Drive With A Dead Girl - Reign Falls

Dernier album en date de Drive With A Dead Girl après dix années d’existence, Reign Falls impressionne.

1. Reign Falls
2. Boogie Man
3. The Low Flying Swan
4. Hijra
5. Oumarik
6. Horizons
7. JHH
8. Slow Mobile

date de sortie : 28-04-2017 Label : Tandori Records/En Veux-Tu ? En V’Là/Quelque Part Records

Reign Falls pour un album qui trompe son titre. Dix années d’existence, neuf occurrences et Drive With A Dead Girl garde intact le souffle complexe qui l’habite. Complexe car portant bien haut ses élans contradictoires : post-punk canal historique aux accents frondeurs, des morceaux à l’apparence ténue qui se déploient dans toutes les directions, une simplicité qui emberlificote ses racines dans un parterre exubérant. On l’entend dès le premier titre éponyme : une entame feutrée, retenue, toute voix en avant qui bute sur un refrain où, d’un coup, c’est tout le contraire. Le chant se fait chœur, les instruments passent au premier plan, il n’y a bien que le rythme lent qui perdure avant que l’ensemble ne se pare d’accents ritualistes avec batterie tribale et cris incantatoires. Tout cela sans jamais rendre le morceau difforme. Les mouvements coulent sans à-coups les uns dans les autres et ce qui apparaît à l’échelle d’un seul titre est ensuite maintenu sur l’ensemble du disque. Rien ne s’y ressemble mais le rendu est pourtant uniforme. Le groupe a donc une patte. Un truc bien à lui. Érigé patiemment en dix années et qui aboutit aujourd’hui à Reign Falls, un album de cadors. Mêlant ce que les Lillois ont déjà exploré jusque-là et des accents plus inédits - tout du moins pour l’entité Drive With A Dead Girl - glanés du côté de chez Le Gras par exemple. Aujourd’hui, le post-punk abrasif et sexy revêt une grosse vibration rituelle qui flingue les degrés excédentaires qui n’étaient de toute façon déjà pas bien nombreux. Elle était présente auparavant - notamment sur le précédent, Le Rivage - mais semble poussée encore plus avant et donne naissance à des titres comme The Low Flying Swan ou Hijra au sein desquels le froid emporte tout. Ce n’est pas non plus drastiquement décharné mais le givre les recouvre indéniablement. Pourtant, malgré le côté solennel qui pourrait rendre l’écoute malaisée et ennuyeuse, on reste accroché aux enceintes tout du long. La complexité vient de là aussi. Au sortir des huit titres, on aura bien du mal à en cerner un seul, les contours étant majoritairement flous, tout comme la construction des morceaux à bien y regarder. Tout au plus retiendra-t-on une ambiance générale mais qui, elle aussi, finira par s’évaporer devant une écoute plus attentive. Reign Falls se montre ainsi labyrinthique mais réussit le tour de force de ne jamais nous égarer. Une gageure. Qui en fait certainement tout le sel.

La complexité vient enfin des partis pris de Drive With A Dead Girl. La démarche D.I.Y. n’empêche nullement l’ambition. Celle qui concoure à l’originalité de sa musique - sans cesse mouvante, respectant ses traits principaux mais ne s’interdisant jamais les à-côtés ou les chemins de traverse, conciliant des intentions a priori inconciliables (l’exploration et la justesse, la douceur et le bruit) - repose sur des fondations qui partout ailleurs s’effriteraient bien vite. Prenons la voix d’Alexia, par exemple, qui se retrouve parfois toute seule sur les devants (l’entame de Reign Falls, celles de The Low et d’Oumarik), complètement à poil. Exposée dans toute sa fragilité. Et si l’on se dit souvent que c’est approximatif, on se rend bien vite compte que ça ne l’est complètement pas. Bien campée sur ses guibolles et à sa place, sans elle les morceaux ne fonctionneraient pas aussi bien, il leur manquerait quelque chose. Idem concernant certains sons très ’80s et suspects qui devraient, en temps normal, faire fuir les tympans (l’harmonium qui arbore des airs de melodica, dirait-on, sur Boogie Man et Slow Mobile ou, plus loin, le refrain d’Horizons) mais qui, au contraire, ne sont ici rien d’autre que de chouettes idées qui apportent finalement beaucoup à l’ossature générale. Album funambule par excellence, Reign Falls suit une trajectoire accidentée où les occasions de sa casser la gueule sont nombreuses mais non. Il tient debout et déroule d’élégants morceaux qui égratignent autant qu’ils apaisent. Maîtrisant tous les aspects de sa musique, Drive With A Dead Girl peut désormais bien faire ce qu’il veut, il sonnera invariablement comme du Drive With A Dead Girl et invariablement bien. Rien à jeter ici, tout à explorer, de la sérénade inquiète et écorchée de The Low au post-punk arachnéen et très froid d’Hijra, de la mélodie solaire et suspendue de JHH, elle aussi paradoxalement très froide, jusqu’à l’extrême mélancolie de Slow Mobile, pas le moindre pas de travers qui pourrait nous faire décrocher et ternir le clair-obscur d’un disque complètement maîtrisé et tout simplement beau. Et cela sans gommer tout ce que cette musique peut avoir d’abrasif et de non domestiqué. Toujours pas décidé à arrondir ses angles ou à repasser ses contours au gros feutre noir, imperméable aux modes et au temps qui passe, Drive With A Dead Girl continue son bonhomme de chemin tout comme on continuera à les suivre les yeux fermés.

Une trajectoire ascendante durant dix années qui préfigure celle - probablement aussi captivante - des dix années à venir.


Le vinyle de Reign Falls est disponible chez Tandoori Records, En veux-tu ? En v’là et Quelque Part Records.


Chroniques - 28.04.2017 par leoluce
 


Le streaming du jour #1004 : Drive With A Dead Girl - 'Alma Ata II'

Depuis 3 en 2008, Drive With A Dead Girl a pris soin de livrer un nouveau disque chaque année. Il aura fallu patienter jusqu’aux dernières encablures de 2013 pour voir la couleur d’un nouvel album mais cette attente aura été tout sauf vaine.