202project - Les Cendres Et Le Vent

Contenus dans une ossature synthétique et robotique, les morceaux de 202project n’en restent pas moins terriblement humains. Les Cendres Et Le Vent devrait nous accompagner un bout de temps.

1. La Terre Brûlée
2. Naufragés de l’Orage
3. L’Amour Brûle
4. Poupée de Verre
5. Les Cendres et le Vent
6. Mensonges Et Larmes
7. Frapper Le Premier
8. Ça Sent Le Roussi
9. Sauvagerie
10. Pour De Bon
11. Les Haut-Parleurs
12. Old Man Fuck
13. Rue De La Plaie (bonus track)

date de sortie : 01-04-2016 Label : 202prod

« Le vent se lève dans la vallée / Qui peut prédire sa destinée/ Le sable et la poussière sont déplacés / Le ciel et l’enfer sont à notre portée ». Ce couplet planqué en dernière position de La Terre Brûlée, titre introduisant Les Cendres Et Le Vent, nouvel album de 202project, pourrait constituer une belle profession de foi. Partagé entre ciel de traîne et idées noires, un vent tour à tour mélancolique et mauvais souffle sur les braises technoïdes et new wave disséminées partout. Le disque est sombre, parfois désespéré mais ne tombe jamais dans les affres du tire-larmes outré. Au contraire, rien n’est forcé, les morceaux trouvent invariablement la bonne distance qui les inscrit durablement dans la boite crânienne et on a vite l’impression que Les Cendres Et Le Vent a toujours été là, dans les étagères, et qu’on l’a écouté souvent. En outre, il offre, en contrepoint d’un propos majoritairement renfrogné, des passages beaucoup plus solaires où l’espoir n’est pas exclu.

C’est le miroir d’une époque moribonde qui montre bien que la résignation n’est pas la seule alternative et en ce sens aussi, ce disque fait beaucoup de bien. Il avance à mots choisis et ces derniers prennent corps au sein d’un environnement musical qui sait les mettre en exergue sans jamais s’effacer devant eux. Les textes sont donc tout aussi importants que les sons et l’on ne peut dissocier les uns des autres sans déchirer l’envoûtant canevas des morceaux. Un canevas construit avec trois fois rien mais à l’impact important. Adepte du less is more, on ne trouvera dans Les Cendres Et Le Vent (et par extension dans toute la discographie de 202project) aucune fioriture, aucune tentative d’embellissement ou de pourrissement, rien pour travestir une réalité qui se suffit a elle-même et qui n’a besoin d’aucune béquille pour toucher en profondeur. En parlant de sa vie, 202project parle aussi de la nôtre et ses vignettes douces-amères, voire complètement plombées, font écho, vibrent et deviennent parallèles à ce que l’on ressent.

Empruntant au post-punk, à l’indus, à la noise, à l’EBM ou au proto-grunge, l’ossature organico-synthétique empreinte d’un blues très personnel est bien sûr construite sur quelques éléments connus qui ne l’empêchent pourtant jamais d’être avant tout singulière. Si l’ensemble rappelle plein de choses, on ne sait jamais trop, au final, précisément qui ou quoi. Sans doute parce que le disque ne se dépare jamais de sa justesse, rendant toute tentative d’étiquetage inutile, bloquant l’écoute sur elle-même sans jamais donner l’envie d’aller voir ailleurs ou avant. On se déploie entre Les Cendres Et Le Vent tout comme ses morceaux se déploient dans la boite crânienne et bien vite, on dialogue avec lui en faisant fi du reste. Pelés mais aussi lucides (L’Amour Brûle, Frapper Le Premier et beaucoup d’autres), les titres succèdent les uns aux autres et explorent pêle-mêle le deuil, l’alcool, les explosions, les morts, les vivants, la résistance, la résilience, la colère, la violence et j’en passe avec une distance salutaire qui en préserve la finesse.


Oui, parce que tout cela pouvait se montrer un brin casse-gueule, tomber dans l’auto-apitoiement, la leçon de morale, le nihilisme ou toute autre approche un brin primaire mais rien de tout ça ici. À la place, la photographie d’une tranche de vie, celle qui coïncide avec l’élaboration, l’enregistrement et la sortie du disque, la musique se nourrissant de la substance qui en est à l’origine - la perte, les drames intimes (mais pas que), le flot ininterrompu d’informations tous azimuts, utiles ou néfastes, les images, les rencontres - tout à la fois résultat et point de départ. Une nécessité. Un credo. Martelés depuis un nombre conséquent de disques et de collaborations qui trouvent ici non pas une épiphanie mais une dernière mutation qui rajoute une couche purement mélancolique aux strates que l’on connaissait jusqu’ici. Plus ténu, scandé exclusivement en français (excepté Old Man Fuck en dernière position), Les Cendres Et Le Vent semble vouloir s’ouvrir et aller vers les autres, non pas que cette volonté était absente des précédents mais on sent tout de même qu’il y a là-derrière l’envie de partager ses ressentis et ses croyances.

Et puis tout cela aurait moins d’impact sans la musique : minimaliste, répétitive, elle résonne avec ce qu’il faut de force pour accompagner les textes sans prendre le dessus ni s’effacer. Portée par quelques beats pelés, une basse arachnéenne, une électronique ténue et une guitare écorchée, elle est coincée entre le gris clair et le noir tout du long. Pourtant, sous les apparences monolithiques se cache une vraie diversité, une multitude de nuances. Les titres sont tour à tour arrachés (La Terre Brûlée), résignés (Poupée De Verre), voire apaisés (Les Hauts-Parleurs), portés par une voix délavée qui déclame sans asséner. Difficile d’extraire un morceau de la masse, tous se valent mais certains trouvent une résonance intime et semblent avoir été écrits pour soi. Ce que communique Jean-Pierre Marsal, la tête et les doigts derrière ce one-man band stéphanois, c’est aussi ce que l’on vit. Très bien construit, très équilibré, difficile de ne pas tomber dans les mailles de ce disque au langage tout à la fois universel et personnel. « J’ai la douceur d’un horodateur pour te donner l’heure / J’ai la chaleur d’un congélateur pour les petits Führer » mais comme on se fout de l’heure qu’il est et qu’on a toujours craché sur les délires aryens, il va de soi que le propos général n’est ici ni mécanique ni congelé.

Envoûtant et tellement bien vu.


Pour l’instant disponible aux formats numérique et CD digipack, Les Cendres Et Le Vent prendra bientôt également la forme d’un beau vinyle transparent limité à trois cents exemplaires.

Chroniques - 12.04.2016 par leoluce