L’Overd00’s : 2007
L’overd00’s du Forum Indie Rock ici retranscrite par la rédaction est le fruit de deux mois passés par nos membres à dresser le bilan de la décennie qui vient de s’achever. Tout au long des semaines à venir, nous allons vous faire replonger dans le meilleur des années 2000, 11 articles qui viendront fleurir la Une du Mag, résultat d’une élection passionnante, éprouvante et agrémentée des choix tout à fait personnels de la rédaction. Souvenirs et découvertes garantis.
Noise, ambient jazz, hip-hop, dub, IDM, chanson française... Indie Rock Mag s’ouvrait à toutes les influences en 2007, à l’image de cette sélection annuelle qui n’en oublie pas pour autant ces fondamentaux d’indie pop, d’americana ou de rock à guitares qui finissent souvent par nous rapprocher au sein du forum ou de la rédaction. Pleins feux sur une année qui nous en aura fait voir de toutes les couleurs...
Apparat - Walls
Dans la continuité de son fabuleux EP de 2002 Trial And Error qui synthétisait à la perfection électro abstraite et schizophrène à la Autechre, nappes ambient et envolées orchestrales, le berlinois Sascha Ring, révélé aux amateurs de techno-pop minimale en 2006 par le beau Orchestra Of Bubbles en collaboration avec Ellen Allien dont il avait réalisé l’acclamé Berlinette trois ans plus tôt, fait un pas de plus vers la poptronica avec ce chef-d’œuvre d’IDM éthérée et lyrique aux arrangements synthétiques subtils et luxuriants, transcendé par la voix en apesanteur du fascinant Raz Ohara.
(RabbitInYourHeadlights)
Arcade Fire - Neon Bible
Après la claque monumentale de Funeral en 2004, les Arcade Fire étaient plus qu’attendus au tournant de cette année 2007 et de la sortie de leur second album Neon Bible. Et si de prime abord l’album s’avère moins hanté et touchant que Funeral, c’est pour mieux nous revenir en pleine figure, les nombreuses écoutes finissant par convaincre inévitablement l’auditeur. Toujours sombre mais plus varié, l’album a des chansons qui sonnent peut-être plus pop dans leur conception. Mais tout reste grandiloquent et sous tension, malgré quelques apaisements. De la sombre comptine Neon Bible à l’hymne ultime No Cars Go, en passant par la sublime ballade avec guitares dégoulinantes de tristesse Ocean Of Noise, l’excitant Antichrist Television Blues ou le final organique époustouflant de My Body Is A Cage, tout y est. Neon Bible est un grand disque et forme avec le premier album un diptyque des plus complémentaires, faisant de la discographie d’Arcade Fire un point fort de la décennie.
(flozik)
Benjamin Biolay - Trash Yéyé
Après avoir écouté et apprécié ce quatrième opus de Benjamin Biolay, on en vient rapidement à se poser la question suivante : comment un tel album a-t-il pu avoir une si faible médiatisation au regard de son successeur La Superbe, unanimement acclamé ? Et pourtant, son auteur était déjà loin d’être inconnu au bataillon. La réponse tient peut-être finalement en son identité, sa franchise, son côté tête brûlée, bref sa personnalité.
Car musicalement, il serait bien difficile de renier ce Trash Yéyé, sublimé par des arrangements de cordes de haute volée, reléguant même parfois celui souvent considéré à tort comme le maître à penser de Benjamin Biolay, à savoir Serge Gainsbourg, au rang de simple plaisantin. Cette richesse est portée par des compositions inspirées, des textes déchirants, et une voix loin de celle, fatiguée, que propose l’artiste en concert. Une galette à mettre dans toutes les oreilles, à condition que l’auditeur ne s’arrête pas aux légitimes préjugés accompagnant l’artiste.
(Elnorton)
The Bird And The Bee - The Bird And The Bee
Entre l’oiseau gracile (la chanteuse Inara George, chouchou d’Indie Rock Mag) et l’abeille laborieuse (le multi-instrumentiste Greg Kurstin), c’est l’histoire d’un flirt improbable : d’un côté la pop faussement easy-listening des Beach Boys de Pet Sounds et l’élégance jazzy lounge tout aussi évidente et mélancolique d’Henry Mancini, de l’autre l’électro à la fois savante et accueillante des premiers albums de Björk et son aisance vocale décomplexée. Un album aussi riche que concis et accrocheur à l’image également de son successeur Ray Guns Are Not Just The Future, qui sans en retrouver tout à fait la singularité rétro-futuriste en perpétuait pour le moins l’an dernier le songwriting merveilleux de limpidité mélodique et de spleen aérien.
(RabbitInYourHeadlights)
Vic Chesnutt - North Star Deserter
Il me fait chier cet album. Il m’emmerde profondément. Je le hais et je ne veux plus jamais le voir frôler ma platine.
Non, je ne suis pas devenu soudainement allergique à la musique de l’ange Chesnutt. Mais depuis un certain Noël 2009, plus moyen d’écouter deux chansons à la suite sans avoir les larmes qui me montent aux yeux comme à Marilyne, la petite grosse de la classe de 5e D, devant Titanic. Et quand le 2e titre est, comme sur ce North Star Deserter, le dramatique Glossolalia, avec sa coda aux chœurs de funérailles, les grandes eaux ne sont pas loin. Sérieusement, ça me fout la honte.
Mais bon, ce disque se ramasse une estimable 65e place à notre référendum, alors il faut bien qu’une bonne âme se dévoue pour dire une fois de plus à quel point il mérite sa présence ici.
North Star Deserter, c’est presque devenu un cliché de le dire, est un album charnière dans la carrière chaotique de Vic Chesnutt. Jusque-là, le songwriter d’Athens se contente d’un statut d’artiste culte, vénéré par nombre de ses contemporains (Michael Stipe bla bla bla... je préfère citer Mark Linkous de Sparklehorse : « Cher Vic Chesnutt, vous êtes un génie, je vous aime ») mais ignoré du public. Et puis voilà que Jem Cohen, cinéaste new-yorkais, décide que Vic doit enregistrer un album avec ses potes canadiens du label Constellation. Il organise le bazar, fait les présentations, produit les sessions, illustre la pochette, si ça se trouve il fait même à bouffer pendant que Vic, Efrim Menuck et la bande du Silver Mount Zion, ainsi que l’invité surprise Guy Picciotto (ex-guitariste de Fugazi) fabriquent un disque magnifique et inattendu. Je ne sais pas ce que vous en dites (et je m’en fous un peu), moi je dis merci Jem Cohen.
Là normalement, c’est le passage où je parle d’alchimie, mariage du style acoustique dépouillé de Vic avec les envolées parfois lyriques, parfois furieuses des Canadiens, mais aussi retenue, délicatesse et écoute de l’autre, tout ça. Bon, tout cela est vrai donc autant le dire, mais c’est du réchauffé. Ce qu’on peut dire aujourd’hui, avec le recul, c’est que North Star Deserter reste totalement bouleversant même sans tenir compte des tristes événements qui suivront. Ce qui est impossible à moins d’être un cyborg ou un imbécile heureux, mais passons.
Pour moi, le seul vrai bémol est l’étrange ballade moralisatrice You Are Never Alone, musicalement un brin facile et aux paroles d’une ambiguïté qui heurta certaines sensibilités un peu trop chatouilleuses (il y en a toujours). Mais Everything I Say restera comme un sommet de la discographie de Chesnutt (et en concert, mon Dieu...), Glossolalia, déjà évoqué, me prend toujours à la gorge avec ses accents mortuaires, l’énormissime Debriefing (encore une chanson qui parle de crever, soit dit en passant), noyé dans les saturations, est d’une intensité presque insupportable, et Splendid, dans sa frissonnante simplicité, touche carrément au sublime. Le « We did everything we could » final me casse en deux. Si vous pouvez écouter ça sans ressentir le moindre frisson, vous êtes encore plus mort que lui.
Et c’est là que le bât blesse. Même si cette énième chronique dithyrambique convertissait des dizaines d’âmes égarées au génie fragile et ravageur du grand Chesnutt, ça n’aurait plus aucune importance maintenant. Vic a finalement déserté, alors que vous écoutiez ce disque ou non, franchement, ça n’a plus aucune importance. C’est trop tard. It sucks when it’s over...
(jediroller)
Gravenhurst - The Western Lands
Qui pouvait penser que le timide Nick Talbot se faisant remarquer avec un album de folk intimiste et crépusculaire, admirable en soi, allait sortir un opus de cette trempe ? Il est évident aujourd’hui que les têtes chercheuses de Warp ont eu le nez fin en signant cet artiste pourtant éloigné de leur catalogue habituel. Quand on écoute The Western Lands, on constate qu’il a fait un sacré chemin et Fires In Distant Buildings ne constituait que les germes d’une musique s’affranchissant de toutes les frontières et trouvant son ultime expression au travers de saturations électriques et rageuses influencées par My Bloody Valentine et Sonic Youth. Sur cet album, Nick Talbot laisse libre cours à son imagination et a trouvé les moyens de son ambition en mélangeant tous les genres avec beaucoup de finesse et de maîtrise, entre folk-rock et noisy pop. Finalement ces influences étaient prévisibles, puisque Gravenhurst a été nommé de la sorte en hommage à une chanson de David Pajo, ancien guitariste de Slint notamment.
(darko)
Katel - Raides A La Ville
Au départ, Katel, c’était une voix et une guitare. Déjà rageuse et poignante. Puis, ce sont ajoutées une batterie, une basse et une guitare, respectivement tenues de main de maître par Charles-Antoine Hurel, Julien Grasset et Nicolas Marsanne. Toujours rageuses et poignantes, les compositions ont logiquement gagné en volume, comme nous pouvons l’entendre sur ce Raide A La Ville, version onze titres. En effet, avant d’être un album, Katel avait opté pour un EP de huit titres que nous re-découvrons ici avec le même plaisir. D’autant que si sept d’entre eux demeurent inchangés, nous avons droit à une relecture inquiétante et psychédélique de Quel Animal Vit... avec Nosfell en voix additionnelle. Il nous reste donc trois nouveaux morceaux - et non des moindres. Charnelle d’abord, où un duo de guitares électrique/acoustique et un violoncelle viennent soutenir une voix troublante. Ensuite, une reprise, l’une des meilleures qu’il m’ait été donné d’entendre : Human Behaviour de Björk, qui revisité par les arrangements de Katel, devient l’un des morceaux rock de l’album. Osé mais réussi. Et enfin, Dimanche, ballade acoustique résonnant comme une réponse à One Day. Comme l’EP, l’album s’achève avec Raides A La Ville, qui élève à son paroxysme toute l’émotion que Katel nous avait transmise jusque-là.
(Spydermonkey)
Lightning Dust - Lightning Dust
A croire qu’on est amoureux de Amber Webber et Joshua Wells : pour l’overd00’s estampillée 2008, on parlait déjà d’eux via leur autre formation Black Mountain. Les années 00’s, c’est assurément l’âge d’or pour le rock indé canadien, on retrouvera (vous vous en doutiez) d’autres groupes venus de ces contrées dans la suite de notre série. Et n’allez même pas croire qu’on cède à une mode, ce premier album de Lightning Dust (tout comme le suivant) est taillé pour traverser les âges, intemporel et contemporain, oui tout ça à la fois.
(indie)
Florent Marchet – Rio Baril
A mi-chemin entre réalité et fiction, Florent Marchet dresse avec Rio Baril la biographie d’un personnage dans un contexte aussi personnel qu’imaginaire. Exploitant au maximum ses qualités narratives, par un parlé/chanté particulièrement adapté à l’exercice, c’est totalement pendu à ses lèvres que l’on feuillette chronologiquement cette succession de tableaux à la manière d’un roman-photo. En grand amateur d’ambiances travaillées, et épaulé par Erik Arnaud, Florent Marchet nous ouvre un chemin de traverse élaboré entre introduction western à la Morricone, épisodes mélodramatiques et conclusion délicieusement nostalgique. C’est par quelques-unes des plus remarquables compositions rencontrées sur le territoire français qu’harmonie textuelle et instrumentale se magnifient l’une et l’autre. Les guitares et cordes sur tableau noir (Sous les draps), l’exercice loufoque du plus bel effet (Les cachets) ou la forte empathie ressentie à l’écoute de France 3 sont autant d’éléments parmi tant d’autres qui façonnent le plaisir croissant que l’on éprouve à découvrir et s’attacher petit à petit à ce chef-d’œuvre de la musique française.
(Pol)
Nina Nastasia & Jim White - You Follow Me
Un Jim White peut en cacher un autre. Lorsque cet album est sorti, beaucoup ont d’abord cru que Nina Nastasia collaborait avec l’auteur de Wrong-Eyed Jesus. Erreur, ce White-là n’est pas le songwriter sudiste, mais le batteur du trio instrumental australien Dirty Three.
C’est donc d’un duo guitare/voix et batterie qu’il s’agit ici. Loin de n’assurer qu’un simple accompagnement rythmique, White ajoute sa « voix » à celle de Nina, tirant sa folk gothique vers un univers impro-jazz décalé, jetant par son jeu oblique et titubant une lumière inédite sur les chansons douces-amères de la New-Yorkaise.
Ceux qui ne connaissent pas encore Nina Nastasia, protégée de feu John Peel, artiste discrète qui mérite bien sa place au palmarès de la décennie (son premier album Dogs est paru, en toute confidentialité, en 1999), feraient bien de se jeter sur ce disque fascinant, ou sur n’importe lequel des quatre autres, enregistrés avec beaucoup de doigté par l’inévitable Albini. En attendant le suivant, annoncé pour cette année sous le titre Mine The Bird.
(jediroller)
The National - Boxer
Pour Boxer, The National a vu les choses en grand. La volonté de faire un album plus ambitieux que ses prédécesseurs est claire à chaque moment de l’écoute de ce que l’on n’hésitera pas à considérer comme un chef-d’œuvre. La recette est pourtant toujours la même, avec une voix atypique mais touchante portant avec brio des compositions brillantes. La réussite du mariage piano/guitare sur les sommets de l’album (Racing Like A Pro notamment) surclasse sans doute tout ce que l’on a pu entendre depuis le Karma Police de Radiohead, dix ans tout rond auparavant. La présence de Sufjan Stevens au piano sur deux morceaux est d’ailleurs la cerise qui vient bonifier un gâteau déjà exquis, le natif du Michigan se fondant à merveille dans l’univers de The National.
(Elnorton)
newpauletteorchestra - #3
Dans un monde où le stupéfiant serait monnaie courante, newpauletteorchestra pourrait passer inaperçu. Ce ne serait d’ailleurs pas ça l’histoire de 2007 ? Combien étiez-vous à gober les mouches ou tout ce qui vous passait sous le nez, pendant que le groupe normand sortait son premier et unique album ? Celui-là même qui vaut toujours à l’heure actuelle mille et un trips, qui vous porte bien plus loin, bien plus longtemps si tant est que vous lui laissiez le temps de s’immiscer dans vos oreilles. Et pour preuve, ce Sex In Dallas, long en bouche, dont on ne prend la mesure qu’en allant au bout des huit minutes n’est qu’un extrait d’un album addictif au possible. Conclusion, s’il y a bien un truc à essayer dans sa vie, c’est le #3 de newpauletteorchestra.
(indie)
Oxbow - The Narcotic Story
Combo noise rock san-franciscain, mené par un géant noir couvert de tatouages et obsédé par la baston qui termine les concerts en calbute (dans le meilleur des cas) et brutalise volontiers les imprudents qui s’approchent trop de la scène, Oxbow a éjaculé son premier album à la toute fin des années 80. Une série de disques malades et fascinants a suivi, mais malgré deux passages entre les mains expertes de Steve Albini (pour Let Me Be A Woman en 1995 puis Serenade In Red en 97) et un album chez Neurot ( An Evil Heat en 2002), la bande à Eugene Robinson restait relativement obscure. Jusqu’à ce que cette Histoire narcotique explose à la face du monde. La critique s’emballe, les mags rock crient au chef-d’œuvre, de Noise (jusque-là rien d’étonnant) à Crossroads (et là on se dit qu’il doit se passer un truc).
Alors on écoute et, effectivement, il se passe un truc : on se prend en pleine tronche un disque immense, qui vous arrache les tripes et les tord avant de vous les enfoncer à nouveau dans la gorge tout en vous lattant les glaouis. Un disque qui suinte le sang, la sueur et le sperme et qui ne vous épargne rien, vous laissant lessivé et tremblant sur le trottoir comme après une nuit de beuverie homérique. The Narcotic Story, c’est un round contre Mike Tyson, c’est le cadavre du blues déterré et traîné au fond d’une allée glauque pour y être violé encore et encore, c’est le mariage contre nature de James Ellroy et de Jesus Lizard.
En véritable orfèvre de la décrépitude, le guitariste et compositeur Niko Wenner a orchestré ce voyage au bout de la nuit, assemblant patiemment les guitares meurtières, les cordes vénéneuses et la voix si particulière du colosse Robinson, qui nous entraîne dans les méandres de sa folie et de son dégoût. Dire que cette œuvre est forte, c’est un peu comme de dire que Jimi Hendrix ne jouait pas trop mal de la guitare.
(jediroller)
Panda Bear - Person Pitch
Qu’on aime ou pas les Animal Collective, une chose est sûre, ses membres ont du talent, et pour certains comme Noah Lennox (alias Panda Bear), cela tient de l’évidence. Il suffit pour cela d’écouter Person Pitch (troisième album du garçon) et de s’y laisser lover, comme dans un monde parallèle. Entre psychédélisme, mysticisme, ballades pop, bidouillages électroniques, bruitages afro, césures musicales, Panda Bear nous emmène loin de nos réalités. Il parvient en une dizaine de morceaux bariolés à nous faire voyager mieux que personne, mettant à l’épreuve nos oreilles et notre cerveau, comme captivés par cette musique indigène, entre post-rock, prog, folk et synth-pop… Près de 40 ans après, Noah Lennox parvient encore à capter l’essence même de la musique psychédélique, tout en la remettant au goût du jour. 2007, année Panda Bear.
(flozik)
PJ Harvey - White Chalk
Après un Uh Huh Her en demi-teinte, l’attente de White Chalk oscillait entre inquiétude et curiosité, un album de PJ Harvey est tout de même un petit évènement en soi, d’autant qu’il fut annoncé comme étant entièrement composé au piano. Et effectivement, cela se confirme dès l’entame avec The Devil qui nous fait découvrir une facette de Polly Jean que nous ne connaissions que trop peu. Une fois la surprise passée, la constatation est sans appel : nous avons là un très bon disque, loin devant son prédecesseur (et même d’autres), faisant apparaître douceur et mélancolie au fil des chansons. Si le piano y est prépondérant pour souligner le chant, d’autres instruments, utilisés avec parcimonie, viennent subtilement relever les compositions de cet album finalement intemporel.
(Spydermonkey)
Radiohead - In Rainbows
Avec Radiohead, qui dit « nouvel album » se voit bien souvent partir en rime avec « surprise maximum ». Là où OK Computer s’érigeait en véritable chef-d’œuvre des années 90’s, là où le diptyque Kid A / Amnesiac faisait sensation en terme de révolution musicale, In Rainbows, lui, secoua légèrement le protocole habituel qui rythme toute nouvelle création. Annoncé à peine dix jours avant sa sortie et proposé au format numérique à un prix librement choisi par chaque acheteur, ce septième opus n’en finit pas de nous étonner à bien en regarder le contenu de plus près. Quatre longues années après Hail To The Thief, Radiohead nous présente ce qui est à la fois tout et son contraire. Tout, car en matière de sonorités, on retrouve à nouveau cette indécision désormais permanente entre rock à guitares et beats électroniques. Et son contraire, car en terme de production et de travail accompli, il apparaît évident que la bande d’Oxford a mis les bouchées doubles pour parvenir à une œuvre plus libérée au son particulièrement léché. Nude, Reckoner, Jigsaw Falling Into Place ou Videotape, autant de morceaux incroyables qui témoignent de la richesse d’un passé et d’un savoir-faire hors du commun. Alors que EMI raclait les fonds de tiroirs de sa collaboration avec Radiohead en créant de son propre chef un best-of sans queue ni tête, notre quintet y allait du sien avec In Rainbows, à ceci près que celui-ci n’était composé exclusivement que d’inédits. Quelle classe !
(Pol)
Sole And The Skyrider Band - Sole And The Skyrider Band
Organisant la rencontre entre les arrangements acoustiques tourbillonnants du multi-instrumentiste William Ryan Fritch, le dub évanescent et apnéique du producteur Bud Berning aka Skyrider et le hip-hop phagocytaire et virulent du génial Tim Holland, ce premier album de Sole & The Skyrider Band idéalement mixé par son compère Alias permet au co-fondateur d’Anticon, déjà auteur cette même année d’un petit précis d’abstract cauchemardesque et cinématique avec le Poly.sci.187 de Mansbestfriend ouvertement influencé par la SF morbide et subversive de John Carpenter, de laisser libre cours au lyrisme désabusé de ses allégories politiques mêlées de réminiscences plus personnelles au fil d’un dédale paranoïaque et schizophrène tendant tout droit vers une implosion finale funèbre et hallucinée :
(RabbitInYourHeadlights)
Soulsavers - It’s Not How Far You Fall, It’s The Way You Land
Alternant reprises (de Neil Young, des Rolling Stones ou encore du superbe Spiritual de Spain) et compositions originales, Rich Machin et Ian Glover s’attaquaient à l’americana avec cette digne suite du ténébreux Tough Guys Don’t Dance qui les avait révélés quatre ans plus tôt en héritiers prometteurs de Massive Attack période Mezzanine. Au timbre spleenien du grand Josh Haden, leader de Spain, succède ici entre deux instrumentaux celui plus rocailleux mais tout aussi profond de Mark Lanegan, qui habite à lui seul ou presque ces complaintes downtempo hésitant entre abîme et lumière diffuse. De retour l’an dernier avec un Broken plus convenu et manquant de concision, les trois hommes, épaulés tout de même par Jimi Goodwin des Doves ou encore Bonnie « Prince » Billy au chant chacun sur un morceau, tenaient alors une alchimie parfaite à la Tricky entre rock atmosphérique, gospel torturé, folk méditatif et trip-hop entêtant. Un coup de maître.
(RabbitInYourHeadlights)
Supersilent - 8
Tout dans Supersilent transpire le concept : des pochettes aux titres de leurs albums ainsi que ceux de leurs morceaux, de leur credo, toujours le même – ne jamais répéter mais se rencontrer pour jouer, partout, en studio comme sur scène, improviser, s’enregistrer et voir où cela mènera – à leur label, également toujours le même, Rune Grammofon. Or, de prime abord, c’est vrai que le terme de concept n’appelle souvent qu’une seule et saine réaction : la fuite. Mais pas avec Supersilent. D’abord parce que ce groupe n’est pas à proprement parler une réunion de bras cassés aux velléités masturbatoires et techniques – Arve Henriksen à la trompette et Helge Sten aka Deathprod aux attaques audio virales (deux artistes dont les disques solo sortis eux aussi chez Rune Grammofon sont très fortement recommandés), Ståle Storløkken aux claviers et enfin Jarle Vespestad à la batterie – et ensuite parce que de ces improvisations naît quelque chose de subtilement et simplement beau.
Alors pourquoi le choix de ce 8 plutôt que les sept précédents ? Puisque tous les disques de Supersilent ont un dénominateur commun, un élément immuable que l’on retrouve sur chacun d’eux et qui façonne la patte de ce groupe atypique : le refus obstiné de la répétition. Leurs disques se trouvent être identiques dans le fait même de proposer une musique complètement différente de celle de l’opus précédent. Une nouvelle direction à chaque nouvel opus. Mais si jusqu’ici leurs disques arboraient tout de même une couleur, semblaient creuser un sillon (l’indispensable coffret bleu 1-3 présentant un long instrumental bruitiste découpé en trois albums, l’album charnière 4 qui amènera le groupe vers les horizons ambient de 5 et du très apaisé 6 ), 8 en revanche apparaît comme l’album-kaléidoscope de Supersilent, opus bien sûr toujours différent des précédents, mais opus où chaque piste se révèle elle aussi complètement différente des autres. Un disque-somme mêlant morceaux confus, noirs, franchement inquiétants, jusqu’au-boutistes et presque hardcore (8.1, 8.7 et 8.8), expériences rythmiques (8.3 et 8.6), recherches fouillées sur la voix (8.5) et rêverie céleste (8.4), free-noise et symphonies spectrales. Jamais musique si peu préméditée n’avait paru paradoxalement si construite.
8 est un splendide album, qui ne s’épuise pas puisque chaque écoute se révèle différente, éclairant une facette restée jusqu’ici dans l’ombre et il est même possible d’écouter une piste encore et encore et y trouver pourtant des nuances inattendues jusque-là.
Magnifique, funèbre, à écouter fort et longtemps.
(leoluce)
John Vanderslice - Emerald City
On doit beaucoup à John Vanderslice quant à la belle musicalité de cette décennie. D’une part en tant que fondateur du studio Tiny Telephone établi dans la banlieue de San Francisco et qui a vu passer des artistes tels que Death Cab For Cutie, Mountain Goats, Nada Surf, Spoon, Okkervil River, Two Gallants... Mais aussi en tant que songwriter et avec 7 albums à son actif il aurait été dommage de se priver du plaisir. Non pas qu’il révolutionne le genre indie à l’américaine dont on loue souvent les mérites ici, bien au contraire, tout ça reste de facture relativement « classique ». Mais la touche finale est particulièrement audacieuse, notamment sur cet Emerald City où les saturations, crépitements, et une multitude de détails (des choeurs à la Diesel And Dust de Midnight Oil, par exemple, fallait que je le dise) finissent par convaincre de la richesse de cet album. C’est tout simple, de cet dualité entre morceaux impeccables et finitions remarquables est né un album indispensable, et puis voilà, ça aussi fallait que je le dise.
(indie)
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