Landscape en toute simplicité (Part 2)

Toujours en compagnie de Guillaume de Chirac, on continue de discuter de Landscape et de ses à-côtés : ce troisième et superbe album éponyme sorti aujourd’hui, les prochains concerts, les autres projets à venir, le label Square Dogs... Les sujets intéressants n’ont pas manqué durant cette interview.

IndieRockMag : Les questions suivantes étaient normalement destinées à Nicolas Leroux, tu peux sans doute y apporter quelques réponses. Quelle est la raison de son implication plus grande en parallèle de tous ses autres projets ? Est-ce que cela signifie que Landscape est selon lui une aventure bien différente de Overhead, une parenthèse comme The Fugitive Kind ? Ou simplement une suite logique ?

Guillaume : Je crois que son implication vient du fait que je lui ai demandé et qu’il était d’accord pour y participer, même s’il y avait d’autres projets à côté. Concernant ses autres projets, il a fait The Fugitive Kind, version solo. En ce moment, il est en effet en train d’enregistrer un nouvel album avec Overhead qui devrait sortir de façon assez imminente. Il devrait y avoir un 5 titres qui verra le jour d’ici quelques mois, en avril si tout va bien, et l’album dans la foulée. Il a tout fait tout seul, joué tous les instruments de la guitare à la batterie en passant par la basse. En effet, quand tu chantes comme cela, tu peux te permettre de faire les instruments tranquillement un par un. En tout cas, j’ai écouté quelques titres, et c’est prometteur. C’est une bonne nouvelle, avec en plus une maison de disques trouvée. Je l’attends avec impatience car j’aime beaucoup Overhead, j’aimais même déjà ce groupe avant de connaître personnellement Nicolas, Cyril et Richard. J’avais d’ailleurs été les voir à la fin d’un concert, avec mes maquettes du premier album, je leur ai demandé si cela les intéressait de venir et cela s’est fait tout naturellement. Et depuis, l’aventure continue avec les différents projets des uns et des autres.

Autrement, Benoît de Carp, dont le deuxième album est sorti l’année dernière, n’est donc plus présent au chant mais seulement en tant que guitariste. Et étrangement, il semble que sur cet album, la guitare soit moins présente que par le passé. Des raisons particulières ?

Comme je l’ai dit au début, il aurait dû faire ce nouvel album. C’est vrai que la guitare est plus absente. C’est dû à la composition, parce que j’ai mis tout simplement plus de claviers et à un moment je n’ai pas ressenti le besoin de surcharger avec des guitares. Elles sont en effet finalement très discrètes tout au long du disque, mais sont pour moi très importantes, car ce sont ces petits arrangements à droite et à gauche qui donnent tout leur caractère aux morceaux.
Et pour compléter, c’était Steffen Charron qui était historiquement le guitariste sur les précédents albums, Benoît l’était pour les besoins de la scène.

En parlant des concerts passés, nombre d’invités répondaient présents, ce qui ne doit pas être évident avec le planning chargé des uns et des autres. Est-ce que cela sera de nouveau le cas pour les prochains ou ce sera une tournée avec simplement les membres actuels du présent album ?

A priori, je ne voulais pas trop le dévoiler, mais au Café de la Danse, le 29 avril, ce devrait être à cinq, dans les mêmes conditions que pour l’album. A la base, j’avais pensé faire venir les cordes, car il y a quand même pas mal de nappes de cordes sur cet album, mais qui sont au final jouées avec des synthés. Ce concert aura la même direction que ce dernier opus. Il n’y avait pas non plus de volonté de surcharger en live. On va donc essayer en formation réduite et que le concert soit un peu plus rock. Il y a toutefois un risque que les gens venus aux concerts précédents où il y avait des cordes, ce qui fait toujours beau et sonne toujours bien, soient un peu déçus. J’ai un peu peur de cela, mais on va prendre ce risque et le but est de réussir, et de faire un concert plus consistant et plus direct. L’avantage que l’on a, c’est que l’on a un large choix de morceaux avec trois albums au compteur. On peut donc plus facilement monter un set qui tienne bien la route, sans faire venir notamment plusieurs chanteurs. On a d’ailleurs déjà une idée des morceaux que l’on va jouer, trois ou quatre du premier, autant du deuxième et les neuf du dernier. Il y a de quoi faire.

A l’origine, la musique de Landscape était dans une mouvance post-rock, cet album est dans un format plus classique, plus pop pour ainsi dire (si l’on excepte The Hood). Cette envie d’évolution et d’éloignement déjà entrevue sur le précédent album a-t-elle été naturelle ? Quelles peuvent en être les raisons ? Est-ce que l’univers post-rock ne correspond plus à vos attentes, semblant s’essouffler et tourner en rond comme certains peuvent le penser aujourd’hui ?

Est ce que j’ai enterré le post-rock ? (rires) Honnêtement, c’est comme je te disais avant cette interview par rapport au concert de Godspeed You ! Black Emperor, un peu. Je suis ressorti de la salle avec une étrange impression, comme si c’était une autre époque. J’ai cette sensation que le mouvement tourne en rond, et c’est peut-être les travers dans lesquels nous aussi, on est tombé. J’avais également cette envie de jouer autre chose et j’ai d’autre part toujours eu le côté chant qui m’attirait. C’est ce qu’il me manquait d’ailleurs au début et la raison pour laquelle j’ai fait appel à d’autres chanteurs. C’est sans doute pour cela que j’adore Sigur Rós, car il y a énormément de chant, même si la voix est utilisée comme un instrument. Il y a aussi cette voix aiguë et haut perchée que j’aime beaucoup comme je le disais tout à l’heure. C’est un peu comme un violon. C’est important une voix dans la musique. Si tu fais un album instrumental de 70 minutes, c’est un peu long et difficile pour retenir l’attention aujourd’hui. Certains l’ont très bien fait comme GY !BE à une époque. Musicalement sur cet album de Landscape, j’ai sans doute fait ce que j’avais toujours voulu faire, un album pop, en tout cas moins sombre et plus accessible. Le premier album n’était par exemple, pour certaines personnes, pas si évident d’accès que cela. J’y reviendrai peut-être un jour, parce que la musique que je fais s’en rapproche toujours un peu.

Justement au niveau des inspirations, on te sait apprécier beaucoup Radiohead (tu as d’ailleurs remixé Nude). Est-ce que tu as d’autres artistes qui t’inspirent, et peut-être plus particulièrement sur cet album ?

Les premiers retours que j’ai sur cet album donnent Radiohead comme une influence évidente. Je le prends évidemment comme un compliment. Par contre, la chronique de Magic dit notamment que le groupe plagie inconsciemment Radiohead. C’est un peu violent tout de même. On peut dire que Landscape s’aventure sur les terres de ce groupe mais de temps en temps le poids est trop dur à porter. Je l’accepte mais je trouve que c’est un procès que l’on fait souvent aux Français. Par exemple, les groupes anglo-saxons sont en général influencés par des artistes qu’ils apprécient. C’est tout à fait normal. J’ai été d’ailleurs surpris d’entendre dire que l’on fait complètement du Radiohead sur cet album, n’ayant pas cette impression. Par contre, je m’en réclame sans problème, comme beaucoup de monde, je pense que c’est le groupe phare de son époque. Après, j’apprécie également beaucoup Sigur Rós, même si leur dernier album n’est plus trop à mon goût j’apprécie finalement jusqu’à Takk. Comme quoi, on disait que le post-rock s’essouffle, c’est un peu la même chose pour les Islandais, c’est un peu dommage. Et pour cette année, le grand disque que je retiens, c’est celui de The National qui n’a par contre pas vraiment influencé cet album-là étant donné qu’il était déjà composé quand j’ai découvert High Violet. C’est en tout cas l’un des très grands disques de ces dix dernières années et cela faisait longtemps que je n’avais pas pris une telle claque à l’écoute d’un album.

Est ce que tu aurais d’autres révélations plus récentes ou même peut-être à venir ?

Le prochain Overhead, je l’espère. Sinon pas spécialement, je me rends contre qu’avec le temps, je deviens de plus en plus difficile. C’est paradoxal, alors que je suis musicien et que j’essaye de faire des disques qui peuvent plaire aux gens. Je connais les difficultés qu’un artiste peut avoir à faire un album.

Il y a quelque temps, vous aviez rejoué la musique d’In The Mood For Love durant sa projection. Est-ce que cela ne vous tente pas de faire véritablement une BO de film, la musique de Landscape s’y prêtant parfaitement bien ? Si oui, un réalisateur en particulier ?

En effet, j’adorerais mais pour l’instant on n’a pas eu de proposition. On a toutefois quelques contacts avec la télévision qui a par exemple passé quelques morceaux du premier album durant l’émission "Rendez-vous en terre inconnue". En accompagnement de paysages notamment, la musique de Landscape s’y prête bien. En tant que réalisateur, ce serait évidemment David Lynch, mais il ne nous a jamais appelés !

En changeant de sujet, vous indiquiez cette envie de proposer cet album au prix le plus adapté au format numérique. Vous êtes donc encore attaché au format physique de l’objet ?

Carrément, et particulièrement sur cet album. J’ai demandé à Isabelle Boularan si je pouvais utiliser deux de ses polaroids sur la pochette, parce que j’avais cette idée de faire une pochette recto-verso avec juste le nom Landscape et une photo, c’est un peu d’ailleurs pour cela que l’album n’a pas de titre. C’est une belle pochette dans un format digipack, je trouve. Il y avait une vraie volonté que cet album soit un objet que l’on conserve, comme d’autres se sont battus pour garder le vinyle, qui d’ailleurs revient. Mais je pense que le CD va disparaître, même si je suis encore attaché à ce format. Pour moi, faire en tout cas une belle pochette est essentiel. Le côté recto-verso a été réalisé simplement pour laisser à l’auditeur la liberté de l’ouvrir dans les sens qu’il désire et de choisir la pochette qu’il a envie. C’est un peu aussi parce que j’aimais bien les deux photos d’Elise et que je n’arrivais pas à me décider, et donc autant prendre les deux et faire une double pochette. Le plus amusant en plus, je l’ai su après, est que ces deux photos ont été prises le même jour, à la même heure, l’une après l’autre en se retournant uniquement. Je ne pensais même pas qu’elles avaient un rapport entre elles lorsque je me suis arrêté sur ces deux-là parmi les cinquante autres. J’en suis en tout cas très content, et cette pochette reflète bien la musique de Landscape qui est aussi contemplative. Finalement, acheter cet album dans un format physique est une bonne occasion de posséder chez soi des photos d’Elise Boularan qui commence à avoir une jolie réputation. Elle vient d’ailleurs de participer à une exposition au Musée d’Art Contemporain de Detroit, parmi tous les grands noms de la photo contemporaine. A part ça, chez Square Dogs, on a toujours fait des disques en format digipack qui coûtent peut-être un peu plus cher, mais en conservant des prix assez abordables, 10€ via le site ou 11€ à la FNAC. Aujourd’hui, c’est le prix que personnellement je me vois mettre dans un disque, je n’ai pas envie de mettre plus. Je préfère en vendre plus avec un prix abordable, et rendre le maximum de gens satisfaits.

Square Dogs est votre propre label que vous aimez comparer dans l’esprit et son mode de fonctionnement au label Constellation, une référence en la matière. Comment tout cela se passe-t-il exactement aujourd’hui ?

C’est compliqué. On l’a monté en 2005 avec Steffen Charron, guitariste de Landscape et qui mène son projet Simple As Pop. On jouait auparavant dans le même groupe, et depuis cette époque, chacun participe au projet de l’autre. On faisait des disques en auto-production et on réussissait à démarcher les magasins un par un pour les distribuer, mais on a constaté que s’occuper des factures sans une véritable structure derrière, c’était à la limite de la légalité. C’est pour cela que l’on a monté une SARL pour tenir la route juridiquement. Le père de Steffen nous a aidé pour la partie administrative, tandis que nous nous occupions de la partie artistique. On finance nos disques nous-mêmes, on met l’argent dans le label pour faire les disques, on enregistre nous-mêmes, on fait tout de A à Z. Après cela, on a signé Carp, qui était une volonté d’ouverture du label vers d’autres artistes que l’on appréciait. Malheureusement, cela s’est arrêté à Carp car nous n’avions pas les moyens d’investir sur d’autres groupes. On aurait aimé pourtant le faire et aller plus loin. Aujourd’hui, chacun finance ses propres disques que l’on distribue via Square Dogs et on fonctionne en collectif, c’est à dire que chacun peut aider les autres dans leurs projets artistiques respectifs.

Le label a connu quelques soucis de santé il y a quelque temps, est-ce aujourd’hui terminé ?

Combien de temps on va tenir, c’est assez difficile à dire ? Les disques se vendent moins comme pour tout le monde, la structure coûte de l’argent. On fait des disques pour le plaisir et on perd finalement de l’argent. Mais on est assez fier de la boutique en ligne de Square Dogs qui a permis de vendre un bon nombre de disques, les gens qui achètent un disque reviennent souvent pour en acheter d’autres. Le but est que les gens puissent écouter nos disques. On garde espoir car il y a des gens qui continuent à venir sur le site, une certaine forme de fidélité. Même si l’on reçoit des maquettes d’autres artistes, on n’est pas à proprement parler une maison de disques, on est juste un collectif qui s’est transformé en label indépendant et sort ses disques, on ne peut pas produire davantage en l’état actuel.

Que pensez-vous de la situation du label par rapport au marché actuel qui est dit en crise ? N’est-ce d’ailleurs pas une vision uniquement de certaines majors qui se préoccupent de la quantité au détriment de la qualité ?

C’est clair, ils n’annoncent pas cela pour se faire plaisir. Les majors ont d’autres soucis et d’autres vues. Mais tous les labels indépendants sont en galère. Les distributeurs, les magasins de disques ferment de plus en plus. Je pense que dans cinq ans, il n’y aura plus de disques dans les magasins. Tout est en train de se restructurer d’une manière différente. Nous-mêmes, nous avons arrêté avec notre distributeur pour vendre un nombre limité de disques avec les problèmes de gestion des retours. Le dernier album de Landscape sera par exemple vendu uniquement par Internet et dans deux FNAC parisiennes qui nous soutiennent depuis longtemps, même lorsque nous étions auto-produits. Pour l’instant, c’est notre vision à court terme, on regarde ce qu’il se passe autour et comment cela évolue. Avec la boutique Internet, c’est évidemment un peu plus de boulot, il faut emballer les disques, aller à la poste, mais il y a ce côté artisanal que personnellement j’apprécie. On a un certain contact avec les gens qui achètent des disques, on leur envoie un petit mot. C’est une façon de leur rendre la pareille, car aujourd’hui acheter un disque est en quelque sorte un acte engagé. Je suis d’ailleurs agréablement surpris de voir des gens acheter encore des disques. Cela existe encore ...

Tu as le dernier mot de cette interview, qu’as-tu à dire pour cette nouvelle année ?

Ecoutez The National ! (rires) J’espère que l’on va avoir de très bons disques car 2010 a été un peu décevant, je trouve. Concernant Landscape, on espère pouvoir faire une tournée, cette année. On a déjà une date parisienne. On a trouvé un tourneur qui travaille pour nous trouver d’autres dates en province. On aimerait tellement défendre cet album qui a été pensé pour être joué. Et cela permettrait de croiser enfin les gens à qui j’envoie les disques, à l’autre bout de la France. Ce serait très sympathique.

- Interview Landscape (Part 1)
-  Landscape en écoute sur Deezer


Merci à Guillaume pour sa disponibilité et le temps consacré à cette interview.

Label Square Dogs
Myspace Landscape

Elise Boularan Photographie


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