Ghost Days, un nouveau conte de fait pour Syd Matters.

Vous demanderiez, vous, à un boulanger mélomane de vous mettre de côté un album frais du matin ? Eh bien c’est un peu pareil quand on interviewe Jonathan Morali : on a un peu l’impression d’être à côté de la plaque, le sentiment de forcer quelque chose de pas très naturel. Car le jeu de la promo a beau être un passage "obligé", on imagine qu’à tout prendre, le leader de Syd Matters préfèrerait laisser sa musique parler pour lui... ce qui tombe bien, car Ghost Days, le magnifique nouvel album du groupe parisien, à beaucoup à dire et à faire entendre. On remercie donc d’autant plus Jonathan d’avoir joué le jeu malgré tout, et de nous avoir éclairé sur le parcours et la philosophie de ce groupe à part dans le paysage français.

Indierockmag : L’écriture de ce nouvel album, comme celle des deux précédents, s’est déroulée en partie dans l’isolement le plus total, seul dans votre appartement. Est-ce la condition indispensable pour que naissent vos chansons ?

J’ai commencé a faire de la musique vers 14/15 ans, dans ma chambre, à l’abri du regard des autres. J’imagine que c’est un repère qui m’est resté. C’est l’endroit ou je fais des chansons.

Indierockmag : On trouve sur Ghost Days des morceaux écrits bien avant les sessions de l’album, et on imagine qu’il y a encore beaucoup d’autres titres qui attendent dans un tiroir. Qu’est-ce qui vous décide à mettre une chanson sur album ou au contraire à l’abandonner provisoirement ?

En général je préfère me concentrer sur les titres les plus récents,
durant l’enregistrement, histoire de rester en phase avec l’état
d’esprit du moment. Il y a un morceau sur le nouveau disque qui est
effectivement ancien, il doit avoir 4 ou 5 ans. Mais nous avions déjà
tenté de l’enregistrer pour le deuxième album, et c’est pour moi le
symbole du chemin parcouru à nous cinq, car il a beaucoup évolué
jusqu’à prendre son sens sur cet album. C’est celui qui ouvre Ghost
Days
.

Indierockmag : Everything Else, After All These Years, Me And My Horses apparaissent comme de véritables morceaux collectifs, travaillés ou retravaillés par les musiciens qui vous accompagnent. Syd Matters est-il devenu au fil des années un groupe à part entière ou est-ce toujours le projet ouvert de Jonathan Morali ?

Je suis a l’origine des compositions, mais contrairement aux albums précédents, j’ai voulu intégrer très tôt mes camarades dans le processus de construction et d’arrangement des chansons. Ce sont mes amis, par période on vit les uns sur les autres, je n’aurais pas composé de la même façon si je n’avais pas partagé autant avec eux. C’était naturel que l’on fasse ce disque ensemble.

Indierockmag : Dans ce troisième album, vous multipliez les références à des artistes que vous appréciez fortement : les paroles « Shame on you crazy Jackson » (sur le titre Ill Jackson) en référence à Pink Floyd, le morceau Louise pensé comme une suite à Suzanne de Leonard Cohen, ou Big Moon, hommage musical non déguisé à Pink Moon de Nick Drake. Aimeriez-vous faire vous-même l’objet d’un hommage, un Tribute par exemple, ou serait-ce pour vous le signe d’une fin imminente ?

Drôle de question... C’est comme si on demandait à un boulanger s’il serait flatté qu’on lui dédicace un croissant. Heu... oui ? Mais j’attends de
faire vraiment des bons croissants, au beurre par exemple, ou aux
amandes.

Indierockmag : Depuis vos débuts, vos influences semblent clairement situées du côté de musiciens anglo-saxons capables d’allier songwriting intimiste, ampleur atmosphérique, ambiances évanescentes et économie d’effets. Ainsi, en plus de ceux déjà cités, on pense autant à Radiohead et Robert Wyatt qu’à Midlake ou Alfie en écoutant vos morceaux. Vous
sentez-vous intimement relié aux univers de certains de ces artistes ?

Ce qui me touche chez ces musiciens, et ce qui les caractérise
selon moi, c’est une personnalité qui transcende les genres. Ce sont
des gens un peu isolés, qu’on ne rattache pas automatiquement à une
famille musicale, à une scène. Il en est de même pour tous les
artistes qui m’ont influencé. Je crois que la raison a cela est
justement le fait qu’ils ne se sont jamais posé la question. Ils se
contentent d’aller au plus proche de ce qu’ils sont. C’est une philosophie que je partage.

Indierockmag : Dans le même ordre d’idées, avez-vous l’impression d’être coupé de vos racines musicales ici en France, ou y connaissez-vous des groupes qui partagent cette sensibilité ? Pouvez-vous par exemple nous dire quelque mots sur le groupe Ill Jackson, auquel semble faire référence le morceau Ill Jackson sur votre nouvel album ?

Non je ne me sens pas isolé ici, je suis entouré d’amis musiciens qui ont la même conception de la musique que moi, le même mode de vie aussi. J’ai la chance de bénéficier d’un peu plus d’exposition médiatique, mais ma singularité s’arrête là. Pour Ill Jackson... avez-vous vraiment écouté ce groupe ? Je ne pense pas, car le cas échéant vous n’auriez pas posé cette question... allez ne vous vexez pas...

Indierockmag : La mélancolie est le thème principal et fédérateur de votre œuvre. On se dit même que sans ce spleen, ce désespoir intense, Syd Matters n’existerait pas. La musique est-elle pour vous une thérapie ?

Non ce n’est en aucun cas une thérapie. Ça ne résout rien du tout. C’est
juste une forme d’expression, celle qui me convient le mieux, et qui
témoigne de ce que la parole ne peut pas dire. Mais je ne sais pas
vraiment ce que ça veut dire "mélancolie"... c’est un peu quand on ne
sait pas si on est triste ou juste fatigué, si on est joyeux ou un
peu saoul.

Indierockmag : Chez Syd Matters, un disque ne peut être abouti sans pochette bien pensée et réalisée. Y a-t-il un message que vous souhaitez adresser via l’artwork d’un album ?

Jason Glasser ! J’ai eu un choc quand j’ai vu ses œuvres, je lui ai demandé de travailler avec nous. Sophie Mathoulin, sa femme, a mis en forme. C’est à eux que l’on doit cet artwork. Jason est en train de travailler sur un clip pour nous. Je lui fais confiance, ce qui est maladivement rare chez moi.

Indierockmag : Pourquoi avoir mis un centaure sur la pochette de Ghost Days ?

C’est pas vraiment un centaure que je voulais, c’est ce centaure-là en
particulier. Il a l’air fatigué, pas très frais, c’est un peu le centaure qui rentre chez lui une fois que le conte est terminé.

Indierockmag : Syd Matters est devenu depuis 2002 un groupe incontournable de la nouvelle scène française. On imagine que beaucoup d’artistes vous sollicitent pour devenir leur parrain ou leur donner des conseils. Comment se déroulent ces prises de contact ? Y a-t-il un artiste en particulier sur lequel vous portez un espoir ?

Je suis entouré de musiciens talentueux, New Pretoria, Tahiti Boy and the Palmtree Family, Los Chicros, Stuck in the Sound... pour qu’on fasse de la musique ensemble, il faut d’abord que l’on soit copains, que l’on ait envie de passer du temps ensemble. La musique vient naturellement après. J’ai travaillé avec H-burns sur son deuxième disque qui sort en février, on s’est rencontré en tournée, on a bien rigolé, on est devenu copains et puis on a fait de la musique ensemble, c’est le schéma habituel pour moi.

Indierockmag : Trois albums et une Bande Originale de film en près de six ans, c’est pas mal, aussi bien d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Au terme de ces six années, comment jugez-vous l’évolution de votre musique ?

Je n’ai aucun recul sur le parcours de Syd Matters. La
bande originale de la Question Humaine est le résultat de la rencontre avec Nicolas Klotz... les albums racontent notre chemin, de la manière la plus juste possible.

Indierockmag : Syd Matters est en évolution constante et travaille pour s’améliorer. Dans quel(s) domaine(s) y aurait-il encore, selon vous, des efforts à faire ?

Faire de la musique pour moi, c’est arriver à se détacher d’un savoir-faire, c’est accepter le fait que chaque nouveau disque doit être une remise en question, comme si c’était le premier. Essayer de se réinventer tout le temps. Je n’essaye pas de m’améliorer parce que je ne construis pas quelque chose sur l’expérience acquise. J’essaye justement de me débarrasser de cette expérience quand j’écris des chansons.

Indierockmag : Si Ghost Days devait être le début de quelque chose, ce serait ...?

Le début de l’acceptation. Je suis comme ça, je peux pas vraiment changer, j’essaye d’accepter mes défauts et mes qualités, ce que je suis.


Ghost Days sort le 14 janvier, mais de larges extraits de l’album sont écoutables en avant-première sur la page myspace de Syd Matters.


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