USA Nails - Shame Spiral
Shame Spiral, nouvel album d’USA Nails, reste fidèle au credo des Anglais. Sombre et sauvage, il est aussi plus court mais pas moins carnassier.
1. What Is The Price ?
2. Interchangeable Sister
3. Does Format Matter ?
4. Celebrity Carpet
5. I Give In
6. Play It Again Johnny
7. Prepare Prepare
8. The Robots
9. University Home
10. Eisbær
USA Nails ter. Toujours pas assagi. Mais désormais un peu plus rampant. Enfin, en tout cas, c’est l’impression que donne la première écoute. Peut-être la voix en retrait sur What Is The Price ? en ouverture ou les lignes de basse moribondes qui tapissent quelques titres (notamment Eisbær en toute fin) ? Bien sûr, on retrouve immédiatement nombre d’accents familiers renvoyant aux deux précédents (la rythmique indéboulonnable ou Interchangeable Sister, comme du USA Nails prototypique) mais pourtant, quelque chose a changé. Quoi ? Difficile à dire. Les fondations peut-être ? Tout en bas, tout au fond. Les Anglais explorent leurs soubassements et les morceaux donnent l’impression de ne jamais vouloir décoller, les pieds irrémédiablement collés à l’asphalte, voire même enracinés en-dessous. Les mouvements restent véloces, les guitares tentent de jeter bien loin leurs giclées corrosives mais rien n’y fait, la force de gravité se montre plus forte encore. La basse - énorme - s’enfonce et le disque s’enfonce avec elle, la platine aussi. Elle entre en lévitation mais à l’envers, traversant les strates et creusant le sol de son empreinte. C’est un mouvement général qui pousse Shame Spiral vers le bas. Shame Spiral ? Bien vu. Le titre résume parfaitement le disque. Patraque et exténué - « One tired arm from hours of pushing a pen around various papers » - le moral dans les chaussettes, la honte au bord des lèvres et la haine de soi (et des autres) au fond des yeux, USA Nails montre pourtant les crocs et quand il cogne, il vise systématiquement le ventre tout en lançant sa répétition aliénée à l’assaut du cortex - les banderilles chlorhydriques de Celebrity Carpet, voire Play It Again Johnny ou les « I give in » désespérés du morceau du même nom. Bref, on continue à en prendre plein la gueule mais pourtant, encore une fois, quelque chose a changé. Le disque file vite et tout s’enchaîne sans temps mort, ce côté-là demeure. En revanche, on ne trouve plus aucun titre comme They’d Name An Age sur le précédent qui avoisinait les six minutes. Ici, c’est resserré dans le temps et tout le temps concis.
Ensuite, dans ses attaques, USA Nails reste toujours nuancé et on sera bien incapable de trouver des points communs entre, au hasard, la reprise des Suisses de Grauzone (si si, rappelez-vous, le groupe de Stephan Eicher), Eisbær et le noise-rock incandescent et implacable de Does Format Matter ? (« Rewind your vinyl/cassette - Collect your vinyl/cassette - I don’t object, but I worry if it matters »), si ce n’est bien sûr les accents inquiets et pas du tout guillerets, franchement maussades et souvent glauques. De ce côté-là, rien de nouveau non plus. Toujours ces fractures, ces lignes de fuite amalgamées aux uppercuts qui rendent la musique impitoyable et retorse. Le noise-rock s’acoquine au post-punk et à la no wave puis à bien d’autres choses encore, le rendant frémissant et vivant alors que le propos se révèle invariablement dur et poisseux. Peut-être cette impression de changement vient-elle alors du gros grain qui enrobe le disque ? L’enregistrement en prise directe, au plus près du live - toujours Wayne Adams - cherche une nouvelle fois à capturer l’essence vibrante du groupe mais c’est vrai que l’ensemble sonne encore plus renfrogné que d’habitude, légèrement plus étouffé aussi sans pour autant en amenuiser la sauvagerie. Toutefois, derrière sa violence et ses atours jusqu’au-boutistes, USA Nails demeure d’une grande finesse et garde le même talent pour écrire des morceaux qui, sous le déluge carnassier, s’avèrent finement ciselés. À l’image du formidable The Robots, par exemple, qui refuse de payer son tribut à Kraftwerk, la rythmique devenue pour l’occasion presque robotique s’opposant à la teneur générale des paroles (« We’ll never be the robots [...] Ignore what Ralf Hütter said. Florian Schneider is a liar. Karl Bartos, shut up and Wolfgang Flür ») mais on pourrait détailler comme cela plein d’autres titres, renfermant eux-aussi leur lot de trouvailles et nombre ahurissant d’idées : Celebrity Carpet et Play It Again Johnny dont l’apex explore le large spectre des aigus, Prepare Prepare, sa rythmique marteau-piqueur et ses chœurs cinoques ou encore University Home et ses ondes démonte-pneus, tous violents-mais-pas-que, tous concis, tous fracturés, tous portés par des riffs ciselés qui s’entortillent autour de la batterie métamorphe et de la basse nauséeuse, la voix et ses invectives toujours quelque part là-dedans.
Quelque chose a changé c’est sûr, même si on voit bien que, finalement, tout est pareil. USA Nails demeure une passionnante et jubilatoire machine de guerre dont on n’est pas près de faire le tour. Beaucoup de nuances, beaucoup d’intelligence, l’envie permanente d’en découdre, le beau vinyle bleu pâle de Shame Spiral, malgré ses vingt-cinq minuscules minutes, rejoint sans discussion possible ses deux remarquables aînés.
Disponible en précommande chez Bigoût Records (vinyle bleu ou vinyle noir) et Hominid Sounds (vinyle rouge ou vinyle noir), on ne saurait trop vous conseiller de vous précipiter dessus avant qu’il n’y en ait plus.
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