Top albums - février 2015

Où l’on se rapproche dangereusement de Diabologum et de sa "neige en été"... un bilan de février fin avril ça devient vraiment n’importe quoi, en espérant que la sélection qui suit vous aidera à supporter ces écarts de température inopinés et plus ou moins indépendants de notre volonté.


1. Mount Eerie - Sauna


Encore un top qui n’échappe pas à l’ami Phil Elverum !

Pourtant, après l’indispensable diptyque Clear Moon / Ocean Roar en 2012 et une série de live alléchants en 2013 (notamment l’excellent Live in Bloomington, Sept. 30th, 2011 ), la parenthèse Pre-Human Ideas, massacre en règle de morceaux passés version ’’computer music’’ dégoulinants de sons MIDI et de vocoder, avait de quoi faire perdre espoir. C’est en terrain conquis et au sortir du sauna qu’on le retrouve, porté par les mêmes introspections, par une folk épurée et mystique, baignée de légers drones et d’envolées électriques, d’élans black metal... une parfaite suée d’émotion en bonne compagnie (les chants des fidèles Geneviève Castrée, Allyson Foster, Ashley Eriksson et Paul Benson, et la flûte d’Evin Opp) et de petites craintes parfaitement dissipées.




(Riton)


2. 2kilos &More - Lieux-Dits


"Retarder la chute et la déchéance, tel semble être le credo de Séverine Krouch et Hugues Villette. Une démarche qui ne s’applique pas seulement sur le plan discographique. Leur musique est chargée d’une pulsion visant à résister au précipice.

A mi-chemin permanent entre l’IDM et le rock industriel - comme si Four Tet ou Autechre s’associaient à Nine Inch Nails ou Einstürzende Neubauten - 2Kilos &More s’applique à ne pas choisir une orientation particulière.

En s’appuyant sur une base d’éléments sonores sombres sur laquelle se greffent des beats martiaux et des riffs de guitare abrasifs et étirés, le duo s’engouffre davantage encore dans le sillon radical tracé depuis le 8Floors Lower initial en 2007. En somme, cet album sombre, riche et cohérent n’attend plus qu’un auditoire plus conséquent."


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(Elnorton)


3. Father John Misty - I Love You Honeybear

S’il n’avait - en dépit du parfait Nancy From Now On beau comme du Beach Boys 70s - qu’à moitié convaincu avec Fear Fun en 2012, premier opus de Father John Misty trop "classique à l’Américaine" pour faire honneur au talent dans le dépouillement spacieux et passionné aux arrangements solaires et clairsemés que l’on connaissait à ses meilleures sorties signées J. Tillman, c’est bien en poursuivant dans cette même direction avec autant de sincère engagement et d’introspection que de causticité et d’autodérision mêlées que l’ex Fleet Foxes réalise son meilleur album depuis le parfait Year In The Kingdom d’il y a six ans déjà.

A poil comme jamais avec ces chansons aussi crues dans leur dimension romantique que pour leurs aspects politiques, le natif du Maryland enchaîne d’emblée complainte ironique et désespérée aux orchestrations terrassantes (I Love You, Honeybear), love song décalée tous cuivres latins et cordes capiteuses en avant (Chateau Lobby #4), classique instantané de lyrisme 60s (The Night Josh Tillman Came To Our Apt.) et même une incursion chillwave sonnant comme si les Pet Shop Boys avaient patienté une décennie pour demander à Dntel d’enluminer leur Behaviour de scintillements impressionnistes (True Affection). Autant dire que l’album démarre sous les meilleurs auspices mais contre toute attente et après quelques titres légèrement en-deçà, I Love You Honeybear réussit le petit exploit de rallier les mêmes sommets, de l’incandescent The Ideal Husband au simple et poignant I Went To The Store One Day en passant par le tragi-comique Bored In The USA ou surtout Holy Shit et sa mélodie à tomber, guitare-piano-voix il n’en faut pas plus quand l’inspiration crève le plafond alors que dire quand cordes flamboyantes et chœurs démesurés viennent transcender cette ode à l’humain face au poids des dogmes, au vide des concepts et au chaos du monde ?

De toute évidence, un chef-d’œuvre sans âge dont le songwriting merveilleux ne fera pas que marquer l’année.




(Rabbit)


4. Matana Roberts - Coin Coin Chapter Three : River Run Thee

Troisième volet du projet Coin Coin, River Run Thee est le plus beau.

L’une des problématiques en vue du moment, c’est la synthèse dite "Great Black Music". De D’Angelo à Kanye, en passant bien sûr par le dernier Lamar, l’impression qui ressort est que, pour faire un disque qui soit accueilli dans un délire critique généralisé quand on est noir, il faut que le disque soit un commentaire sur l’histoire de la musique noire, l’histoire des Noirs américains, l’histoire tout court. Il y faut de la soul, du jazz, du funk ; de la transcendance des genres et du respect pour les Anciens. Cette ambition, qui peut tuer une certaine spontanéité dans un genre comme le rap et donner une impression de prétention (coucou Kendrick ; bonsoir Kanye), Matana Roberts ne s’y dérobe pas. Elle le fait mieux que tout le monde parce qu’elle ne cherche pas le chef-d’œuvre : elle parle, elle fait parler.

Le projet Coin Coin (12 chapitres prévus !) en est donc à son troisième épisode. Après le grand orchestre semi-free ( Gens de couleur libres ), l’ensemble plus réduit très New Orleans ( Mississippi Moonchile, le moins libre peut-être), voici l’album en solo, le plus beau, le plus fou, le plus déchirant. Entre plainte au saxo post-Coltrane et mélopée spoken word obsessionnelle, le disque semble ouvrir une porte qui donne directement accès à la souffrance extrême, mais aussi au soulagement, d’une narratrice presque parfois en-deçà du langage ; et qui réussit l’exploit d’honorer la mémoire (thème central de l’œuvre) de la souffrance noire américaine tout en nettoyant les ponts qui relient le free jazz ultrapolitisé US (on pensait beaucoup à Shepp sur le premier volume et à sa somme Attica Blues ), l’avant-garde nord-européenne de type ECM, comme réquisitionnée et sommée de rendre justice à ses influences, et les tendances contemporaines les plus abstraites (ambient, field recordings, hypnagogie).

Disque maximaliste donc, qui jamais ne sonne cependant comme un travail : tout ceci, plutôt que digéré et régurgité, est invoqué parce que ça n’est pas possible autrement. C’est là qu’est la beauté du disque : ce qu’on entend avant tout, c’est un disque, une femme : une voix. Une voix sublime.




(Norman Bates)


5. BADBADNOTGOOD & Ghostface Killah - Sour Soul


Ghostface Killah, c’est une discographie longue comme le bras avec nombre de pépites dedans (si on fait quand même abstraction de sa période RnB). GFK, c’est plus de 20 ans de rap game dans les pattes, c’est aussi l’un des seuls membres du Wu-Tang Clan à tenir encore la route et c’est surtout Twelve Reasons to Die et 36 Seasons, deux albums géniaux sortis coup sur coup en deux ans. Alors qu’est-ce qui a bien pu prendre à ce vieux briscard du hip-hop pour aller s’acoquiner avec les trois Canadiens de BabBadNotGood tout juste sortis d’affaire avec leurs problèmes d’acné ?
Bien sûr, les BBNG, c’est du tout bon, avec déjà trois albums instrumentaux entre jazz-hop et "vrai" jazz et des feats avec les nihilistes d’Odd Future, les petits gars de Toronto commencent à se faire un nom, mais de là à leur laisser les rênes sur un opus, le pari était risqué. GFK avait-il perdu la tête ? Non, car Sour Soul fonctionne superbement bien, mais pourtant est-ce qu’on ne serait pas passé à deux doigts de l’un des albums de l’année ?

Je m’explique. Après Twelve Reasons to Die et 36 Seasons, on aurait aimé un peu de changement, bien sûr l’ambiance gangsters des années 60/70 façon série B est une belle réussite, les BadBadNotGood assurent admirablement bien, le taff est là (quoique parfois trop scolaire), mais GFK recycle toujours ses vieux fantômes et nous refait le coup du proxo pimp, thème archi-éculé dans sa discographie. Où est la prise de risque ?
Autre bémol, Sour Soul manque de folie, les productions sont toutes de qualité, mais elles sont lentes et squelettiques alors que Ghostface Killah devient grand quand il est cerné de luxuriance et qu’il devient dingue.
Pour couronner le tout, GFK assure le service minimum, un couplet par titre, pas plus, c’est du tout bon comme toujours, mais c’est bien maigre pour nous rassasier car ensuite Ghostface laisse la main aux BBNG et aux excellents feats de (Danny Brown, Elzhi, MF Doom ou dans une moindre mesure Tree) qui eux se lâchent et rehaussent chaque piste.

Finalement, on aurait pu penser à un coup de folie de Ghostface Killah alors que Sour Soul sonne pépère le concernant, l’album est bon, voire même très bon si on le considère comme un opus des BadBadNotGood avec GFK en guest et c’est dommage car on est peut-être passé très près de quelque chose d’admirable.




(Spoutnik)


6. John Carpenter - Lost Themes


John Carpenter aura attendu ses soixante-sept printemps pour nous livrer son premier album. Il ne faut pourtant pas y voir un caprice de sexagénaire, façon David Lynch et son passage à l’acte musical avec Crazy Clown Time en 2011. John Carpenter connaît son sujet. A l’exception de quatre de ses films - et aucun majeur, à l’exception de The Thing  -, le natif de Carthage avait pris l’habitude d’assurer lui-même la composition de ses bandes originales.

Lost Themes est donc un premier album sans en être un. Il s’inscrit finalement dans la continuité des précédentes œuvres musicales de son auteur. Le synthétiseur est omniprésent et contribue à l’instauration d’ambiances lugubres et ténébreuses. Dans l’esprit, l’ensemble est forcément très cinématographique, si bien que l’on pense parfois à Halloween ou In the Mouth of Madness.

Seul bémol, on pourra regretter un manque de rupture dans la monotonie qu’appelle davantage l’exercice de la bande originale. Un exercice dont, malgré la haute qualité de l’ensemble, John Carpenter parvient difficilement à s’affranchir.




(Elnorton)


6. Kreng - The Summoner

"Fidèle à Miasmah, le Belge Pepijn Caudron livre un troisième opus austère et habité, album de deuil dont la progression solennelle et désespérée depuis les premiers stages du déni et de la colère jusqu’à la douloureuse acceptation, toute en piano sensible et arrangements feutrée, en passant par l’inévitable dépression est dédiée à plusieurs amis proches décédés l’an dernier.

Dominé par les crissements névrosés et autres crescendos plombés d’un ensemble de cordes évoquant l’angoisse cosmique de Ligeti (le grondant Anger) voire les cauchemars de Penderecki (le final de Denial), The Summoner marque une nette rupture avec l’hantologie expressionniste et baroque coutumière à ce metteur en son de théâtre contemporain, privilégiant aux multiples samples cinématographiques ou jazzy qui émaillaient les cauchemars de ses flippants - et fabuleux - prédécesseurs L’Autopsie Phénoménale de Dieu et Grimoire une instrumentation live sobre et rampante.

Drones sourds et percus caverneuses sur un Depression au majestueux final synthétique, guitares doomesques et orgue psyché des compatriotes Amenra sur un morceau-titre ample et protéiforme, cette geste mortuaire demandera ainsi davantage d’attention pour dévoiler pleinement son souffle singulier nimbé d’ésotérisme mais les amateurs du genre, sachant pertinemment où ils mettent les pieds, ne seront pas déçus de sentir le sol se dérober au bout d’une poignée d’écoutes religieuses... ou antéchristiques ?"




(Rabbit)