IRM Expr6ss #19 - spécial "radicaux libres", part 1 : Cadlag, Mike Cooper, Fatboi Sharif & Driveby, Julek ploski, Puce Moment, Staraya Derevnya

Harsh noise, exotica, hip-hop déstructuré, collages baroques, électro/ambient mystique et free improvisation hallucinée : le seul point commun entre les artistes mis en avant dans cet article, qui sera suivi d’ici quelques jours d’une seconde partie, est leur propension à se jouer des carcans, des canons esthétiques de l’époque et des attentes du public, même celui, naturellement exigeant, des niches que constituent leurs orientations musicales respectives... si tant est que l’on puisse clairement définir ces dernières. Une double sélection réservée à nos lecteurs les plus ouverts d’esprit, et comptant plus d’un favori maison de ce début d’année !




- Cadlag - Tensor (Pharmafabrik, 7/05)

Livraison annuelle (ou pas loin) et nouveau chef-d’oeuvre de terrorisme sonore pour le combo d’extrémistes slovènes emmené par le patron du label Pharmafabrik, Simon Šerc (aka PureH) et le sorcier IDM/noise Neven M. Agalma (Dodecahedragraph, Ontervjabbit). Enregistré entre cavernes, cathédrale et bâtiments industriels, Tensor déroule sur une grosse cinquantaine de minutes son drone magnétique et bruitiste (Legionela, Cavern) aux éclats harsh malaisants (Spekula) et autres incursions électroniques viciées (Ampula). Soit neuf titres comme autant de tempêtes sous un crâne (Kompakte), tour à tour belliqueux (la menace dissonante de Matrix) et insidieux (Interval, Asbestopluma) mais toujours vecteurs d’une atmosphère de fin des temps qui n’avait jamais aussi fortement résonné avec nos angoisses collectives.



- Mike Cooper - Eternal Equinox (Room40, 23/05)

En parlant de livraisons annuelles, le globe-trotter britannique nous avait laissés sur une paire de réussites en 2024, à commencer par le remarquable Slow Motion Lightning il y a tout juste 6 mois, également chez les Australiens de Room40. Toujours dans cette même veine que l’infatigable octogénaire affectionne depuis quelques années, Eternal Equinox télescope ambient tropicale, exotica narcotique et guitare slide déglinguée, sur fond de grouillements organiques, de bruits de la faune insulaire et autres percussions en cascade, une forme de psychédélisme électronique proche de la kosmische musik se faisant par ailleurs plus présente dans le background de morceaux tels que The Sarong Tailors Song, Solar Charge ou Jaguars, sommets d’onirisme de cet excellent cru.



- Fatboi Sharif & Driveby - Let Me Out (Deathbomb Arc, 24/04)

On a beau admirer le goût de Fatboi Sharif pour un rap expérimental volontiers déstructuré (cf. ici avec Bigg Jus de feu Company Flow, ou avec Duncecap à la production), l’ogre du New-Jersey en irait parfois presque trop loin dans l’abscons et c’est par moments le cas ici sous l’impulsion aux manettes d’un certain Driveby, également new-jersiais et croisé récemment au côté de Wavy Bagels. À vrai dire, les écoutes se multiplient et l’on ne sait toujours pas vraiment quoi penser de ce Let Me Out, album de freak arty aux ambiances glauques comme sa pochette, fait de beats concassés, voix pitchées, samples distordus, saturations menaçantes et autres synthés bitcrushés... mais le fait est que l’on y revient de temps à autre, intrigué par ce downtempo cauchemardé tirant régulièrement sur une ambient droguée, probablement la marque d’un grower qui s’ignore.



- Julek ploski - Give Up Channel (mappa.editions, 20/02)

On découvre seulement cette année ce musicien polonais à la page Bandcamp déjà bien achalandée depuis 2018, et c’est une petite révélation. Défendu par le label slovaque mappa, Give Up Channel sonne un peu comme la rencontre fantasmée entre les collages sonores dadaïstes de The Books (Crippled, Give up Theme), le maximalisme ludique de Cornelius, les mutations électro-acoustiques contrastées d’Oval ou Christophe Bailleau et d’étranges réminiscences hip-hop (les scratches de Naysayer), trance (Hollywood) ou même néo-classiques (J Maxwell’s Interlude Pt 1, magnifié par le spleen vocal enfantin à la múm des débuts d’une certaine Yikii, Truth, Economy, etc). Un disque extrêmement bien produit qui sait jouer sur les silences et le choc des contraires, à la fois avant-gardiste et régressif (cf. les VST cheap du libertaire Titanic), qui ne ressemble finalement pas à grand chose de connu et impressionne par sa gourmandise d’expérimentation paradoxalement rendue accessible par une dynamique assez irrésistible.



- Puce Moment - Sans Soleil (Parenthèses Records, 21/03)

Faisant suite à leur remarquable double livraison de 2023, Nico Devos et Pénélope Michel (également actifs sous le nom CERCUEIL dans une veine plus électro-pop) continuent d’explorer avec Sans Soleil les frontières poreuses entre ambient texturée et techno organique faisant la part belle aux synthés analogiques et modulaires. Incorporant cette fois les instruments traditionnels du collectif nippon Gagaku Music Society captés au Japon en 2020, le duo lillois se fait particulièrement cinématographique et immersif ici, percussions, cordes et flûtes évoquant autant le mysticisme bouddhique de l’époque de Nara (Kangen), du nom de l’ancienne capitale près de laquelle s’est justement rendu le groupe pour enregistrer, que les fresques guerrières d’Akira Kurosawa (Taiko), appuyés par un drone magnétique (Shô) ou une dark techno minimale façon Plastikman ou Stroboscopic Artefacts (Hashiri Mai, Bugaku). Un bijou, non sans atomes crochus avec ce disque du belge Empusae qui avait fini haut dans mes bilans de l’an dernier, et dont la noirceur se trouve joliment contrebalancée ici et là par les vocalises éthérées de Pénélope.



- Staraya Derevnya - Garden Window Escape (Ramble Records/Auris Media, 2/05)

Après Julek plosk, on termine sur une autre révélation, celle du collectif anglo-israélien Staraya Derevnya qui avec 30 années d’activité et pas moins de 7 longs-formats en un gros quart de siècle, incluant le présent Garden Window Escape, n’en est pourtant pas non plus à son coup d’essai. Consistant en 7 titres de durées disparates (3 à 12 minutes), l’album conjugue assez brillamment hypnotisme hérité du krautrock (Tight-lipped thief), dissonances libertaires presque noise-jazz (Myshhh faisant même penser à un cousin aquatique de Colin Stetson avec ses motifs minimalistes et comme étouffés de clarinette basse), textures crépitantes (cf. What I keep in my closet dont la psyché-folk fantasmagorique évoque quant à elle Current 93 ou Moongazing Hare) et vocalises "imbibées" à la Tom Waits, le tout en un grand chaos organisé qui jamais ne se complaît dans aucune sorte de confort. Une étonnante mixture culminant tout particulièrement sur la longue progression aussi déglinguée qu’habitée de Half-deceased uncle, morceau-fleuve dont l’imagerie incompréhensible du commun des mortels (Gosha Hniu semble chanter en hébreu) est probablement au diapason de cet univers musical halluciné.


Articles - 14.06.2025 par RabbitInYourHeadlights
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