2020, un bilan non essentiel - Part 3/5 : Albums #31 à 50

3ème partie de ce bilan et peut-être bien la tranche idéale pour jeter une oreille ailleurs qu’en direction des tâcherons sempiternellement mis en avant par ceux qui n’écoutent de la musique électronique "expérimentale" qu’une fois l’an, les Arca, OPN et autres Actress dont les dossiers de presse sont plus riches en concepts philosophico-fumeux que les albums eux-mêmes et dont la mocheté pop revendiquée n’a d’égale que la tendance à mélanger avec ostentation tout et n’importe quoi pour faire du neuf (sic) et de l’étrange (hum) avec du rien. Dans les 70s il y avait eu Kraftwerk, dans les 80s Coil, dans les 90s Aphex Twin et Björk et dans les 00s Radiohead, en étant mauvaise langue et un peu réac je dirais que les millennials ont l’avant-garde populaire qu’ils méritent, des buissons de traviole qui cachent la forêt et malheureusement laissent encore dans l’ombre les vrais grands de demain.




31. The Fucked Up Beat - Rust Belt (2020)

"Le projet des ex Cloudwarmer fut tellement productif pour les deux New-Yorkais que leurs enregistrements de la décennie écoulée n’ont pas encore tous vu la lumière du jour. Après deux albums dans notre bilan de l’été, cela restait néanmoins une surprise de retrouver début novembre Eddie Palmer et Brett Zehner dans leurs oripeaux remisés au placard depuis 2017 avec cette collection, concise comme rarement, d’instrumentaux qui n’ont semble-t-il qu’attendu d’être rattrapés par une actualité à marcher sur la tête pour surgir d’un tiroir tels des serpentins au faciès de Joker. Un espèce de dernier chill avant la fin du monde qui brasse paranoïa des samples vintage, ironie évocatrice des titres de morceaux, groove imparable des beats, basses et claviers aussi capiteux qu’hypnotiques et ces atmosphères étrangement jazzy et syncopées qu’on leur connaît, un peu comme si Thelonious Monk ou Sun Ra s’étaient associés à Bernard Herrmann pour signer la bande originale de La quatrième dimension."


32. Marc Buronfosse - Aegean Nights

Sur cette suite dΑιγαíο, la trompette se fait plus discrète, les influences africaines aussi, la batterie gagne en clarté comme en tension et le vibraphone du nouveau-venu Maxime Hoarau aidant, on se prend à penser à Tortoise (Kastro’s Night), à Steve Reich, au spleen élégiaque de Skúli Sverrisson (Oia’s Night) ou à certains projets plus ou moins récents de John Zorn, de l’électrique Thea’s Night à un jazz métissé façon Dreamers... car il est toujours question de jazz évidemment, un jazz que le contrebassiste Marc Buronfosse teinte ici de sonorités moyen-orientales et d’esprit fusion mais sans cette tendance à la démonstration, un jazz qui reprend les devants lorsque les cuivres s’en mêlent, qu’il s’agisse du saxo d’Adrien Soleiman sur Naoussa’s Night ou de la trompette très atmosphérique et rétro d’Andreas Polyzogopoulos sur Monastiri’s Night. Mais un jazz qui, le reste du temps, se niche surtout dans les interstices d’une dynamique irrésistible (Migrants’ Night, avec ses étranges réminiscences de Marvin Gaye, ou le très cinématographique final Aegean Nights au spoken word poétique), à la fois libertaire et mathématique, qui aurait digéré à la perfection le post-rock de Chicago, parsemé d’éclats de chaos maîtrisé et d’oasis de contemplation (Apollonia’s Night).


33. Moor Mother & billy woods - BRASS

Une sortie de dernière minute qui s’est incrustée dans mon bilan en faisant le ménage en queue de peloton. Entraperçue sur un titre de Shrines, dernier opus d’Armand Hammer dont on parlait vaguement ici, Moor Mother associe sur un album entier son spoken word halluciné au flow tout aussi magnétique du MC de ces derniers, billy woods, une alchimie qui tient du laiton qui donne son titre à l’album, alliage malléable dont le taux de cuivre ou de zinc conditionne les propriétés, ici tour à tout plus tribales (le flippant Chimney avec Mach-Hommy), dystopiques (le tout aussi flippant Arkeology avec l’autre moitié d’AH, Elucid) punk, lo-fi (Tiberius) ou jazzy (Portrait) en fonction des morceaux qui coulent les uns dans les autres à la perfection. The Blues Remembers Everything The Country Forgot résume peut-être mieux qu’aucun autre l’intensité polymorphe, mystique et revendicatrice de ce disque qui doit autant à la musique africaine qu’au trip-hop (Blak Forrest), à Gil Scott-Heron ou aux Last Poets (l’immense Furies d’ouverture) qu’au Flying Lotus des débuts (Rock Cried), au noise rap qu’au gospel (Gang For A Day), aux musiques expérimentales (le sound design menaçant et hanté de Mom’Gold, entre jazz et dark ambient) ou aux musiques de films (Scary Hours) qu’au hip-hop futuriste et ténébreux de d’El-P ou de Company Flow (Giraffe Hunts), avec l’appui des producteurs du crew Backwoodz Studios (Willie Green ou Messiah Muzik notamment) et de quelques metteurs en son plus installés tels que The Alchemist ou Preservation.


34. Joana Guerra - Chão Vermelho

"La participation de la Portugaise au fameux Alvaret Ensemble de Greg Haines et des frères Kleefstra n’aura sûrement pas manqué de la mettre sur les radars des labels ambient et expérimentaux, pour preuve la sortie de ce Chão Vermelho chez Miasmah, écurie d’Erik K. Skodvin (Deaf Center, B/B/S/, Svarte Greiner...) dont l’identité ténébreuse et hantée aurait parfaitement collé à sa géniale bande-son OsSo d’il y a deux ans. Toutefois, si ce nouvel album renoue partiellement avec le format chanson du déjà bien plombé et dépouillé Gralha, choix plus atypique pour un label flirtant régulièrement avec le dark ambient, la tension dissonante du violoncelle de Joana Guerra et ses complaintes vocales s’aventurant sur Pedra Parideira - et plus loin Micélio - aux confins du murmure horrifique et de l’incantation viennent rapidement entériner ce rapprochement. Disque-somme bénéficiant d’une production aux contrastes saisissants, Chão Vermelho s’avère tour à tour envoûtant dans un clair-obscur mélodique proche de la folk de chambre (White Animal) ou d’un folklore plus mystique et déliquescent (Entropicar), et anxiogène comme la BO d’un film de Kyoshi Kurasawa, avec lequel l’univers de la musicienne lisboète partage un attrait certain pour les troubles existentiels et le mystère de l’âme humaine."


35. John 3:16 - Tempus Edax Rerum

Je dois avouer avoir laissé le Philadelphien John 3:16 sur ce split avec FluiD il y a déjà quelques années, autant dire que je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre avec l’album qui nous occupe ici, sûrement à quelque chose de plus industriel, de moins ample, en tout cas pas forcément à une telle claque, à cette atmosphère de soundtrack post-apocalyptique dont la tension exhale et martèle à tour de rôle ses crescendos aux confins du dark ambient et d’un post-rock tribal ultra-minimaliste et dense à la fois, où batterie martiale et guitares dronesques ont la part belle. Tempus Edax Rerum, c’est un peu la bande originale imaginaire d’une épopée occulte dans le bayou, qui suinte le danger en continu et impressionne par son magnétisme du début à la fin malgré le peu d’éléments qui en composent les variations. Une vraie réussite en somme.


36. Ekca Liena - Veiled State

Daniel W J Mackenzie prend décidément plaisir à nous perdre avec des albums et projets qui déjouent régulièrement nos attentes. Autre sortie surprise de cette fin d’année, Veiled State est un écrin de velours pour nos rêveries les plus extrasensorielles. Nappes éthérées, drones solaires et arpeggios d’une autre dimension sont les principaux ingrédients de cet album immersif et enveloppant qui pourrait s’avérer chiantissime si ce n’est qu’aux mains de l’auteur de Gravity and Grace, cette suite aux morceaux emboîtés, entre grâce et antigravité, est justement tout le contraire : un sommet du genre qui ne se contente pas d’être contemplatif mais nous emmène loin, aux confins du fantasme cosmogonique et du voyage intérieur, les grands espace de la psyché rejoignant ceux du cosmos au gré des 15 minutes de Sion Suspension, ultime mouvement digne du vortex final de 2001, l’odyssée de l’espace.


37. Franck Vigroux - Ballades sur lac gelé

Moins impressionnant de prime abord que l’EP Matériaux commenté ici, ce premier album de Franck Vigroux pour l’écurie allemande Raster (anciennement Raster-Noton) vient y taquiner les sorties de l’autre Français du label, Kangding Ray, en construisant ses dystopies analogiques sur des beats puissants à la croisée de l’électro minimale (Drive) et de la musique industrielle (Rome), cet univers qu’explorait déjà le musicien à l’époque de ses collaborations avec le regretté Mika Vainio. Entrecoupés de passages sombrement contemplatifs à l’image de Ritournelle, 46 ou Acqua Alta, ces morceaux taillés pour le live, certes moins surprenants de la part de Vigroux (à l’exception d’Atotal, final aux pulsations plus expérimentales), s’approprient néanmoins avec subtilité l’univers de Raster, avec une approche par moments plus géométrique et particulièrement épurée à la façon de Ryoji Ikeda ou du patron Alva Noto (Styx), sans pour autant renier ce goût pour la noise et les textures cinématographiques (Beyond the Black Hole), avec pour résultat une transe éruptive évoquant souvent une forme somme toute assez inédite de post-rock électronique (Cygnus X-1, Two).


38. Beans - Venga

"A la croisée du freestyle qui caractérise ses albums chez Hello.L.A. et de l’influence électronique du label Warp qui avait révélé son groupe Antipop Consortium à la fin des 90s, Beans est allé dénicher le producteur Ay Fast pour mettre en musique cette nouvelle cassette aux allures de brûlot véloce et habité où se téléscopent storytelling dérangeant (l’étrange histoire criminelle de A Dark, sommet introductif aux surprenantes circonvolutions narratives et musicales), courants de conscience, réflexions sur l’état du monde, la pandémie, Black Lives Matter etc. Drums bitcrushés et déstructurations électroniques y ont la part belle, intrinsèquement virtuoses par moments (This Time Amok), ailleurs plus cheap (BLK VXX) et force est d’avouer qu’on aurait peut-être un peu de mal à écouter dans son entier l’instrumental d’un Lyedecker par exemple, mais le flow énergique, presque épileptique de l’Américain est à la fois le liant et l’émulsifiant qui vient transcender ces écrins singuliers dans le rap d’aujourd’hui. Un must-have pour les amateurs d’objets musicaux non identifiés."


39. HeAD - Corpo

Dans la continuité de l’excellent D’un espace à l’autre, le projet du Belge Patrick Masson nous perd sur Corpo dans un dédale d’atmosphères angoissées, de susurrements hantés et de beats déconstruits, entre électronica, ambient, indus, musique concrète, drone, house désossée (Pineapple) voire trip-hop sur Living, avec pour point commun un trouble existentiel certain face à la période de confinement qui l’a vu naître. "Play déroule une techno indus aussi étrangement organique et radicalement hypnotique que les images en noir et blanc qui l’illustrent, des visions fantasmagoriques qui doivent autant à David Lynch qu’à l’esthétique dérangeante de l’indie des 90s" disait-on ainsi de l’une de ses douze vignettes singulières, aussi représentative que possible - pour un album à ce point mutant - des qualités d’évocation de ces expérimentations lo-fi captivantes autant qu’intrigantes.


40. Scorched Earth Policy Lab - Inter Mortuos Liber

Grosse année pour Thierry Arnal et son projet dark ambient aux drones abrasifs communément abrégé en SEPL, avec pas moins d’une douzaine de sorties, toutes recommandables, incluant plusieurs collaborations, sans compter celles de ses autres alias à l’image du récent Alteration d’Amantra qui transforme chez m-tronic le projet qu’on croyait éteint en pourvoyeur de bangers power electronics massifs et véhéments. Amantra justement, auquel on doit dans une veine beaucoup plus atmosphérique l’album qui reste mon préféré du Lyonnais, Dawn Of The Fourth Stage, dont Inter Mortuos Liber n’est autre qu’une relecture alternant grondements dronesques, radiations minimalistes, grouillements insidieux et tout ce que l’on peut trouver à équidistance de toute ça. Un pas de plus vers l’abstraction par rapport l’original qui était peut-être plus organique mais dans un esprit néanmoins fidèle, et avec un talent intact pour la mise en musique de cauchemars primaux générateurs d’atmosphères anxiogènes.


41. Chromb ! - Le livre des merveilles

Un disque qui sonne comme son label, "dur et doux", qui infuse de la pop baroque dans sa noise barrée et vice-versa (Le livre des merveilles), saupoudre d’un lyrisme irrésistible son prog mathématique délicieusement alambiqué (Le fleuve Brison), trempe dans une ambient aventureuse ses crescendos incandescents (Les chevaliers qui apparaissent), déjoue le chaos ludique d’un storytelling surréaliste par une foi sincère en sa propre mythologie (La souvenance d’Achille). Avec ce quatrième, opus, le quartet lyonnais azimuté passe assurément une pallier et met en musique sa propre trajectoire merveilleuse, celle de réjouissants trublions devenus conteurs piloérectiles et façonneurs d’atmosphères. L’un des rares (pour moi) très grands albums "rock" (sans guitare tout de même, ça calme) de cette année 2020 et c’est encore (de loin) mon compère Le Crapaud qui en parle le mieux.


42. Aidan Baker, Simon Goff & Thor Harris - The Bit

Trois ans après, le trio responsable du superbe Noplace (et qui se faisait appeler ainsi sur scène à l’occasion de concerts parfois trop tâtonnants pour vraiment rendre justice à l’album) réitère chez Gizeh avec The Bit, basé sur une journée d’improvisation et toujours aussi hypnotique. Les cordes de Simon Goff se font plus élégiaques, les fûts du batteur de Swans, Thor Harris (qu’on retrouve plus bas avec ses amis), plus feutrés et la guitare d’Aidan Baker enveloppe le tout du genre de textures évanescentes et mystérieuses dont le Canadien a le secret. L’album sonne ainsi plus ambient et mystique que son prédécesseur, seule son intro faisant vraiment le lien avec la dynamique ritualiste de ce dernier. Le piano sur Springenden donne même au morceau de faux airs modern classical au spleen réconfortant avant que la longue progression du final Wild at Heart ne vienne perdre l’auditeur pour de bon dans un purgatoire d’harmonies délicatement dissonantes et hantées dont les dernières minutes semblent annoncer, qui sait, un troisième volet pour le moins angoissé.


43. Phew - Vertical Jamming / Ikue Mori, Phew, YoshimiO - IPY

Difficile de départager ces deux remarquables sorties de Phew, et si pour être tout à fait honnête mon cœur balançait légèrement en faveur de Vertical Jamming et de ses longues progressions dystopiques largement improvisées entre fantasmagories pulsées, motorik de l’ère atomique et transmissions radio d’une autre dimension, comment ne pas en profiter pour mentionner deux autres aventurières japonaises des musiques ardues que j’admire tout autant, Ikue Mori (Phantom Orchard Ensemble) et YoshimiO (OOIOO, Boredoms), aux prises avec l’auteure de Voice Hardcore sur cet IPY aux expérimentations essentiellement moins synthétiques sous l’impulsion de la batterie en liberté et des mélopées mystiques de la seconde (imaginez pour vous faire une idée un free jazz zornien qui aurait digéré un demi-siècle de dark ambient et toute la disco du label Mego), hormis sur un UFO Powder Blue/Ivory aux radiations et bleeps déstructurés évoquant, en plus tourmenté, les grandes heures de la kosmische musik.


44. Robot Koch - The Next Billion Years

"Que de chemin parcouru par le Californien d’adoption depuis cet EP de hip-hop glitch et métissé chroniqué dans nos pages il y a 9 ans déjà et l’électro-pop à la Apparat circa Walls de The Other Side. Dans la continuité d’un Spheres au lyrisme orchestral déjà assumé, The Next Billion Years gagne en subtilité et en impressionnisme, abandonne le chant pour de bon et décolle pour la stratosphère dès l’introductif Manipura qui voit l’Allemand faire la part belle au spleen des cordes et au foisonnement cosmique des textures électroniques. Qu’il renoue avec la dimension syncopée des débuts sur le pastoral Liquid, flirte avec la techno enluminée d’un Kiasmos (Stars As Eyes, Dragonfly) ou lâche complètement les beats sur un Glow digne de ce qu’aurait pu faire John Barry s’il avait été produit par Ben Lukas Boysen, l’album remue les tripes par la pureté de ses émotions (Kassel, ou encore le merveilleux Cousteau avec Julien Marchal au piano et aux orchestrations) ou leur poignante gravité (Nebula), sans jamais laisser la joliesse prendre le dessus sur la qualité organique de ses mutations instrumentales, à l’image du dysrythmique Particle Dance ou du clip fabuleux d’All Forms Are Unstable. Même dans ses moments les plus emphatiques, à l’image de ce Hawk qu’on rêverait en soundtrack d’un James Bond ou du plus sentimental Post String Theory, l’album retombe toujours sur le fil de la grâce et de l’élégance, se frayant peu à peu un chemin sans retour vers nos petits cœurs sensibles."


45. Ben Lukas Boysen - Mirage

Toujours aussi versatile avec son projet expérimental Hecq, le Berlinois Ben Lukas Boysen semble s’être quelque peu rangé avec les sorties qu’il consacre sous son véritable patronyme au label anglais Erased Tapes. Après Spells qui offrait au classical ambient un souffle maximaliste à la croisée de l’électronica et du post-rock, Mirage, grâce à l’écrin d’une production tout aussi travaillée, décide ainsi de tracer un pont enluminé entre jazz et synthés modulaires, une musique aussi libertaire que savamment cadrée, toujours auréolée d’une dimension sacrée et sous-tendue d’élans cinématographiques mais qui s’en va cette fois tutoyer les étoiles et les mirages de l’infini et de la création, les voix modulées, piano, saxophone et batterie (mais en est-ce vraiment ?) se mêlant aux programmations électroniques de l’Allemand avec tellement de naturel que l’on ne sait bientôt plus vraiment ce qui est synthétique et ce qui ne l’est pas. Moins singulier assurément que ses meilleurs projets mais la magie est là !


46. Thor & Friends - 3

"En dépit de l’onirisme percussif et jazzy du superbe 4 sur lequel sévissent notamment aux vocalises Bill Callahan, Jolie Holland et Low, c’est clairement ce 3 aux invités tout aussi attachants qui emporte l’adhésion. Des psalmodies mystiques de Jenn Wasner et Soria sur As Above So Below aux rêveries brumeuses de la comparse de Thor Harris au sein des Swans sur Jarboe Walks In the River en passant par les onomatopées discrètes de Michael Gira en personne sur le délicatement dissonant Tucson, on y retrouve la même palette de cordes lancinantes et de chœurs de purgatoire (Falling), de marimbas à la Steve Reich teintés de jazz narcotique et de tropicalisme chamanique (Stine and Her Animals), entre autres digressions plus expérimentales aux effets déroutants et aux motifs hypnotiques (Lonely Dee). Finalement, la seule chose qu’on n’entend pas vraiment au sens classique sur cet album, c’est cette batterie que le percussionniste aux allures de viking - également aux cuivres ici - tient généralement chez les autres et c’est tant mieux, tant elle y laisse place avec avec autant de délectation que de brio à un arsenal baroque et dépaysant, gong et vibraphone en tête."


47. Funki Porcini - Boredom Never Looked So Good

"Chaque nouvel album de l’Anglais James Braddell est un petit évènement pour mes tympans, et bien qu’il faille reconnaître au touche-à-tout de la musique électronique, passé de la drum’n’bass à l’ambient après avoir contribué à forger l’esthétique de Ninja Tune dans les 90s, une légère baisse de régime depuis Studio 59 l’an passé qui faisait tout de même suite à pas moins de 5 chefs-d’œuvre absolus en 8 ans, on ne peut que se réjouir de la productivité de Funki Porcini depuis son départ du label suite au génial On. Personne ne peut décemment sortir un Conservative Apocalypse chaque année, et après un disque au downtempo jazzy délicieusement rétro-futuriste, c’est dans l’ambient la plus épurée qui soit, à la façon d’un Brian Eno, que se love le musicien sur ce 12e album, non sans ménager quelques petites percées rythmiques de bon aloi, des percus jazz de Losen Down aux beats techno mâtinés de batterie et de gimmicks dub de Maybe Baby en passant par le groove presque "big beat" de Requiem For The Open Road et le downtempo liquéfié de l’onirique Amalfi et du mystérieux From My Window, pas loin des grandes heures de Badalamenti."


48. Goldmund - The Time It Takes

Plutôt que le dernier-né d’Helios, dédié au sanctuaire de son foyer et peut-être un peu trop pépère du coup dans le genre méditatif et relaxant, c’est ce nouveau Goldmund qui a réveillé mon attrait pour l’univers du Portlandien Keith Kenniff, peut-être le meilleur album du projet classical ambient de l’Américain depuis The Malady Of Elegance (2008), et sûrement en tout cas depuis Famous Places. Pas évident en effet de maintenir l’inspiration autour d’un seul et même instrument central, le piano, que les deux précédents opus Sometimes et Occasus, après la guitare acoustique sur All Will Prosper, nimbaient déjà de textures joliment irréelles. The Time It Takes y parvient ainsi, dans cette veine nostalgique et atemporelle chère au musicien, en mêlant arpèges réverbérés, douces vagues de hiss et nappes de synthés éthérés aux accents rétrofuturistes, agrémentés ici et là comme sur Forever ou Memory Itself du violon de Christopher Tignor (Slow Six, Wires Under Tension), de quoi revigorer la délicate dramaturgie et ce sentiment de temps perdu que véhicule Goldmund depuis ses débuts.


49. Erland Dahlen - Bones

On ne s’intéresse décidément jamais assez au label Hubro, pourvoyeur de merveilles post-jazz scandinaves qui a su prendre le relai du désormais plus discret et moins défricheur Rune Grammofon. Ancien batteur de Madrugada et de pas mal de projets issus de cette scène que l’on situera pour faire vite à la croisée du jazz, des musiques électroniques et de l’ambient, Erland Dahlen mélange lui-même un peu tout ça sur ce 4e album solo aux polyrythmies à la fois puissantes et hypnotiques, qui fait également la part belle aux claviers d’un autre temps mais dont la matière première vient indubitablement d’un entrelacs de percussions, toms et autres boîtes à rythmes, entre mystique et rêverie. Il y joue en personne de plus d’une vingtaine d’instruments avec un sens de l’élan lyrique aux touches abstraites qui n’est pas sans rappeler les tous débuts instrumentaux de Mice Parade, avant le virage pop chez FatCat. Très conseillé !


50. Bunker Palace - Hotel

Derrière le clin d’oeil à Bilal et à son esthétique dystopique se cache le projet électro-indus du Belge Patrick Masson (HeAD, croisé un peu plus haut dans cette même tranche de classement) et du Français Gildas Brugaro (aka SRVTR). Raccord avec la grisaille d’anticipation géométrique de sa pochette mais étonnament organique pour le genre, cet Hotel déroule une musique industrielle aux textures dark ambient fuligineuses et aux beats volontiers mutants, tantôt minimaliste et mathématique (codeC, qui a finalement autant de points communs avec les abstractions électroniques de Raster-Noton) ou plus foisonnante et dysrythmique (Gestalt), d’où s’échappent régulièrement saturations carnassières (sur le fleuve et flippant Black7 d’ouverture), exhalaisons hantées (Possession), dissonances lancinantes (The 3rd Door) et autres interférences extra-dimensionnelles (Black Hole II). Une réussite digne des projets les plus évocateurs et malaisants de Justin Broadrick, tels que Council Estate Electronics.