Get Well Soon - The Scarlet Beast O’ Seven

Dans le monde du lyrisme, de la grandiloquence et de l’emphase musicale, il existe plusieurs catégories : les cyniques, apôtres du second degré et du recyclage, comme Sébastien Tellier, Of Montreal ou MGMT. On trouve également les mégalos comme Muse. Enfin, plus rares, les sincères, comme Mercury Rev, Neil Hannon ou Get Well Soon.

1. Prologue
2. Let Me Check My Mayan Calendar
3. The Last Days Of Rome
4. The Kids Today
5. Roland, I Feel You Voir la vidéo Get Well Soon - Roland, I Feel You
6. Disney
7. A Gallows
8. Oh My ! Good Heart
9. Just Like Henry Darger
10. Dear Wendy
11. Courage, Tiger !
12. The World’s Worst Shrink
13. You Cannot Cast Out The Demons (You Might As Well Dance)

date de sortie : 27-08-2012 Label : City Slang

La séparation entre la troisième et la seconde catégorie est mince, exemple type, Arcade Fire. S’il y a une caractéristique propre à ces trois catégories c’est la notion de kitsch, comme l’entend l’auteur tchèque Milan Kundera. Cette négation du laid se traduit pour les premiers par une récupération de gimmicks datés et surannés, dans l’optique soit de provoquer un effet nostalgique, soit une distance ironique. Pour les seconds, il s’agit de maximiser ses effets dans le but de cacher la pauvreté de son propos. Mais pour la troisième catégorie, la plus difficile à cerner, il ne s’agit pas de suivre une mode ou de satisfaire son ego (enfin pas seulement), mais d’abord de témoigner d’une sensibilité à fleur de peau, puis d’exploiter toutes ses influences sans se fier au contexte musical de l’époque et enfin ne surtout pas flirter avec le second degré. Ce genre d’album, témoignage sincère ou véritable désir de proposer de l’inédit est parfois mal perçu, il suffit de voir l’avalanche de bois vert pour le pourtant splendide dernier album de Mercury Rev, qui n’en démordait cependant pas face aux poids lourds du moment comme MGMT ou Of Montreal, ou la bataille d’Hernani autour du second album de These New Puritans.

Mais jouer uniquement de ces caractéristiques pourrait sembler assez vain, et la grande qualité de Konstantin Gropper est de posséder un songwriting irréprochable. Après Rest Now, Weary Head ! You Will Get Well Soon en 2008, qui nous fit découvrir pour la première fois la pop flamboyante et baroque de l’Allemand, il embraye sur un album beaucoup plus intime et sombre, Vexations, confirmant les espoirs placés en lui tout en affinant son style. Pourtant, là où l’on aurait pu s’attendre à un troisième album beaucoup plus dépouillé, il revient à ses premiers amours : The Scarlet Beast O’ Seven Heads est un album beaucoup plus léger, voir ludique dans sa manière de provoquer un plaisir immédiat, en confrontant directement l’auditeur à une avalanche de références tant musicales que cinématographiques. Grandiloquent et épique, Get Well Soon ne tombe pourtant pas dans le piège du mélange contre-nature et boursouflé, à la différence de Muse qui offre désormais une diarrhée musicale à mi-chemin entre Rachmaninov et Skrillex.

Gropper à l’intelligence d’utiliser son savoir faire de compositeur classique dans l’unique but de servir son propos et son univers. Car chez Get Well Soon c’est toujours la volonté d’émerveillement qui prime et comme Konstantin Gropper se cachant sous le pseudo du groupe, sa musique se cache derrière des albums concepts, narratifs et cinématographiques, qu’il dirige comme un véritable réalisateur, avec des titres relevant du domaine de l’imaginaire collectif et de l’humour (Let Me Check My Mayan Calendar, Disney, etc.).

Mais pour autant ses références ne servent pas de faire-valoir ni de cache-misère. Elles sont tout d’abord révélatrices d’une générosité, d’un hommage à la culture pop et bis, autant dans la musique que dans les clips du groupe. Elles témoignent d’une véritable singularité, car Konstantin Gropper à l’art de partir du général pour toucher à l’intime. Alors bien sur, les inconditionnels de Vexations seront, à la première écoute, déçus par ce nouvel album, où sa sensibilité n’est pas aussi directe, du moins pas de la même façon. Ils auraient tort car The Scarlet Beast O’ Seven y gagne en liberté et en folie.

Dense et construit, de son ouverture, Prologue, lancinante, avec un harmonica de vieux cowboy fatigué, jusqu’au dernier morceau You Cannot Cast Out The Demons (You Might As Well Dance), clôturant l’œuvre comme un générique, sample cinématographique, synthétiseurs, montée crescendo, chœur et cuivres, l’album est une plongée à l’intérieur même de l’imaginaire de Gropper, son propre film, agencé en petites vignettes et histoires. L’opus tout entier est donc un concentré de ses obsessions musicales et cinématographiques. La première partie est la plus flamboyante, celle qui imprime au mieux la pellicule . On y croise ainsi Bernard Herrmann, John Barry et Philip Glass dans Let Me Check My Maya Calendar. The Last Days of Rome (un écho de We Are The Roman Empire sur Vexations  ?) est tout à la fois un morceau pop, à la rythmique saisissante, servi par une guitare à la reverb épique, qu’un hommage, non seulement à Morricone comme on peut s’y attendre mais aussi à tout un pan des bandes originales du cinéma bis italien, que ce soit les Giallos d’Argento (influence que l’on retrouve sur le morceau suivant The Kids Today) et la musique de Goblin ou des compositeurs plus méconnus comme Cipriani ou Bruno Nicolai. Des références qui atteignent leur apogée sur le morceau Roland, I Feel You et son clip démentiel à mi chemin entre Jodorowski et Leone.


Il agit comme une sorte de Tarantino de la pop, qui piocherait dans ses archives et ses souvenirs pour retranscrire ses émotions. Puis de la féerie du bien nommé Disney au virevoltant A Gallows, la premier partie de l’album s’achève, et l’on observe un véritable changement de ton à partir du très beau Oh My ! Good Heart, pour une suite qui devrait ravir les amateurs de Vexations. Just Like Henry Darger (après Les Marquises, une nouvelle allusion au peintre américain) commence comme une ballade avant que la rythmique s’emballe et surviennent des choeurs extatiques. Sur Dear Wendy, on pense à un mélange improbable entre Michael Nyman et Francois de Roubaix, qui débouche sur Courage, Tiger ! et son introduction dans le style de la musique composée par Popol Vuh pour Aguirre (après l’hommage à Herzog sur l’album précèdent) pour finir par muer en pur Get Well Soon : romantisme sombre, lyrisme, montée crescendo et orchestration énergique, sans équivoque l’un des sommets de l’album, le meilleur même si Gropper nous offre encore deux morceaux de haute tenue, clôturant ainsi l’album de la plus belle des manières. Tout d’abord The World’s Worst Shrink, ballade bossanova aux relents de Mancini, et surtout You Cannot Cast Out The Demons (You Might As Well Dance), déjà mentionné, qui finit de vous achever par sa puissance émotionnelle rare, et dont la fin brutale sur un larsen et un vieux piano nous fait attendre la suite avec impatience.

Créateur d’un univers rare, passerelle entre les genres et les continents, de l’ouest mythique au kitsch transalpin, Get Well Soon fait preuve d’un savoir faire unique. Des morceaux aux compositions changeantes, des drames, des combats épiques et un lyrisme romantique, The Scarlet Beast O’ Seven s’offre à l’auditeur comme le meilleur blockbuster de cet fin d’été. Gropper, artisan honnête et doué, livre à travers sa vision et ses délires, sans afféteries ni second degré envers ses référents, un univers qui est tout aussi généreux que personnel.

Chroniques - 30.08.2012 par John Trent
 


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