Anglaise d’origine tchèque et basée à Berlin, de formation classique mais orientée vers la bass music et la pop électronique, on sait depuis le départ qu’Emika ne fait rien comme tout le monde... en témoigne également ce parcours qui la vit carrément débuter du côté du géant britannique Ninja Tune avec son meilleur disque pour se retrouver 3 ans et un album plus tard (le décevant DVA) à autodistribuer ses sorties en toute indépendance via sa propre structure Emika Records.

Une trajectoire en dents de scie qui s’est ressentie musicalement puisqu’à l’élégance anxieuse, vénéneuse et mélangeuse d’un premier opus au parfait équilibre entre son de Bristol, dubstep et modern classical ont fait suite dans les années 2010 des longs-formats plus lisses et inégaux, d’un DVA emphatique donc à l’hédonisme technoïde de DREI et Falling In Love With Sadness en passant par le symphonique Melanfonie qui entre chant d’opéra et orchestrations lyriques donnait un peu trop dans la démesure pour ne pas nous perdre en chemin. Restait donc Klavírní et ses instrumentaux post-classiques angoissés, et puis plus rien de ce calibre depuis 2015 jusqu’à la sortie en 2020 d’une très belle suite, Klavirni Temna, et de Chaos Star, album d’expérimentations instru à la croisée de l’ambient à synthés, de l’electronica et du sound design, renouant dans ses meilleurs moments avec une certaine dimension hantée, de quoi laisser espérer un retour au choses sérieuses pour l’un de nos plus grands espoirs électroniques du tournant des 10s... retour en forme dont en voit enfin la couleur avec HAZE, dans la foulée de plusieurs tracks en collaboration (dont un avec Horace Andy) qui semblent avoir contribué à remettre la musicienne sur de bons rails.

Un retour également vers le futur du passé qui passe avant toute chose par la case dubstep (celui d’un Burial plutôt que d’un Skrillex, cela va sans dire) dans un brouillard de textures réverbérées et de chant éthéré (star key), parvenant à nouveau à incorporer avec naturel ce goût pour un piano néoclassique plombé (Harmony) pour finalement nous rappeler au genre de vortex de malaise et de mélancolie mêlés qui faisaient tout le prix de l’homonyme Emika (Haze, ou le très épuré instrumental Waltz). Par moments les beats se font plus appuyés sans pour autant déjouer le spleen organique des compositions (Ache), à d’autres ils s’effacent pour laisser de l’espace au romantisme tristounet du piano et des vocalises noyées d’effets (Writer).

Puis, étonnamment, le chant lui-même en vient à se mettre en retrait (Smoke) puis à disparaître totalement sur des titres à la fois percutants et presque hantologiques (4/4, Low End), sortes de réminiscences tourmentées d’une époque que l’on imagine marquée par des déceptions et des regrets, entre deux transitions ambient ou synthétiques (Lull, Film), au point que la deuxième partie du disque s’avère être entièrement instrumentale, ce qui eut été un suicide commercial chez Ninja Tune de la part d’une artiste dont les plus gros succès à l’époque flirtaient avec le trip-hop (les singles Count Backwards ou Drop the Other) mais devient ici le symbole d’une renaissance dans l’exigence. Superbe disque.