154 fRANKLIN & Maeki Maii : "Je recommande cet album à tous les ivrognes un peu poètes qui rentrent chez eux à 3h du mat"

Entre deux collaborations internationales, l’excellent Maeki Maii remet les pieds dans l’Hexagone le temps d’un partenariat inspiré avec le producteur girondin 154 fRANKLIN que d’aucuns connaissent ici sous le nom d’Arnaud Chatelard ou d’Innocent But Guilty, son alias davantage versé dans les musiques d’ambiances. Maison Close, l’album qui en résulte, propose ainsi sept morceaux inédits et presque autant de remixes de titres qui ont marqué la discographie du MC austro-italien. Nocturne, aussi enivrante qu’enivrée, cette collection de morceaux explore ces heures floues où seuls les dandys, vagabonds et autres noceurs sur le retour arpentent les rues pluvieuses des grandes villes d’ici et d’ailleurs. Si, pour paraphraser Wilde, nous sommes tous dans le caniveau, assurément Maeki Maii et 154 fRANKLIN regardent les étoiles. La preuve avec cette interview décontractée, à l’heure de l’apéro.





IRM : Bonjour messieurs. On va commencer simple : comment s’est faite la connexion entre vous ?

Maeki Maii : Ça ne date pas d’hier, ça faisait un moment qu’on s’était dit qu’il fallait faire un projet ensemble. Arnaud m’avait envoyé des prods et j’avais enregistré uniquement un titre (Fièvre Noire), mais après la sortie de Saut de l’Ange, on est revenu sur l’idée de faire un projet ensemble et cet enfoiré a enchaîné les prods en mode rap/jazz qui m’ont totalement inspiré. 

154 fRANKLIN : Par le biais de Ben, le boss de Lotophagus Records et de La Voix Dans Le Désert. Ça m’a permis de découvrir et d’apprécier le taff de Maeki. Suite à son album Art Feeling, signé avec le beatmaker Ljazz, j’avais pu apprécier le talent de songwriter de Maeki, et je trouvais que son flow et son mood s’harmonisaient le mieux (selon moi) sur des prods un peu chill et jazz... J’avais un peu de matos en stock, j’ai repris tout ça et envoyé le tout à l’intéressé ! Et puis l’album Maison Close est arrivé comme une évidence pour moi, j’ai composé l’album exclusivement pour lui, et j’avais le son de sa voix qui m’accompagnait pendant le processus créatif. Ça sonnait déjà super bien dans ma tête

Le style des instrus est légèrement différent de ce que propose habituellement Arnaud avec 154fRANKLIN avec des inflexions plus latines, plus jazz. 

154 : Oui, tu as raison. J’avais d’ailleurs proposé auparavant des prods plus électro et futuristes, flirtant presque avec l’industriel. Mais comme Maeki, je suis un peu touche à tout, je peux faire de la trap comme du plus classique, et j’aime ça, donc... vu que Maeki sait poser sur à peu près tout, pourquoi se priver !

MM : Oui Arnaud a tourné tout son travail autour de moi avec ses prods, surtout qu’il a bien compris que je me sens complètement à l’aise avec ce type de prod depuis que je travaille avec Ljazz. Arnaud s’était posé la question de la pertinence de mettre Fièvre Noire dans le projet tant le titre détonne avec le reste du disque, mais d’une j’aime trop ce titre, et de deux, merde, on en a rien à foutre, proposons un final apocalyptique avec toute l’innocence des coupables que nous sommes.


154 : Oui en effet, je ne cache pas que j’ai trouvé cela bizarre, mais en même temps, ça fonctionne bien, et ça fait une sorte de break dans l’ambiance générale de l’album.

Tout ça donne un album à la tonalité plutôt mélancolique...

MM : En fait moi je trouve que la tonalité rappelle surtout les films noirs des années 40, je vois pas ça comme de la mélancolie mais plutôt une force sombre et nonchalante qui erre dans les ruelles d’une métropole avec fumée et chapeau.

154 : Je ne suis pas réputé pour faire des prods très joyeuses en temps normal, même si avec 154, le champ des possibles et plus large. L’album ouvre avec Hacienda qui a un côté nostalgique, du moins pour moi la prod m’évoque ce sentiment. De manière générale, en effet, on est sur des tonalités assez sombres, mais qui restent classe, cinématographiques comme on aime. C’était l’idée aussi de l’album.

MM : Hacienda a une tonalité mélancolique mais aussi joyeuse, une joie noire en somme.

154 : Oui, il y a une ambivalence dans les atmosphères !

MM : Exact. Deux couleurs dominent pour cet album, le noir et le rouge. 

Ça me rappelle quelque chose, ça "Le Rouge et le Noir"... (rires) 

MM : Stendhal !


Bon, parlons un peu des textes. Ils sont un peu plus crus que d’habitude, abordant régulièrement le thème de la sexualité. Qu’est-ce qui vous a emmené là ? Les prods d’Arnaud ou une inspiration particulière ?

154 : Maeki, je te laisse répondre. (rires)

MM : Redevenu célibataire, je peux aborder des thèmes qui, en couple, ne pouvaient pas être abordés.

Et toi, Arnaud, comment as-tu accueilli ces textes en les découvrant ?

MM : Oui c’est vrai, comment les as-tu accueillis ?

154 : Pour ma part, à la première écoute, je me suis dit que Maeki n’y allait pas de main morte, mais en même temps dans un style comme le rap, le langage cru a toujours eu une bonne place. Le seul problème c’est qu’il faut savoir le faire avec talent, et surtout que cela serve le propos. En l’occurrence, Maeki maîtrise le tout avec une grande vélocité. Et puis au final, ce qui me plaît le plus dans le rap, c’est l’art de la punchline, et la qualité du fond, et pour ça avec mon acolyte, on ne sort jamais déçu ! 

MM : En même temps, avec un producteur comme Arnaud, on ne peut viser que l’excellence. 

154 : Les références fusent à la volée, qu’elles soient cinématographiques ou autres. Si la prod fait un minimum le taff, c’est dans la poche ! J’ai plaisir à savoir que ce que je produis puisse servir de base et d’inspiration. C’est très gratifiant.

Justement, d’une manière plus générale, on est vraiment sur un album organique. Que ce soit les samples utilisés par Arnaud qui a recours à pas mal d’instruments acoustiques ou les textes de Maeki dans lesquels les sécrétions diverses et variées reviennent régulièrement. Maison Close est un album de la chair, de la matière.

154 : Oui, il y a quelque chose d’assez intime dans cet album ! Maeki n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. 

MM : Oui et les sonorités de voitures, de bruits de pluie etc. m’ont guidé dans l’écriture. 

154 : Ah, ça, les textures et les samples de bruits divers et variés, ça a toujours été ma came. Je trouve que ça met en valeur une mélodie, que ça lui donne un peu plus de corps, de personnalité, de profondeur... Et particulièrement dans les prods un peu hip hop ou downtempo.

MM : Il y a dans cet album, entre les prods et les textes, l’idée d’une errance, d’un vagabondage mystique, c’est un album que j’aurais aimé écouter quand je rentrais de soirée à pied sous la pluie... Ne l’ayant pas eu, j’ai une pensée pour les personnes qui pourront vivre ça. Je recommande cet album à tous les ivrognes un peu poètes qui rentrent chez eux à 3h du mat. 

154 : L’album est clairement idéal pour rentrer aux aurores, et repenser aux horreurs qu’on a fait la veille au soir... Et une punch avec des allitérations en "r" de toute beauté !

MM : Le pire, c’est que je ne sais même pas de quoi tu parles. (rires)

154 : Le son est sombre, et en même temps étonnamment chill, aérien, léger.


Vous avez évoqué l’atmosphère urbaine de l’album. Je me demandais si c’était un sample de Steely Dan sur Dark Light District ?

MM : Arnaud  ? C’est pour toi cette question.

154 : Non pas de sample de Steely Dan sur ce track.

L’ambiance du morceau m’y faisait penser. Et un changement d’accord en particulier.

154 : J’ai travaillé avec pas mal de samples issus de la thématique jazz pour ce qui est des arrangements de cuivres. J’ai fait les basses en me calant sur un plugin pour avoir ce son rétro. Les sons de ville viennent en partie d’archives perso et de sons samplés sur YouTube, entre autres. J’ai fait toutes les rythmiques avec un tableur numérique type MPC1200. Voilà. Après pour le mix et le master, c’est allé assez vite, car les enregistrements des voix de Maeki étaient quasi nickel.

Parlez-nous un peu de Liza dont on compte pas moins de six versions sur l’album ! Vous auriez presque pu sortir un EP uniquement composé de ces différentes versions. Comment est venue cette idée de proposer autant de versions du même morceau ?

MM : Aaaah Liza !

154 : Aaaahh Liza. (rires)

MM : J’avoue, c’est parti en vrille un peu... (rires)

154 : Moi j’ai flashé direct sur ce track. C’est clairement le hit de l’album ! C’est cru, mais ça raconte quelque chose de puissant, les bons et les mauvais côtés de l’être humain, et puis la punch qui clôt le morceau est tellement puissante. "Ben ouais, l’amour ne se compte pas en billets !" Ca peut paraître bateau, mais c’est tellement d’actualité... Et ça a eu une résonance personnelle chez moi. En fait, j’ai tellement kiffé les lyrics du morceau, que je crois que j’ai spontanément proposé différentes versions. Et puis Maeki a proposé à certains collègues de se joindre à la fête, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils ont assuré !

MM : Ce morceau j’en étais tellement fier que j’ai envoyé une démo à mon vieux frère Olaf pour savoir ce qu’il en pensait. Sauf qu’après l’envoi, je me suis rendu compte que cette démo était un peu bancale donc je l’ai réenregistrée en deux autres versions et effacé les pistes de la démo. Le souci c’est que ce bâtard avait sa préférence pour la version 1... donc j’ai enregistré deux autres versions pour me rapprocher de la version d’origine et, arrivé à une version satisfaisante (la Manhattan), j’avais sous le bras trois autres versions. Donc je dis à Arnaud  : "écoute, on demande aux copains de proposer leurs versions et toi tu fais une version alternative avec la version 2" (qui deviendra Chinatown)... Mais l’histoire ne s’arrête pas là parce que cette ordure de Corvo Nero décide de me proposer une version tellement géniale que je ne trouve pas en adéquation avec ma piste vocale donc j’enregistre une version pour lui et, avec ma rencontre IRL avec Julien Ash de NLC je lui propose de faire une version sur la version vocale de Corvo Nero (vous me suivez ?)... Mais ce n’est pas fini ! Car Arnaud, avec les pistes vocales de la version 2 me propose trois versions différentes... Il n’en restera que deux, Berlin et Chinatown. Et pour la troisième, je réenregistre une nouvelle version (la prod est trop sublime) avec la version Tokyo... Juste pour finir avec Liza, c’est la première fois que j’écris une histoire d’amour et c’est rare venant de moi.


Pour terminer, quels sont vos projets respectifs pour les mois qui viennent ?

MM : Pour ma part je vais sortir un album avec le producteur New-Yorkais Scan-N-Kutt [sorti entretemps, ndlr], ça tournera autour de New York qui est la ville de rêve de mon fils, se sera le deuxième volet de ma "trilogie du Rhilliss" et le master est parfait. A côté de ça un troisième projet avec Ljazz, qui sera encore plus épique que les deux autres réunis et je pèse mes mots...

154 : Purée, une montagne de projets sont en préparation...! Autant avec Innocent But Guilty qu’avec 154. Et même une fusion IBG/154, mais bon vu que je ne suis pas encore totalement schizophrène, ça ne compte pas. Plus sérieusement, un album avec NLC, qui s’annonce assez (très) pop, un EP avec Inhum’An, un album secret avec un mystérieux producteur, et qui devrait sortir sur mon label de cœur Lotophagus, et pour finir mon prochain solo de IBG, qui avance bien.

Et bien messieurs, les prochains mois s’annoncent chargés ! On a bien hâte d’écouter tout ça. Merci à vous deux pour votre temps.

154 : Merci à toi Ben, et à toute l’équipe d’IRM, vous faites du super taff !

MM : Merci à toi fratello ! T’as assuré de ouf. Encore un coup noble de la part du prince du (vrai) underground. Surtout que ce projet mérite plus de visibilité, bordel.

On est bien d’accord. Merci à vous, les gars.


Interviews - 04.12.2025 par Ben