AbSUrd - Close To Distantly

Toujours sur le magnifique Decorative Stamp, AbSUrd abandonne un temps son duo avec James P. Honey pour se lancer dans le grand bain solo. De cette échappée solitaire découle Close To Distantly, un premier disque impressionnant bâti sur une multitude de paradoxes : hip-folk ? Alt-hop ? Tout cela à la fois et plus encore. Exceptionnel !

1. Intro
2. Somewhere Else
3. As The Loot Bag Laughs (feat. Babel Fishh)
4. Natural Forks
5. Black Sea Life Absorber (feat. Filkoe, James P Honey & Papervehicle)
6. Muddy Perdition
7. Thin Air (feat. Bleubird)
8. Shadows Of Reindeer (feat. jamesreindeer)
9. Beyond The Knowledge
10. Ordinary (feat. Univac)
11. Human Weakness Lead Astray
12. A Lesson In Skinning Goats (feat. James P Honey)
13. Enter To H
14. Not Need Lantern Voir la vidéo AbSUrd - Not Need Lantern
15. Perpetual Questions Pursue
16. Outro
17. Even Sultans Fall (feat. Ceschi)

date de sortie : 26-09-2011 Label : Decorative Stamp

Ne soyons pas timoré : cet album est un enchantement. Au même titre que le second effort de Murmur Breeze paru quelques mois plus tôt. Tout comme lui, l’édifice proposé ici est à la fois extrêmement fragile et d’une sensibilité extrême tout en s’érigeant sur une ossature solide et complexe. En revanche, il n’est absolument pas question ici d’un frère jumeau même si les deux disques suivent les mêmes sentiers hantés, automnaux, tour à tour mélancoliques et rageurs. Et c’était sans doute là l’une des gageures d’AbSUrd : ne pas se répéter. Tâche difficile quand on vient de sortir un album de la teneur de Foreshore Reverie. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Close To Distantly se hisse aux mêmes hauteurs stratosphériques et plane très largement au-dessus des terres hip-hop actuelles tout en explorant des voies qui n’appartiennent qu’à lui. Un air de ressemblance mais aucun rapport. La même doxa mais des paradigmes bien différents. Et une pléthore d’invités (en vrac, Babel Fishh, Bleubird, Ceschi, Filkoe, James P. Honey, James Reindeer, Papervehicle, Univac) qui ne sont pas venus faire de la figuration. Tous au service de productions extrêmement ciselées et réfléchies, imaginées entre 2007 et 2010, soufflant le chaud et le froid dans le même mouvement, sombres et lumineuses, aérées et confinées, électroniques et organiques. Un album qui avance avec ses paradoxes et les exhibent fièrement, jusque dans son titre, tout content de décontenancer l’auditeur à maintes reprises.

Ce que l’on retient d’emblée, c’est ce souffle organique charrié par de multiples instruments qui ouvre grand les fenêtres du disque et fait rentrer de l’air pur dans cet espace autrement confiné. L’Intro et les premiers morceaux permettent de planter le décor et soulignent le climax d’un disque fondamentalement hip-hop, structurellement presque, mais qui en bouscule également les codes et le propulse dans un ailleurs qu’il n’a certainement pas l’habitude de fouler aux pieds d’une telle manière : quelques notes lentes égrenées par une guitare délicate soutenue par une enveloppe synthétique à la fois discrète et bien présente, voilant le morceau d’une aura mystérieuse, presque inquiète. Sentiment renforcé par Somewhere Else et son beat martelé, cymbales en avant, renforcé par le pizzicato d’un sitar, les guitares élégantes de jamesreindeer toujours présentes, homme de l’ombre, activiste acharné et frère de bruit (l’indispensable Nadia D’Alò complétant le trio), comprenant et accompagnant idéalement la mélancolie d’AbSUrd pour un instrumental qui serpente à l’orée d’un chemin boisé et saturé de brume que l’on a, après seulement deux morceaux, très envie d’explorer.

Les instruments acoustiques ou très légèrement électrifiés associés aux field recordings s’opposent à la tension suggérée par les beats secs et les nappes hantées d’AbSUrd parfois rehaussés d’un flow forcément hétérogène et propulsent le disque dans un entre-deux, un no man’s land singulier qui laisse toute liberté à Close To Distantly pour s’ancrer au sol et étendre ses rhizomes de toute beauté. Les oppositions finissent par se mêler, ne faisant plus qu’une et la créature peut alors occuper tout l’espace. Au même titre qu’un Onry Ozzborn (même si leurs musiques respectives n’ont vraiment rien à voir), ici, on sent parfaitement le respect qu’imposent les productions du français aux différents MCs. Personne ne fait le malin ou n’a l’idée de s’accaparer les productions mais tous les habitent, le disque conserve sa patte tout du long, maintient sa cohérence et demeure irrémédiablement un disque d’AbSUrd. Les réussites sont là, à chaque coin de morceau et alors que l’on se perd dans le dédale imaginé par le beatmaker, on ne sait plus très bien où porter son regard, accroché par de multiples angles bizarres, des perspectives originales, des bouts d’architecture magnifiques, des fenêtres éblouissantes, des toits qui se succèdent sans se ressembler, des ruelles typiques ou bien des avenues plus inquiétantes. Ici, Black Sea Life Absorber, franchement sombre, exsudant une tension très urbaine suggérée par les flows survoltés de Papervehicle, Filkoe et James P. Honey. Là, Thin Air, authentique tube bâti sur le jeu d’une clarinette rêveuse qui transforme le morceau en véritable manifeste de hip-hop hitchcockien sapé par le flow implacable de Bleubird. Ailleurs, Ordinary et son ossature disloquée qui s’oppose au refrain chanté d’Univac, un morceau oxymore, partagé entre ses velléités abstraites et ses atours accueillants.

Mais il ne faudrait pas croire que seuls les titres accompagnés du flow d’un MC sont à retenir car du côté des instrumentaux, c’est aussi un véritable festival. D’Human Weakness Lead Astray, très court, parfaitement placé, véritable prototype aux nappes inquiétantes sur lesquelles batifolent quelques instruments rêveurs à The H et sa guitare acoustique un peu folle et patraque soutenue par des ondes métalliques, des oscillations, une pulsation très courte, une respiration en passant par Not Need… Lantern et ses airs de valse délavée et victorienne, au bout du bout du rouleau ou le déliquescent Shadows Of Reindeer et sa guitare fuyante qui achève de démembrer le morceau, le traînant dans le caniveau, tout en gardant sa classe naturelle, digne même dans le plus bas que bas. On s’arrêtera là car il y aurait de toute façon matière à détailler chaque morceau tant les idées y sont nombreuses. Pour faire court, avançons simplement que tout cela engendre un éventail d’émotions qui s’étendent de la quiétude à l’inquiétude et souvent dans le même morceau, fût-il très court. Encore une fois, Close To Distantly est un paradoxe et suggère tout et son contraire et semble être construit de la même façon et c’est encore là que le disque impressionne, dans ses textures tout autant détaillées que fuyantes.

Pas d’artifices, AbSUrd avance découvert, tout nu et met ses tripes sur la table à l’image de l’écorché qui hante l’intérieur de la pochette. On imagine aisément la longue traversée du désert qu’a pu constituer l’édification d’un tel disque et sa sincérité saute au visage. Sa sincérité et le doute qui l’habite aussi, mais pas celui qui bloque ou annihile, plutôt le doute qui pousse à remettre sans cesse son ouvrage sur le métier, à gratter le verni de la certitude pour être au plus près de ce que l’on a en soi. La réussite de Close To Distantly vient également de là. Et de sa grande variété, évidemment portée par les nombreux featurings mais pas seulement, les productions d’AbSUrd, bien que construites sur le même moule acoustique et poétique, explorent nombre de pistes et d’idées. Le disque, qui plus est, se cache sous une superbe pochette cartonnée hand-made réalisée avec le concours de jamesreindeer et Mlle Metronome qui, sous le sceau noir d’AbSUrd, montre peut-être un électroencéphalogramme loin d’être plat à moins qu’il ne s’agisse de sa pulsation cardiaque, malmenée par les multiples émotions que suscite sa petite musique qui se clôt parfaitement par le magnifique Even Sultan Fall où le flow immédiatement reconnaissable de Ceschi danse sur les accords mélancoliques d’une guitare à la fois sèche et liquide.

Un paradoxe encore.

Brillant...

... et tout simplement beau.


Une vidéo de Not Need Lantern qui permettra de se familiariser avec la musique d’AbSUrd :


Le disque s’écoute intégralement ici et on peut se le procurer à un prix dérisoire.

Chroniques - 07.10.2011 par leoluce
 

Voir la vidéo AbSUrd - Close To DistantlyAbSUrd - Close To Distantly

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