Octobre 2024 - les albums de la rédaction

Alors que certains dégainent déjà précocement leurs classements annuels autosatisfaits dans une parfaite ignorance du foisonnement de l’underground qui lui n’arrête jamais, jusqu’au tout dernier jour de l’année parfois, et se moque bien des conventions anachroniques du music business (les sorties le vendredi ? quelle idée !), on en remet une couche mensuelle avec probablement le mois le plus dense et qualitatif de ce cru 2024, en témoignent la centaine d’albums et EPs mentionnés dans notre agenda au moment où l’on met un point final à ce bilan.

Plus resserré, novembre fera néanmoins l’objet de quelques bafouilles rapides dans un tout dernier top albums début décembre, avant le lancement des hostilités de fin d’année dont le ou les format(s) se discute(nt) encore dans les couloirs de la rédaction...



1. Laura Marling - Patterns in Repeat

Rabbit : "Cette fois plus besoin d’oripeaux extravertis ni de mélodies alambiquées comme avec l’increvable Gurdjieff’s Daughter, sommet de Short Movie il y a déjà presque une décennie. La magnificence de Patterns in Repeat, à la mesure de ses thématiques de maternité, d’extraordinaire dans ce qu’il y a pourtant de plus naturel - enfanter, voir son bébé grandir et perpétuer un cycle de vie aussi fragile qu’immuable, découvrir aussi les conséquences de ce changement sur son existence, plus complexes qu’on ne l’imaginait - tient dans son évidence et son apparente simplicité, paradoxalement doublée d’une ambition inédite chez la Britannique en termes de narration musicale. Au crescendo de textures rêveuses, d’échos et de cordes savamment dosées de Patterns et aux choeurs séraphiques de Your Girl répond ainsi un peu plus loin le sommet désespéré du disque, The Shadows, qui en croise les éléments pour mieux les retourner, de l’espoir au spleen affligé. Quant au capiteux Caroline - très Bert Jansch meets Dylan sous les auspices de Nick Drake aux arrangements -, ses élans ne font que mieux ressortir l’introspection délicatement orchestrée du très beau Looking Back qui lui fait suite puis le repli encore plus intimiste d’un Lullaby bucolique, dont la reprise instrumentale après un Patterns in Repeat de nouveau ample et enivrant avec sa coda de violons à la Andrew Bird ou Laura Veirs circa 2007, permettra paradoxalement d’ouvrir l’album à une forme d’infini dans sa circularité même, parfaite incarnation de cet éternel recommencement des choses à l’échelle du monde menant à autant de petits bonheurs uniques à notre humble degré... un merveilleux vertige sans avoir l’air d’y toucher."

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Elnorton : Difficile d’être plus exhaustif et précis que mon compère concernant cet album aussi renversant que désarmant. Evidemment, de Nick Drake à Andrew Bird, en passant surtout par Laura Veirs, les références s’imposent comme des évidences à nos oreilles et, pour poursuivre le name-dropping, j’ai également pensé au Sufjan Stevens des débuts ou même à Jessica Pratt pour la facilité déconcertante avec laquelle Laura Marling transforme une simple ritournelle en indomptable hymne folk. Peu importe, estimons-nous heureux d’avoir accès à l’univers de l’ancienne choriste de Noah and the Whale.

Ben  : Au diapason de mes compères Rabbit et Elnorton, je suis sous le charme de cet album. Avec une grande économie de moyen et sans la moindre trace résiduelle de mièvrerie, Laura Marling magnifie le quotidien, saisissant la foudroyante beauté de l’ordinaire. Les sublimes arrangements servent idéalement le propos. Une splendide réussite.



2. The Smile - Cutouts

Elnorton : Je m’étais déjà fendu d’une élogieuse chronique du Wall of Eyes sorti par le combo en début d’année et porté notamment par la grâce d’un Teleharmonic à la hauteur des sommets de la période Kid A/Amnesiac. Mais pour être honnête, le fan de Radiohead que je suis n’est qu’assez peu revenu vers cet album par la suite. Avec Cutouts, l’affaire pourrait être différente. En effet, le trio gomme cette fois (à l’exception d’un bémol sur Tiptoe) les quelques élans lyrico-soporifiques qui me faisaient décrocher et multiplie les contrepieds dans une veine qui, plus que Radiohead, rappelle surtout les deux solos de Thom Yorke que sont l’inégalable The Eraser et Tomorrow’s Modern Boxes.
Si Cutouts s’inscrit comme le successeur logique de Wall of Eyes, c’est sans doute parce qu’il conserve une direction artistique similaire tout en approfondissant deux dimensions d’apparence antinomiques : une mélodieuse efficacité (notamment ce chant retrouvé de Thom Yorke) et une liberté de ton qui permet de casser les codes.
Initialement récréatif, le projet The Smile devient de plus en plus sérieux et prend donc une nouvelle ampleur. Jonny Greenwood et Thom Yorke n’ont plus à s’encombrer des attentes des fans de Radiohead (reverra-t-on un jour le quintet d’Oxford réuni ? Rien n’est moins sûr) et peuvent donc expérimenter de nouvelles formes, allant de sonorités jazzy autour desquelles Radiohead tournait déjà en 2001 sur l’excellent Life in a Glasshouse à l’usage retrouvé de l’électricité pour traduire un mélange de rage, d’espoir et de résignation. Et surtout, last but not least, le trio semble avoir travaillé sur la coloration de la basse sur ce Cutouts, ce qui n’est pas pour me déplaire, l’absence de Colin Greenwood dans The Smile constituant désormais son seul désavantage par rapport à son encombrant grand frère, Tom Skinner assurant si bien derrière les fûts qu’il parvient quant à lui à faire oublier Phil Selway.

Rabbit : Elnorton en a déjà beaucoup dit, personnellement je garde une préférence cette année pour Wall of Eyes pour son intensité feutrée et plus encore le premier album A Light for Attracting Attention de 2022 pour ses contrastes et son rare équilibre entre urgence et onirisme qui m’évoque quelque part Hail to the Thief, pour toujours mon Radiohead de prédilection... mais il faut avouer que ce Cutouts est une fois de plus un gros morceau. D’une belle variété et néanmoins cohérent, ce 3e The Smile alterne cette fois synthés stellaires et méditatifs (Foreign Spies, Bodies Laughing), arrangements solaires et capiteux (Instant Psalm, Tiptoe), électronique hypnotique (Don’t Get Me Started) et rock en liberté où les influences afrojazz de Tom Skinner se font sentir (Zero Sum, Eyes & Mouth), mais n’est jamais meilleur qu’avec le genre de slow burners qui auraient pu figurer au générique de l’opus précédent, en l’occurrence les incandescents Colours Fly et No Words.



3. E L U C I D - REVELATOR

Rabbit : "Depuis Horse Latitude il y a 7 ans, chaque nouvel opus d’E L U C I D semble en remontrer au précédent en matière d’inventivité dystopique et viscérale. Beaucoup plus proche dans l’esprit du superbe BLK LBL LP que du dernier album "officiel" d’Armand Hammer, REVELATOR incarne tout ce que l’ADN de l’Américain - qui met régulièrement la main à la patte côté production - peut renfermer d’urgent (The World Is Dog, Kebana), d’anguleux (CCTV, Xolo), de baroque (Voice to Skull, ou Yottabyte dont l’instru compte déjà parmi les plus belles réussites de l’inégal Child Actor) et de déstructuré (Slum of a Disregard, RFID, 14.4), à la hauteur de son flow plus habité que jamais et d’un goût toujours affirmé pour les atmosphères d’anticipation crépusculaires, cf. notamment Skp composé par Andrew Broder (Fog) ou le sommet final ZigZagZig. Un sérieux prétendant au podium hip-hop de l’année."

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Elnorton : C’est assurément bien troussé, et E L U C I D présente sur cet album un joli panorama d’ambiances lugubres et poreuses. Adepte de ce genre de sonorités à dose homéopathique, mon avis ne pourra qu’être évasif mais il pourrait, qui sait, convaincre d’autres lointains amateurs de hip-hop sombre façon Dälek de jeter leur paire d’oreilles sur ce REVELATOR.



4. The Dirty Sample - Beats to Murder Rappers 2

Rabbit : "Des beats au cordeau et du sampling sale mais pas trop, dont le principal terrain de jeu est celui des BOs de séries B horrifiques des années 60/70, que les amateurs du genre un peu pointus pourront s’amuser à reconnaître par-ci par-là (citons notamment sur The Children Sing la mélodie du thème de "La dame rouge tua sept fois" signé Bruno Nicolai). Entre ambiances pesantes et dystopiques à la Little Johnny de Company Flow (Easy Prey, Get Inside), vibe gothique/rétro un brin décalée (Rejoice, Don’t F@#k With Witches) et loops d’orchestrations funestes et hantées (Die in the Deep, I Can’t Make It Go) en passant par le pur cinéma pour les oreilles de No One is Left Up Top to Get Us Out of the Cave, You Can’t Win ou Don’t Forget the Cross, samples de dialogues et de foley sounds à l’appui, on est comme souvent avec The Dirty Sample dans le haut du panier du hip-hop instru atmosphérique, évocateur et très, très prenant, Beats To Murder Rappers 2 étant peut-être même parti pour s’imposer comme sa meilleure sortie à ce jour."

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Elnorton : Ce disque, c’est en quelque sorte le hobo charismatique. S’il prend soin de salir ses samples, The Dirty Sample diffuse bien trop d’élégance et d’évidence sur ces vingt titres pour que ce Beats To Murder Rappers 2 reste en marge de nos radars. Ce hip-hop essentiellement instrumental mêle donc aux rythmiques acerbes des éléments cinématographiques, qu’il s’agisse des boucles, arrangements ou incursions vocales, et sent bon les années 90, rappelant notamment les compositions d’un Tim Saul, aux manettes d’Earthling aux débuts du trip-hop. Crasseux et classieux à la fois, il fallait l’inventer, The Dirty Sample l’a fait.

Ben  : Les vieux films ont souvent un charme fou. Particulièrement quand on songe aux films de la Hammer, à l’intégrale de Jacques Tourneur ou aux giallos de Mario Bava. L’inconvénient, au risque de me faire bannir de l’équipe par Rabbit, c’est qu’ils sont aussi parfois un peu chiants. Et que la chronique dans Télérama (ça aussi, j’assume) ou Mad Movies est parfois plus passionnante que le film en question. C’est là que Beats To Murder Rappers 2 entre en jeu. Car en trois bons quarts d’heure, il condense l’essence même de cette ambiance à nulle autre pareille. Véritable séance de cinéma pour les oreilles, cette dernière livraison de The Dirty Sample n’oublie surtout pas d’être un excellent album de très bonne musique. Clairement un must de ce mois d’octobre.

Rabbit : Pour répondre à ce coquin de Ben avant de remplir un formulaire de bannissement en double exemplaire (hihi), les films moins vieux sont aussi chiants parfois, surtout quand on on les trouve dans Télérama. Comme pour les "vieux", il suffit de regarder les bons, mais l’avantage des vieux films chiants sur les récents, pour en revenir au sujet, c’est qu’ils ont souvent de chouettes textures bien vintage à sampler, et il y a probablement parmi les sources de The Dirty Sample de belles séries Z oubliées dont on peut encore ses délecter des bandes-son en 2024.



5. Maeki Maii - Sur des charbons ardents

Elnorton : Difficile de chroniquer un disque-somme de 22 titres mêlant, comme l’explique son auteur, "autant d’inédits que de featurings, des remixes ou des morceaux déjà sortis en singles". D’autant plus délicat lorsque chacun des titres mêle punchlines renversantes et élégance. Maeki Maii possède cette capacité à suivre la direction proposée par les différents producteurs, tout en insufflant aux morceaux son charisme et sa personnalité. De fait, si les instrus évoluent dans des contrées variées, l’auditeur est toujours lié à ce fil conducteur qu’est cette voix qui crève l’écran mais pas les tympans. Forcément, les plus pressés se contenteront de picorer ici et là ce qui leur convient le mieux, et après tout, pourquoi pas. À ce petit jeu, il faudra surtout éviter de passer à côté des deux premiers titres, sur des productions de Sabba et Druggy, des remixes de Wolf City et fRANKLIN 154 aka Innocent But Guilty ou encore Adieu l’ami. En attendant la suite, très vite !

Rabbit : De bien belles choses sur ce nouvel album de l’Occitan, et même si je le préfère à titre personnel canalisé par la cohérence d’un seul et unique producteur aux manettes (cf. le sommet Sonoran mis en musique par Wolf City ou l’EP Art Feeling identifié par les sonorités feutrées de Ljazz), Sur des charbons ardents s’avère plus consistant que Les cerisiers en fleur dans un format apparenté (5 titres de plus ici), malgré une nature assez composite (beatmakers des 4 coins du monde, mélange d’inédits et de remixes). Moins d’instrus trap et/ou festifs (Konstrukt n’est plus de la partie et j’avoue que ça me va très bien), davantage d’atmosphère (du mélancolique Little Brother au boom bap tristounet d’un Thelonious Monk revu et corrigé par 154fRANKLIN en passant par le très beau et planant La Balade Sauvage sous le signe de Terrence Malick, l’éthéré Copacabana ou le western Eldorado remixé par Wolf City) et d’une manière générale de belles interventions du guitariste Jason Langvee et du producteur Ryahu parmi les nouveaux (?) venus : Maeki Maii m’aurait-il entendu ?

Ben  : Suis-je objectif lorsqu’il s’agit de Maeki Maii ? J’aime à penser que oui, même s’il est vrai que j’ai une sympathie particulière pour ce "vrai bon gars" (tel qu’il se présente lui-même sur son classique Naples). Généreux, littéraire (on croise le fantôme de Bukowski), cinéphile (La Balade Sauvage), le MC nous revient en cowboy solitaire et désabusé, cousin austro-italien des bikers libertaires d’"Easy Rider". Explorant l’aspect mélancolique de son art, Maeki Maii consacre une bonne moitié de cet album à des morceaux crépusculaires auxquels Jason Langvee et Ryahu apportent un supplément d’âme particulièrement bienvenu. Il s’éloigne du rap pur jus et s’aventure en territoires pop (les superbes Adieu l’ami et Au sud de nulle part) ou blues rock (Little Brother) sans pour autant renier l’ADN de ses précédents albums (l’excellent Desperado sur un instru de Stewart X aurait pu figurer sur Sonoran ou Bienveillance). Les remixes sont réussis et offrent une relecture de quelques classiques du répertoire maekien (voir les avis d’Elnorton et de Rabbit que je partage entièrement à ce sujet). Éclectique et passionnant, Sur des charbons ardents s’annonce comme un album de transition, peut-être vers l’exploration d’autres univers. C’est peu dire que l’on a hâte d’écouter la suite.



6. Oranssi Pazuzu - Muuntautuja

Rabbit : Il fallait se lever tôt pour ne pas démériter après le génial Mestaryn kinsi de 2020, chef-d’oeuvre de black metal psyché aussi épique qu’abrasif et irradié. Mais impossible n’est pas Finlandais, et le quintette toujours soutenu par le label Nuclear Blast se défend bien sur ce 6e opus, avec une densité de production et une intensité intactes. Multipliant d’abord les fausses pistes (l’intro presque art rock de Bioalkemisti qui a tôt fait de brandir ses couches de saturation et autres radiations malsaines, un Muuntautuja trip-hop aux entournures jusqu’à ce que le growl s’en mêle, ou encore la relative douceur insidieuse de Hautatuuli), le groupe enfonce vraiment le clou en seconde moitié d’album, avec ce Valotus dont l’urgence et la brutalité se doublent d’arrangements cinématographiques d’une finesse dont Oranssi Pazuzu est l’un des seuls à avoir le secret dans ce genre d’univers, puis l’entêtant Ikikäärme riche en digressions passionnantes sur près de 10 minutes, à commencer par ce piano ambient en ouverture. Du grand art !

Riton : Pas grand chose à ajouter, si ce n’est que le grand art des Finlandais continue inlassablement de surprendre et de prouver que chez eux rien n’est à jeter. Oranssi Pazuzu est de ces rares groupes capables d’amener à la transe à partir d’un fond de haine. On n’est jamais très loin d’un ensemble relevant beaucoup plus de l’abstract que du black metal pur et dur et c’est justement cette faculté à brouiller les pistes par à-coups qui en fait un groupe extrêmement intéressant.



6. FOUDRE ! - Voltæ (Chthulucene)

Rabbit : C’est paradoxalement avec ce premier enregistrement en studio (le 6e opus du groupe en 10 ans) que FOUDRE ! rend le mieux justice à ses performances scéniques mélangeuses et telluriques. Faisant suite aux crescendos dronesques d’un Future Sabbath mystique et incandescent, Voltæ (Chthulucene) reprend les mêmes ou presque (Frédéric D. Oberland d’Oiseaux-Tempête aux mellotron, synthés et autres instruments à cordes et à vent venus de Turquie, et également aux synthés analogiques ou modulaires Paul Régimbeau aka Mondkopf et Romain Barbot de Saåad) mais prend le temps cette fois de développer une véritable narration sans paroles, entre soundtrack ambient rétrofuturiste (Holographic Pleasures, Badlands, A Moment Of Eternity : Replicate), transe introspective influencée par les folklores proche-orientaux (Visions from Zūrūtetsu, Transmutação) et elecronica à laquelle les percussions et les instruments traditionnels apportent un feeling particulièrement viscéral (Acid Karm, Cybernetic Reset). Le résultat, à la fois puissamment évocateur et d’une profonde mélancolie, n’est pas sans évoquer une sorte de Blade Runner altermondialiste, le "Chthulucene" du titre étant pour la philosophe féministe et anticapitaliste Donna Haraway un monde au bord des ruines qu’il faudrait faire sien et rendre vivable, en repensant notre rapport à la planète et aux autres.

Riton : C’est étonnamment la première fois que j’écoute un album de FOUDRE ! (ou du moins avec attention). Qu’à cela ne tienne, un coup de fouet bien mérité dans le dos, avant le coup de fouet aux tympans qui en fait résolument l’un des albums les plus intéressants de cette fin d’année avec tout ce que vous trouverez d’autre dans cette liste. C’est avant tout ce magnifique artwork signé Brulex qui attire l’oeil et illustre parfaitement l’univers. Quel plaisir de se perdre dans ce dédale narratif peuplé de créatures hybrides, animées par les synthés, les percussions et les influences du Proche-Orient. Sans mauvais jeu de mot (ou pas), c’est un vrai coup de Foudre !



8. Chat Pile - Cool World

Ben  : Assez imperméable au pourtant encensé God’s Country, je dois confesser que je n’attendais pas grand chose de cette nouvelle livraison du gang d’Oklahoma City. Et le plutôt bourrin I Am Dog Now placé en ouverture n’était pas parti pour me faire changer d’avis. Pourtant l’album décolle dès le second morceau, le très bon (et très nineties) Shame, qui n’est pas sans rappeler Frodus ou une version plus testostéronée d’Idlewild (premier album). Au final, ce Cool World assez grunge s’écoute avec plaisir, alternant coups de pieds dans les gencives (Funny Man) et intermèdes mélancoliques (Milk of Human Kindness, Masc) sans oublier, au passage, de composer de vrais morceaux (The New World). Une vraie bonne surprise, donc !

Le Crapaud : C’est du brutal, il n’y a pas de doute, mais bourrin, pas tant. C’est plutôt ciselé, notamment l’introductif I Am Dog Now. Peut-être frontal, mais qui a le mérite de faire dans l’angulaire, dans la saccade, quand d’autres de ses homologues sur cet ironiquement nommé Cool World, s’enlisent parfois dans un metal paresseux. On apprécie toutefois ces excursions dans des styles voisins (post-punk, noise rock, stoner, hardcore et même un peu… néo-metal !) qui rendent cette fournée beaucoup moins monolithique que la précédente, et qui permettent, à défaut de se détendre ou de se poiler, de faire un voyage mouvementé et vibrant de hargne. Surtout, ne pas hésiter à le réécouter : sa finesse se dévoile à l’usure.



9. Pharmakon - Maggot Mass

Rabbit : "Pharmakon ne surprend plus vraiment et on est en terrain connu dès les bourdonnements de mouches sur un cadavre en décomposition que semble découvrir un mystérieux protagoniste en intro du percussif et sursaturé Wither and Warp, pile entre harsh noise cauchemardé et vestiges indus décharnés. Qu’importe : Maggot Mass, en dépit de son arwork forestier presque poétique en comparaison des illustrations glauques et viscérales des opus précédents, est une nouvelle réussite habitée, passant de morceaux étonnamment cadrés, presque "pop" - on se comprend - dans leur radicalité (Methanal Doll, Splendid Isolation) à d’autres nettement plus déconstruits (le larsenisant et quasi ambient Buyer’s Remorse). Et si l’Américaine met clairement de l’eau dans son vin ici - moins de hurlements de harpie torturée au chalumeau, davantage de chant à proprement parler et une voix plus en avant qu’à l’accoutumée - c’est pour mieux enfoncer le clou, par-delà l’apparence presque "accrocheuse", d’une musique toujours aussi malaisante et déglinguée."

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Nos EPs du mois


1. Theis Thaws - Fifteen Days

Rabbit : "Vivant désormais en France, Tricky s’est associé à un beatmaker parisien, Mike Theis, fusionnant avec lui sous le nom Theis Thaws pour accoucher de ces morceaux particulièrement froids et décharnés, parfois à la limite de l’EBM (Fly To Ceiling), de la techno (The Machine) ou au contraire de l’ambient (le languissant et joliment neurasthénique Today Is OK, probablement le titre le plus proche ici du trip-hop 90s sombre et ascétique de l’auteur de Pre-Millennium Tension). C’est court, épuré, sans débordement émo ni nostalgie en dépit d’un ADN bien ancré dans un certain underground dark et minimaliste des années 80 aujourd’hui revisité à toutes les sauces hédonistes par des copycats sans âme, et même la construction de l’EP, qui dépasse pourtant tout juste les 20 minutes, retrouve son lot d’ambition avec notamment l’instru drum’n’bass Monday qui vient en rehausser à mi-parcours la dimension atmosphérique et immersive. Un vrai retour en forme !"

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Elnorton : Il faut sans doute s’appeler Tricky pour accoucher ainsi d’une sortie aussi incarnée et teintée de son univers en étant paradoxalement aussi peu présent. En effet, le Britannique délègue ici la production au Français Mike Theis et s’entoure, comme à son habitude, d’une muse pour les parties vocales principales. C’est cette fois Rosa Rocca-Serra, dont l’univers singulier gagnera sans doute à être exploré plus sérieusement, qui endosse avec brio ce dernier rôle comme le contrepied parfait des incursions rauques de Tricky, rappelant parfois Martina Topley-Bird - excusez du peu - pour ce mélange d’intensité, de facilité et d’évidence. Les productions rappellent les heures les plus sombres de la discographie de l’ancien membre de Massive Attack (Pre-Millennium Tension et Angels With Dirty Faces en tête). C’est brumeux, froid, cela devient rugueux quand Tricky sort la tête du terrier, mais c’est d’une efficacité redoutable. Il fallait remonter à False Idols et Ununiform pour retrouver un Kid de Bristol en forme mais il n’avait sans doute pas été à pareille fête depuis le Knowle West Boy de 2008.


2. Nouvelles Lectures Cosmopolites - Botanical Series Vol. 1 : Alba Spina

Rabbit : Avec Botanical Series, nouvelle collection de mini-albums (une demi-heure tout de même pour chacun des deux premiers volets) distribués sur sa page Bandcamp, Julien Ash aka Nouvelles Lectures Cosmopolites s’inspire de l’effet des plantes sur l’organisme, plutôt neuroleptique à en juger par la manière dont ces trois instrumentaux ambient alternant denses orchestrations synthétiques (Induction AS), beats downtempo hypnotiques (Alba Spina) et nappes de scintillements stellaires (Friction AS) semblent vouloir contenir une certaine angoisse sous-jacente, évoquant les rêveries cosmiques immersives mais jamais tout à fait apaisées du cousin allemand LPF12.

Ben  : Suis-je objectif lorsqu’il s’agit de Julien Ash ? Là encore, j’aime à penser que oui et pour convaincre celles et ceux qui en douteraient, l’écoute de cet Alba Spina tranchera la question de manière impartiale. Porté par une superbe ouverture, l’album est un voyage de la surface aux profondeurs, commencé dans la brume d’une matinée d’automne et achevé dans les profondeurs minérales de notre chère planète. Friction AS sonne alors comme l’introduction idéale à l’excellent Cave Crawlers commis avec Pete Swinton. La pièce principale, quant à elle, confère à cette odyssée florale, avec ses modulations hypnagogiques, un air de "Battlestar Galactica" à l’échelle du jardin que ne renieraient pas les amis d’InHuM’AwZ. Un nouvel opus de la série est entretemps sorti. Gageons que son écoute sera tout aussi passionnante.




Les classements des rédacteurs pour Octobre 2024


Ben :

1. Maeki Maii - Sur des charbons ardents
2. Stan Ipcus - Sleep If You Want
3. The Dirty Sample - Beats to Murder Rappers 2
4. NLC - Botanical Series Vol. 1 : Alba Spina
5. Laura Marling - Patterns in Repeat
6. Tucker Zimmerman - Dance of Love
7. Him Lo & Giallo Point - LO Frasier
8. Ezekiel Jaime, Mariano Sara, Ezequiel Ferraro - Nuestro Abismo Repleto
9. Felinto - Utopia
10. Quantum Sufficit - Quantum Immortality

Le Crapaud :

1. Svaneborg Kardyb - Superkilen
2. John Zorn - New Masada Quartet, vol. 3 (live)
3. Laura Marling - Patterns in Repeat
4. Antenn.e - Tabouret
5. Sommeil de Brute - IS an Alternating Current
6. Homeboy Sandman - Nor Can These Be Sold (At Least By Me)
7. Swamp Thing - Slap Slap
8. E L U C I D - REVELATOR
9. Emma Goldman - Malveillance
10. Abacaxi - Quetzal

Elnorton :

1. Godspeed You ! Black Emperor - "NO​ ​TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024 28​,​340 DEAD"
2. Systems Officer - In Our Code
3. The Smile - Cutouts
4. Public Service Broadcasting - The Last Flight
5. Maeki Maii - Sur des charbons ardents
6. Shitao - Ammonaria
7. Laura Marling - Patterns in Repeat
8. The Dirty Sample - Beats to Murder Rappers 2
9. BADBADNOTGOOD - Mid Spiral
10. Cyrod Iceberg - Dark Days

Rabbit :

1. Laura Marling - Patterns in Repeat
2. Ssaphia - Buried in Sphaxx
3. E L U C I D - REVELATOR
4. The Smile - Cutouts
5. The Necks - Bleed
6. Oranssi Pazuzu - Muuntautuja
7. FOUDRE ! - Voltæ (Chthulucene)
8. Pharmakon - Maggot Mass
9. The Dirty Sample - Beats to Murder Rappers 2
10. Krohme x Pruven - Divine Reciprocity

Riton :

1. E L U C I D - REVELATOR
2. Hemlock Ernst + Icky Reels - Studying Absence
3. Laura Marling - Patterns in Repeat
4. The Smile - Cutouts
5. FOUDRE ! - Voltæ (Chthulucene)
6. Oranssi Pazuzu - Muuntautuja
7. Black Curse - Burning in Celestial Poison
8. AKAI SOLO - DREAMDROPDRAGON
9. Pharmakon - Maggot Mass
10. Chat Pile - Cool World


Articles - 24.11.2024 par La rédaction