IRM Expr6ss #22 - spécial modern classical : Deaf Center, Goldmund, Hior Chronik, Rauelsson, Dag Rosenqvist, Joseph Schiano di Lombo

Après la pop, un nouvel IRM Expr6ss plus "exigeant" mais sans adéquation pour autant avec les clichés de musique "austère" ou "ardue" qui continuent malheureusement de donner une fausse image du modern classical, univers à mi-chemin du classique contemporain et de l’ambient dont les représentants mis en avant ici, coutumiers pour la plupart de compositions au piano à l’orientation plutôt mélodique, n’ont pourtant rien de particulièrement inaccessible pour les néophytes.




- Deaf Center - Reverie (Sonic Pieces, 30/05)

On commence justement avec l’album le plus "ardu" de la sélection, si tant est qu’il y en ait vraiment un. Car si le piano d’Otto A. Totland, plutôt impressionniste et tout en échos oniriques (en particulier sur Rev avec ses cascades d’arpèges évanescents), s’avère ici plus atmosphérique et coupé de la lumière du jour que les miniatures mélodiques de ses sorties solo, ces deux longs titres improvisés live en studio par les deux Norvégiens ne font cette fois que flirter avec l’abîme dark ambient cher au compère Erik K. Skodvin aka Svarte Greiner, dont les nappes de guitare, de violoncelle et de synthés aux textures dronesques tantôt éthérées (Erie) ou presque dystopiques (la seconde moitié de Rev, avec son ambiance de SF rétro-futuriste à la "Blade Runner") combleront à n’en pas douter les amateurs de bandes originales imaginaires à fort pouvoir d’évocation.



- Goldmund - Layers of Afternoon (Western Vinyl, 13/06)

Avec Keith Kenniff, Américain aux multiples projets plus ou moins pop (Mint Julep) ou planants (Helios), on est au contraire en plein dans l’instantané mélodique aux accents romantiques, et si The Malady Of Elegance (2008) demeure hors de portée dans sa discographie, ce neuvième long format en 20 ans (le 7e pour le label Western Vinyl) fait tout à fait honneur à son très beau prédécesseur The Time It Takes (2020) avec le même genre de compos aériennes et épurées. Un certain Scott Moore remplace l’excellent Christopher Tignor au violon, qui gagne ici en importance et pousse davantage vers un spleen prégnant aux inflexions tragiques réminiscent de l’Australien Luke Howard ou des grands compositeurs de musiques de films japonais tels que le regretté Ryuichi Sakamoto ou Joe Hisaishi, sur fond de piano sensible et de discrètes nappes de synthés vaporeux, en retrait quant à elles par rapport à l’opus précédent.



- Hior Chronik - Apofanie (Moderna, 10/06)

Particulièrement ambitieux sur le papier, ce nouvel opus du Grec et Berlinois d’adoption Giorgos Papadopoulos aura nécessité trois années d’enregistrement et pour cause : chacun des 12 instrumentaux qui le composent est une collaboration avec un musicien classical ambient (voire même deux sur Yellowed Leaves Drift Down), parmi lesquels quelques favoris d’IRM puisque l’on y retrouve entre autres le pianiste britannique Matt Emery et la violiste polonaise Olga Wojciechowska aka Strië. Album à deux vitesses défendu par l’un des labels les plus passionnants du genre à l’heure actuelle (Moderna, cf. #12 ici), Apofanie est à la fois accessible et long en bouche, la plupart des morceaux nécessitant plusieurs écoutes pour dévoiler toute la subtilité de leurs harmonies impressionnistes tout en fonctionnant de manière immédiate grâce à la dynamique assez irrésistible d’arpeggiators électroniques (Luminal, Where I Need to Be), de percus cristallines (Send Me a Pigeon) ou même de pulsations rythmiques à proprement parler (beats sur Warm Corner ou glitchs sur Before You Were Born), entre deux élégies (Your Heart Will Never Know, Yellowed Leaves) ou rêveries (Leafless Trees, Everything Starts After the Horizon) plus contemplatives.



- Rauelsson - Niu (Sonic Pieces, 7/02)

Mon album préféré de cette série - et probablement le plus réussi de son auteur depuis son premier chez Sonic Pieces en 2013, Vora, si ce n’est son meilleur tout court - voit l’Espagnol Rauelsson (Raúl Pastor Medall de son véritable patronyme) mettre la pédale douce sur les rythmiques pas toujours très subtiles qui prenaient l’ascendant sur Miral et surtout Ekō, pour se recentrer sur un néo-classique "less is more" et une électronica spleenétique aux boucles lancinantes, alternant en morceaux-miroirs cordes crève-coeur tout en harmonies minimalistes (Prelude No. 7, Puzzle Breeze, Podium Of Riddles, Ceramic Swallows, Set Of 3), arpeggiators aux rêves tristounets (Ornamental Eclipse, Gardens Unseen, Temporary Alchemy) et même un peu d’ambient-jazz neurasthénique ourlé de spoken word poétique (A Keyhole-Shaped Island, It Could Vanish In An Instant). Un disque modestement singulier, qui distord le temps pour mieux donner corps à la tragique impermanence de nos vies fondées sur l’habitude et le confort de la répétition.



- Dag Rosenqvist - Tvåhundra ord för ensamhet (Dronarivm, 18/04)

Deux mois à peine après l’ambitieux coup d’éclat du dernier From the Mouth of the Sun, le Suédois Dag Rosenqvist revenait en mode mineur... du moins en apparence. Car malgré son dispositif minimal (mélodies de piano épurées tout en arpèges fragiles captés au naturel, et nappes de synthés solaires voire magnétiques), Tvåhundra ord för ensamhet ("deux cents mots pour la solitude" en français, en référence au mythe selon lequel les Inuits auraient dans leur vocabulaire deux cents mots pour la neige) a ce petit quelque chose qui touche au coeur sans jamais verser pour autant dans le lyrisme à gros sabots, une humilité intimiste et néanmoins enveloppante doublée d’une atmosphère très particulière qui sait capter ce moment de flottement entre le sommeil et l’éveil, entre l’onirisme et l’introspection. À la fois mélancolique et réconfortant, le cocon musical idéal pour oublier la chaleur de l’été.



- Joseph Schiano di Lombo - Le tact (Sound piece for Fondation Henri Cartier-Bresson) (Circus Company, 7/03)

Pianiste et plasticien originaire de Chambéry et basé à Paris, Joseph Schiano di Lombo rend hommage à l’approche du photographe Henri Cartier-Bresson via les noms de ces 7 morceaux présentés sur scène à l’occasion du 20e anniversaire de la fondation du même nom, dont la philosophie semble également s’appliquer à la musique du Français : pour résumer, capter l’essence de son environnement sans l’altérer. Enregistré entre Paris et la Pologne avec un trio de musiciens polonais dont le hautbois, le violoncelle et la trompette viennent ancrer dans une certaine esthétique néoclassique sa palette habituellement plus irréelle (et elle-même assez large ici en termes d’instrumentation, piano/orgue/synthés, guitare ambient et clarinette), Le tact explore un classical ambient riche en textures organiques (les field recordings, prépondérants sur Simplement être là et Arriver tout doucement, rendent ces deux titres tout spécialement propices à l’immersion), entre subtiles touches jazzy (Pas de bruit, ou surtout À pas de loup avec sa trompette évoquant Arve Henriksen) ou expérimentales (Afin de ne pas troubler l’eau) et discrètes modulations fantasmagoriques (Ne rien "préparer", ne rien "arranger"). Un bijou, qui culmine sur les 8 minutes à la fois éthérées et un peu hantées du superbe Être invisible au romantisme clair-obscur.


Articles - 12.07.2025 par RabbitInYourHeadlights
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