Material Girls - Leather
Tout aussi foutraque qu’irrésistible, Leather de Material Girls est bien difficile à cerner.
1. Residual Grimace
2. Ya Ya
3. Wade Into The Creek
4. There She Goes
5. Tightrope
6. Camera Girl
7. Dav’s Lament
8. Kill After Kill
Dès Residual Grimace, tout premier titre de ce tout premier long format, Material Girls dévoile ses armes : une guitare capiteuse, une basse qui l’est tout autant, une voix possédée et une trompette qui ferraille avec un saxophone, possédés ces deux-là aussi. Ça commence tranquille mais le morceau quitte bien vite l’asphalte lisse et autoroutier pour batifoler sur le revêtement beaucoup plus rugueux des bas-côtés. Derrière la doxa punk, on identifie des pincées de glam (comme le montre la photographie plus bas, le groupe joint le geste à la parole) associées à des poussières de goth (entre autres petites choses) et un goût assez prononcé pour la théâtralité et l’emphase. Mais bizarrement, ça ne frôle jamais le trop-plein. Tout est pesé, soupesé, distribué avec parcimonie et l’ensemble reste harmonieux bien que sous tension permanente. La faute aux cuivres déballant une freeture particulièrement bien sentie qui, en renfort du chant rageur, précipite le morceau dans un genre de no wave aussi déstructurée qu’inattendue. À l’instar de ce titre d’ouverture, Leather est vraiment un drôle d’objet. Groovy et retors, rien n’est jamais simple à son écoute. Alors qu’on pense l’avoir cerné, il se dérobe systématiquement ; on y décèle des traces de B-52’s, ESG, Pere Ubu ou des Banshees - un inventaire à la Prévert pourtant loin d’être exhaustif - qu’une écoute attentive balaie d’un simple revers de la main et on finit par renoncer aux bêtes tentatives de catégorisation car l’animal se montre bien trop imprévisible pour cela. Material Girls louvoie entre plusieurs pôles - noise, funk, soul, punk, afrobeat, cabaret, blues, fanfare, post-punk et j’en passe - et refuse de choisir son camp camarade, préférant les contours flous et le marquage fugace aux chemins tout tracés. Mais qu’importe puisque Leather se montre en permanence pertinent et passionnant dans tous les styles. Tant pis pour l’analyse donc, on se hisse sur le dos de la bête et on la laisse aller où elle veut bien nous porter.
Material Girls passe sans arrêt du coq à l’âne mais préserve l’unité de Leather par sa très viscérale énergie. C’est vraiment ce qui caractérise cette collection de morceaux par ailleurs très hétéroclites. Le groupe s’échine à les apprivoiser, à contraindre le flot grouillant qui les habite mais tous, absolument tous, restent au bout du compte parfaitement chaotiques. Même lorsqu’elles calment le jeu - sur There She Goes par exemple - les Girls demeurent possédées et malsaines et extirpent une force insoupçonnée d’un rythme à peine plus rapide que l’immobilité. Imaginez alors quand elles lâchent les chiens comme sur le fabuleux Dave’s Lament, grand morceau complètement toxique conjuguant monologue déjanté et sauvagerie instrumentale. Tout à la fois glauque et raffiné, tranquille et violent, ciselé et flou, Leather sidère en permanence : Ya Ya et son orthodoxie post-punk battue en brèche par des cuivres vicelards, le funk déviant et chauffé à blanc de Wade Into The Creek, le foutraque et Waitsien Tightrope, le tropicaliste mais néanmoins déjanté Camera Girl ou l’ultime et bluesy-cramé Kill After Kill maintiennent bien haut l’entropie d’un disque franchement très singulier. D’autant plus qu’il ne s’agit somme toute que du premier, le sextette d’Atlanta n’ayant avant ça qu’un EP à son actif, MG VS IQ (2017), où il mélangeait déjà l’orgueil au désespoir et travaillait son cuir d’une manière très personnelle. Bref, avec Leather, Material Girls débarque de nulle part et va on ne sait trop où mais une chose est sûre, on les suivra les yeux fermés. On les sent bien désaxées et dangereuses mais pas grave, on y est déjà très attaché. Sur la pochette, bustes et crânes se la jouent bondage, des breloques surgissent de partout, l’enchevêtrement est tout à la fois kitsch et séduisant. Il n’y a pas à dire, la nature morte résume bien ce que l’on entend. Dense et iconoclaste, Leather s’empare d’une multitude de stéréotypes pour les réduire en miettes et les recycler dans quelque chose de totalement nouveau que l’on ne se lasse pas d’explorer.
Irrésistible.
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