blinking Lights and Other Revelations et Daisies of the Galaxy pour son côté acidulé, son faux-rythme et les discrets bidouillages en arrière-plan, ouvre la voie de la plus belle des manières à Wonderful, Glorious. Lui aussi, avec son riff efficace, single en puissance dans un monde parfait, le morceau est magnifié par le chant de E - qui se lâche comme rarement à la fin de la chanson - plus assuré que jamais et les sublimes arrangements de cordes. La progression du morceau et le melting pot de sonorités offrent à Wonderful, Glorious la fin qu’il mérite.
La légitime appréhension antérieure à l’écoute du disque aura tôt fait de disparaître. Au moment où on commençait à douter de Eels, le groupe sort son album le plus passionnant depuis Souljacker. Plus d’une décennie donc. Eels n’est pas mort, et ceci constitue sans doute déjà l’une des grandes nouvelles de cette année 2013 qui ne fait que commencer.
L’album en écoute sur SoundCloud.
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