L’oeil sur 2025 - 150 albums : #150 à #136 (par Rabbit)

Comme souvent avec mes classements annuels pour IRM, le format s’est imposé de lui-même : 150 albums car me limiter davantage devenait trop frustrant (vous jugerez vous-mêmes du peu de médiatisation dont ont fait l’objet en 2025, à l’exception des Swans, les artistes de cette première tranche), et sans classification au regard des difficultés ressenties l’an dernier à devoir ranger dans des cases, toutes approximatives et malléables qu’elles puissent être, des sorties souvent inclassables. Je suis donc allé au plus simple : mes albums préférés de l’année, avec pour seule règle de n’en mentionner qu’un par artiste, à moins qu’il ne s’agisse de différents projets ou collaborations... et l’espoir cette fois encore de voir quelques-uns de ces coups de coeur frapper avec la même intensité l’un ou l’autre de nos lecteurs.





150. DJ Haram - Beside Myself

Premier album pas facile à circonscrire pour la comparse de Moor Mother au sein du duo électro/noise 700 Bliss, par ailleurs croisée aux manettes de plusieurs morceaux de billy woods, d’E L U C I D ou de leur duo Armand Hammer ces dernières années. Autant dire que le label Hyperdub (Kode9, Burial...) a eu le nez creux en signant cette productrice basée à Philadelphie, qui télescope ici spoken word funèbre (avec pas mal de guests dont les trois susnommés), influences orientales shamaniques et tribales, et bass music parfois plus plus rentre-dedans, à la croisée de la musique de club et des bangers de MIA. Un brin inégal mais sacrément prometteur !



149. eumourner - THE FEEDBACK SPIRALS

Difficile d’être assidu avec Musique Moléculaire tant les très nombreuses publications du netlabel montréalais suffiraient à saturer l’année musicale d’un auditeur aguerri, jugez-en donc par leur page Bandcamp riche de plus de 160 nouvelles sorties depuis janvier. Le jeu consiste donc à sélectionner judicieusement ses écoutes, et avec le trio italien eumourner on savait que l’on ne serait pas déçu, THE FEEDBACK SPIRALS déployant sur 6 titres accaparants un drone mystique et abrasif aux échos caverneux de purgatoire souterrain.



148. Doves - Constellations For The Lonely

"Les Doves et nous, ce fut une grande histoire d’amour jusqu’au merveilleux Some Cities inclus, les beaux restes de Kingdom of Rust en 2009, et puis la débandade du grandiloquent The Universal Want 11 ans plus tard. 6e long format en 25 ans, Constellations For The Lonely voit la bande reprendre goût aux atmosphères en clair-obscur, aux textures dignes de ce nom (In The Butterfly House, Saint Teresa), aux arrangements scintillants (Stupid Schemes, Southern Bell) et aux crescendos qui temporisent pour mieux saisir l’auditeur dans leurs élans (Renegade, Strange Weather), flirtant par ailleurs avec le trip-hop (Cold Dreaming) ou même le classical ambient (Orlando) avec de jolies réussites à la clé."

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147. Ocean Teeth - I Will Not Die In The Cold Earth

Deuxième opus pour ce projet inauguré l’an dernier et réunissant deux de nos chouchous, le New-Yorkais Eddie Palmer (de Cloudwarmer, Aries Death Cult, Fields Ohio ou feu The Fucked Up Beat) et le Bordelais Arnaud Chatelard (aka Innocent Bult Guilty, 154 fRANKLIN croisé ces jours-ci dans nos pages en interview, et moitié de Break On Beacons), I Will Not Die In The Cold Earth continue de briller dans un downtempo lumineux et psyché aux productions denses, qui privilégie désormais les arrangements purement électroniques et lorgne ici et là sur les syncopes aériennes du glitch-hop. Spoiler alert : les talentueux compères, sous diverses identités, cumuleront à eux deux 5 mentions dans ce classement.



146. Odiv - Shelâl

"On découvre le label iranien de musique expérimentale Zabte Sote et par la même occasion Odiv, jeune compositeur de 24 ans qui use ici de plusieurs instruments traditionnels tels que oud, ney-taki (flûte) ou ney-anban (proche de la cornemuse) pour donner corps à 7 morceaux morbides et chaotiques aux textures crépitantes et aux étranges lamentations harmoniques. Un mini-album également hanté par les borborygmes malaisants du musicien, et dont l’artwork grisâtre évoquant la fusion de deux corps monstrueux symbolise parfaitement les mutations glitch et bruitistes, sorte de purgatoire sonique pour âmes damnées dont la tension quasi constante faite de cascades de bruits rythmiques et de pulsations modulaires s’entrecoupe de courtes accalmies lancinantes aux méditations désespérées."

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145. Hior Chronik - Apofanie

"Particulièrement ambitieux sur le papier, ce nouvel opus du Grec et Berlinois d’adoption Giorgos Papadopoulos aura nécessité trois années d’enregistrement et pour cause : chacun des 12 instrumentaux qui le composent est une collaboration avec un musicien classical ambient. Apofanie est à la fois accessible et long en bouche, la plupart des morceaux nécessitant plusieurs écoutes pour dévoiler toute la subtilité de leurs harmonies impressionnistes tout en fonctionnant de manière immédiate grâce à la dynamique assez irrésistible d’arpeggiators électroniques (Luminal, Where I Need to Be), de percus cristallines (Send Me a Pigeon) ou même de pulsations rythmiques à proprement parler, entre deux élégies (Your Heart Will Never Know, Yellowed Leaves Drift Down) ou rêveries (Leafless Trees, Everything Starts After the Horizon) plus contemplatives."

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144. Swans - Birthing

Avec pratiquement un album tous les deux ans depuis 2010, Michael Gira et sa bande ne faiblissent pas, d’autant que le format est presque toujours démesurément ambitieux, ici encore l’équivalent de ce qui ferait office de triple album pour certains. Toujours habité mais moins tourmenté que ce à quoi les Américains nous avaient habitués avec The Seer ou To Be Kind, un peu moins subtil aussi mais qu’importe, Birthing culmine sur quatre épopées montagnes-russes d’environ 20 minutes chacune, entre incantations, rock incandescent et hymnes aériens, avec toujours ces accents à la Spiritualized entendus par intermittence sur The Beggar en 2023 et davantage de foi en l’humanité.



143. Motorpsycho - Motorpsycho

"Après le regain d’électricité de Neigh​ !​ !, c’est l’heure du retour aux sources pour Bent Sæther et Hans Magnus Ryan. La paire norvégienne aux plus de 35 ans de carrière renoue en effet ici avec le psychédélisme heavy épique et long format auquel le projet est naturellement associé... et pourtant... les surprises ne manquent pas entre deux échappées guitar-héroïques en flux tendu, esthétique 70s dont le groupe est l’un des derniers capables à nous faire avaler l’emphase avec une classe intersidérale. Après tout, Motorpsycho - l’album, c’est aussi le grand retour de Deathprod (Supersilent) à la production, un atout qui laisse des traces aussi bien sur le court interlude onirique piano/mellotron de Kip Satie (hommage évident au compositeur des Gymnopédies) ou l’étrange intro électronique à l’omnichord, presque nintendocore, de Balthazaar, que sur l’étonnant Neotzar (The Second Coming) dont les 21 minutes sautillent allègrement de la chanson post-classique dissonante au pur hard rock à l’ancienne."

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142. Jon Porras - Achlys

"Trois ans après le joliment cotonneux mais un brin léthargique Arroyo au feeling presque modern classical, l’ex Barn Owl se recentre sur une ambient à guitare électrique à la fois délicate et saturée, ravivant nettement notre intérêt sur cet Achlys certes feutré et lent à se déployer, mais superbement contrasté dans ses affleurements abrasifs évoquant entre autres les premiers opus de Rafael Anton Irisarri, des soundscapes qu’irrigue sans avoir l’air d’y toucher une profonde mélancolie."

< avis initialement publié ici >



141. ShrapKnel & Raphy - Lincoln Continental Breakfast

On retrouvera le duo PremRock/Curly Castro dans la première moitié de classement avec un album entièrement produit par l’une de nos idoles, précurseur du rap futuriste avec à son actif pas moins de deux concerts organisés par notre défunte asso Sulfure. Cependant, difficile de faire l’impasse pour autant sur cette autre collaboration, cette fois avec le producteur Raphy basé à Detroit qui emmène les deux MCs new-yorkais de l’écurie Backwoodz, défendus cette année par le label Fused Arrow, dans les méandres d’un hip-hop haut en tension cinématographique, qu’il soit urgent ou downtempo, minimaliste ou auréolé d’un certain lyrisme du côté obscur.



140. VIER - IIII

"Ex tête de gondole du défunt label floridien Merck Records, le Nord-Carolinien Travis Wayne Stewart aka Machinedrum a intégré il y a une douzaine d’années l’écurie Ninja Tune et nous avait laissés pour le moins circonspects vis-à-vis de son virage électro-pop-r’n’b assez racoleur et parfois daté, en particulier depuis Human Energy en 2016 puis avec les deux disques suivants, de plus en plus décevants. Associé ici aux musiciens électro-ambient hollandais Thijs De Vlieger (This) et Salvador Breed (Dor, Breek) ainsi qu’au beatmaker drum’n’bass Holly avec lequel il avait déjà sorti plusieurs singles et EPs ces dernières années, le bonhomme remet enfin les pendules à l’heure, non sans conserver une certaine dimension pop via ces séquençages vocaux très trance 90s, mais avec une grosse efficacité de rouleau compresseur rythmique en liberté et des productions joliment contrastées aux textures travaillées, entre DnB de club à l’ancienne, IDM et dubstep de qualité. Une grosse tranche de plaisir régressif en somme !"

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139. Declaime & Spectacular Diagnostics - What If

Nouvelle collaboration inédite pour le producteur de Chicago Spectacular Diagnostics, accoquiné cette fois avec le rappeur californien Declaime (aka Dudley Perkins), généralement associé à sa compagne Georgia Anne Muldrow ou au géant Madlib. Psychédéliques, souvent planants et ourlés de samples de cuivres, de claviers rétro ou d’instruments à vent qui leur insufflent une vibe très jazz fusion, les instrus du premier complimentent à la perfection le flow nasillard et le storytelling plutôt introspectif du MC du label Stones Throw sur ce What If d’une parfaite concision, entre surréalisme et rêve éveillé.



138. Swamp Thing - Granny Knuckles

Sorti comme toujours ou presque autour d’Halloween avec moult références à l’horreur dans la culture pop, le dernier Swamp Thing est un excellent cru pour le trio indie rap de Toronto, culminant comme avec l’irrésistible Midnight Dangerous (qui les voit retrouver leur compère Ghettosocks au micro, presque un 4e membre officieux pour le groupe à force d’interventions parfois sur des albums entiers) ou encore Reality’s Wack (avec Wordburglar, autre transfuge du collectif Backburner et invité récurrent) sur une poignée de titres où beatmaking efficace, groove ténébreux, samples cinématographiques, cuts inspirés et flows assurés font bon ménage.



137. Andy Cartwright - Yonder

"Sur Yonder, l’atmosphère est reine mais trouve paradoxalement sa cohérence dans l’agrégat de sonorités a priori hétéroclites : percussions d’objets, crépitements numériques, piano impressionniste, synthés contemplatifs, enregistrements de terrain, synthèse granulaire et par moments une dynamique hypnotique des clicks, beats et autres glitches évoquant l’univers de Raster-Noton (There Was Never Any Doubt) s’y mêlent pour évoquer à la fois quelque écosystème imaginaire (on sait Whitelabrecs friand d’immersions texturées en milieu naturel, cf. par exemple les sorties à thématiques géographiques de Glåsbird, projet du patron Harry Towell auquel on pense ici sur des morceaux fragiles et craquelants tels que Unmoored ou Faint And Fainter) et des courants de conscience oniriques (Paling, Expanding Clouds). Un très bel album, que des harmonies parfois plus sous-jacentes voire souterraines n’empêchent pas de se montrer accueillant dans la douceur qu’il dégage, propice au rêve éveillé et à l’introspection."

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136. Francesco Giannico - The Dead End Road

Habitué de mes tops ten annuels (cf. ici ou ), le génie ambient italien a dégainé un peu tard cette année (toute fin novembre), ne me laissant pas le loisir d’explorer en profondeur The Dead End Road, du moins pas à temps pour ce classement. De prime abord un peu plus monolithique qu’à l’accoutumée avec ses épaisses nappes crépitantes ou dronesques sous-tendues de guitare, claviers ou autres voix hantées, le successeur de l’immense L’immagine di me, lontano ne devrait pas moins s’imposer sur la durée comme un disque essentiel de cette année 2025.