Chausse Trappe - Chausse Trappe
Kythibong sort ces jours-ci le dernier témoignage de Chausse Trappe. Ça vibre, ça part dans tous les sens, ça se cherche et ça nous trouve. Indomptable, cet éponyme s’avère bien difficile à décrire mais peu importe puisque tout est dit dans sa musique.
1. Grandgousier - Août
2. Grandgousier - Mars - Partie I
3. Grandgousier - Mars - Partie II
Disque posthume d’un groupe qui n’existe plus depuis peu. Une magnifique épitaphe quoi qu’il en soit. Simplement nommée d’après la formation qui en est à l’origine : Chausse Trappe par Chausse Trappe. C’est sobre, c’est élégant et c’est aussi très pratique car la musique qu’elle renferme est définie tout entière par ces deux mots collés ensemble (et tant pis s’il manque un tiret, on voit très bien ce que ça veut dire). C’est qu’on ne sait jamais où vont nous emmener ces morceaux. Ni s’ils vont s’arrêter à moment donné. D’ailleurs quand ils s’arrêtent, on se dit que c’est bien trop tôt. Et puis là aussi, il s’avère judicieux de parler de « morceaux ». Ce sont vraiment des fragments de quelque chose de plus grand. Mis bout à bout, ils constituent un ensemble qui relève de l’errance. Ils portent tous le même titre, ils frisent tous le quart d’heure, sont au nombre de trois mais représentent deux formes de la même composition, dont l’une scindée en deux. Mais franchement, ça ne s’entend pas forcément. Ça passe du coq à l’âne, ça cultive les digressions, ça s’enferme dans une répétition mouvante qui aime chambouler ses structures et la fin ne ressemble jamais au commencement. On se perd donc très vite dans cette musique que l’on aura également du mal à définir : groove kosmische omniprésent, free rock, psychédélisme tribal, ethno-machin, psycho-chose, difficile de savoir ce que l’on entend et c’est évidemment très bien comme ça. Un beau bordel en tout cas, parfaitement hypnotique, très enfermant, aiguisé à certains moments, plus émoussé à d’autres, souvent sec et hargneux mais toujours accueillant. Bref, une musique qui cultive les chausse-trapes, les pièges et les accidents, qui nous embringue ici tout en se construisant là et donne le tournis à force de courir tous les lièvres à la fois.
Amalgame du violon de Clément Mouturier, des deux basses de Nicolas Joubaud et Mériadeg Orgebin (qui s’occupe également de la guitare à l’occasion) et de la batterie de Johann Mazé, le quatuor constitue un polygone aux angles certes droits mais à la surface extrêmement plastique. À certains moments, ils poursuivent conjointement la même direction et à d’autres, chacun fait ce qu’il veut dans son coin et malgré tout, ça reste en permanence cohérent. Construits sur des ossatures métamorphes, on reconnaît de longs drones de ci-de là, des déchaînements de violence mêlés à des passages bien plus apaisés où le groupe semble planifier ce qu’il jouera l’instant d’après, le rectangle se reconfigurant au gré des chemins empruntés. C’est bien là l’une des grandes réussites de Chausse Trappe l’album : l’expertise de Chausse Trappe le groupe. Une expertise qui rend visible le plaisir de jouer ensemble tout en le faisant sérieusement. Ça joue serré, ça peuple les moindres interstices et ça rend la densité, véritable trait saillant de la formation, aérée. Bref, un bloc massif et homogène cultivant sa variété, son ouverture. La même composition enregistrée en mars puis en août donc (la version mars divisée en deux parties), affublée d’un patronyme polysémique : Grandgousier. Personnage rabelaisien, poisson des insondables profondeurs à grande gueule ou hôtel-restaurant sis un peu partout en France, peu importe ce qu’elle évoque puisque tout lui convient. La première partie de mars, répétitive, est portée par une guitare aux larsens conquérants à laquelle, bien vite, s’amalgame le violon, elle déchire l’espace de ses zébrures acides et, coiffée d’un apex à tête chercheuse, présente des fondations disloquées. Mars-Partie II est du même tonneau mais propose un long prologue contenu et presque silencieux finalement dynamité par un fracas massif et bruitiste absolument jubilatoire.
C’est sans doute août qui s’avère le plus classique des trois bien que la notion même de classicisme s’avère un brin paradoxale lorsqu’il s’agit de définir une telle musique impétueuse qui semble se construire au moment même où elle est jouée. Morceau parcouru d’un vent vibrionnant, carré et légèrement moins mouvant, il finit tout de même par abandonner ses angles droits tout en présentant quelques prises sur lesquelles s’appuyer. Finalement, Chausse Trappe est dans la parfaite continuité de 420m3 37’14", leur cavalcade inaugurale de 2011 et montre à quel point ce groupe était taillé pour le live. Du coup, on se sent coupable de n’avoir jamais croisé leur route et de n’en avoir pas parlé avant. Toutefois, il s’accommode parfaitement du format studio puisque l’enregistrement, libre et naturel, donne l’impression d’avoir surpris le groupe en répétition et en transe, essayant de démêler les multiples embranchements des structures hypnotiques qui naissent sous leurs doigts. Parfaitement résumé par sa pochette symétrique et ondulatoire à la fois qui privilégie le noir et le blanc, écouter Chausse Trappe s’apparente à une longue errance initiatique, électrique et sensorielle, de celles dont on aimerait qu’elles ne s’arrêtent jamais.
Chant du cygne peut-être mais à tel point vibrant et vivant que l’on sait qu’il résonnera encore longtemps.
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