1987 : Interdit aux moins de 20 ans.

Grand retour en arrière, à l’époque où nous regardions les frères Bogdanoff à la télévision dans l’émission Temps X. C’est quoi ce mag, un journal pour les anciens combattants ou de sales gamins qui ont piqué les disques de leur vieux ?

Qui que l’on soit, il y a 20 ans on était bien plus jeune et sinon que de se rappeler avec nostalgie de grands souvenirs, au moins pourra-t-on s’accorder à dire que ce fut probablement l’une des premières années de l’ère indie-rock des temps modernes.

Strangeways, Here We Come

Commençons donc par la fin, The Smiths se séparent et laissent derrière eux quelques albums fondamentaux. Ainsi, ils signent cette année-là leur dernier
album avant séparation : Strangeways Here We Come. Interrogeons donc indie, l’un de nos rédacteurs connu au moins pour préférer Strangeways Here We Come à tous les autres albums du combo mancunien.

- caribou : Je ne sais pas vraiment si je le préfère à tous les autres, par contre, c’est le meilleur ça c’est certain. Enfin, y a beaucoup de nostalgie dans ma passion pour les Smiths. Découverts sur une K7 perdue au fond d’un placard, c’était tellement différent de la soupe quotidienne servie par les médias de l’époque. Adolescent, écouter Johnny Marr et Morrissey, je vous jure que c’est pas anodin et que ça a bouleversé plus d’une vie, enfin au moins la mienne. Last Night I Dreamed That Somebody Love Me !, et moi j’ai rêvé que les filles s’allongeaient nues sur les posters de Morrissey (c’est grave docteur ?). Death Of A Disco Dancer contient également une devise à respecter : « love, peace and harmony », ils peuvent partir en paix.


Place aux jeunes

A cette époque, ni de mp3, ni de myspace, ni même d’internet. Et pourtant, le bouche à oreille a fonctionné puisque ces petits groupes qui débutaient tout juste ont fait le tour de la planète.

Pixies

- Pixies : The Purple Tape - Come On Pilgrim
- The Wedding Present : George Best
- The Bats : Daddy’s Highway
- Noir Désir : Où veux-tu qu’je r’garde
- The Pastels : Up For A Bit With The Pastels
- The Stone Roses : Sally Cinnamon (7")
En voilà, des premiers émois musicaux qui font sourire, en regard de la suite discographique exceptionnelle que ces groupes ont pu produire. Oui, car malgré l’aura culte qui enveloppe cette belle playlist, les albums ici présentés ne sont pourtant pas tous à la hauteur et il fallait avoir le nez fin pour sentir tout le talent de ces artistes. On peut aussi citer la naissance de 2 groupes qui auront remué pas mal les guitares : Fugazi et La Mano Negra.

Il y a des vagues ?

Mais alors qui faisait la une des magazines ? Déjà, on sortait tout juste d’une vague new-wave, cold-wave, dark-wave et j’en passe avec en tête de l’underground :

- The Cure : Kiss Me Kiss Me Kiss Me
- Siouxsie And The Banshees : Through The Looking-Glass
- And Also The Trees : The Evening Of The 24th (live)
- Dead Can Dance : Within The Realm Of A Dying Sun
- New Order : Substance (compilation)
- Christian Death : Atrocities
- X-Mal Deutschland : Viva
-  Sisters Of Mercy : Floodland


On va essayer d’en savoir un peu plus sur la hauteur de la vague auprès de notre autre rédacteur Lloyd_cf.

- Lloyd_cf : Alors certes, c’était une de mes portes d’entrée pour l’indie-rock, moi qui venait du métal et était fortement (et durablement) accro à l’imagerie gothique. 1987, ça sentait le gaz, quand même, la fin de règne, en quelque sorte. Après avoir été sous les feux de la rampe (ce qui avait dû leur faire très mal, on imagine bien) pendant le début des années 80, les batcaves retournaient dans la leur, de cave. La petite liste ci-dessus est en elle-même parlante : les Cure The Cure s’ouvraient à la diversité et osaient même les trompettes et la joie avec un double album au design et au contenu magistraux, s’ouvrant la voie à une plus grande reconnaissance pop et à une légitimité bien méritée, même si ils replongeront dans le spleen deux ans plus tard, quand l’indie-rock germera pour de bon. Un live d’And Also The Trees, qui clôt leur quart d’heure de gloire, mais pas leur talent immense. Dead Can Dance qui se médiévalise à outrance. New Order qui fait ses fonds de tiroir et termine ainsi ses pérégrinations dance en préparant un Technique hybride et magistral à Ibiza. Christian Death nouvelle version, auto-sabordé par Valor, qui atteint ici des sommets de créativité qu’il ne connaîtra hélas plus jamais à ce niveau, avec un disque lourd, oppressant et homogène. Et X-Mal Deutschland qui sort son dernier grand disque en amorçant un virage pop avant de devenir une parodie d’eux-mêmes après le départ de la guitariste Manuella et leur éviction de chez 4AD.

For Eddy

4AD, d’ailleurs, il faut en parler, du petit label qui devenait gigantesque à lents, petits, pas de souris : Ils avaient déjà dans leur giron les Cocteau Twins, Dead Can Dance, The Wolfgang Press, les Throwing Muses, les Pixies, X-Mal Deutschland, His Name Is Alive... on allait entendre parler d’eux et je connaîtrais un grand moment de joie en caressant la plaque de leur immeuble londonien quelques années plus tard, après avoir le même jour fait une visite chez Rough Trade, un peu comme un pélerin qui visite des lieux saints.
Non, franchement, en 1987, la vague cold wave n’est plus. Enfin plus en avant, à la une, parce qu’elle continue son travail d’orfèvre en influençant plus de monde qu’on le croit, par en dessous...

Mainstream

Petit apparté côté "grand public" et après on replonge, donc ici en France, on goûtait à :

- Midnight Oil : Diesel And Dust
- Suzanne Vega : Solitude Standing
- Depeche Mode : Music For The Masses
- U2 : The Joshua Tree
- Gainsbourg : You’re Under Arrest
- Indochine : 7000 danses .
Un guide de référence mainstream est disponible chez nos amis anglo-saxons de wikipedia : 1987 in music

Le son des guitares

Une autre menace sourde continuait à gronder, parce que le no-wave américain n’en finissait pas de faire des petits au pays des bruitistes :

- Sonic Youth : Sister
- Swans : World Of Skin / Children Of God
- Big Black : Songs About Fucking
- The Young Gods : L’Eau Rouge

Avec leurs cousins brittons qui allaient bientôt inventer le shoegazing à force de traîner dans les marges du psychédélisme :

- The Jesus And Mary Chain : Darklands
- My Bloody Valentine : Ecstasy And Wine
- Spacemen 3 : The Perfect Prescription

D’ailleurs, pas la peine de chercher trop longtemps des fans, puisque darko nous parle de Darklands.

- darko : Pour ma part, si je ne devais retenir qu’un seul album de cette année, ce serait sans conteste Darklands de Jesus And Mary Chain. Alors que 2 ans auparavant, le groupe avait défrayé la chronique avec le son noisy crade et provocateur du génial premier album Psychocandy , le voici revenu avec un album attendu et étonnamment bien plus apaisé (tandis que les frères Reid en dehors n’ont pas fini de faire parler d’eux). Voilà un album à la beauté sombre et lumineuse, qui a confirmé tous les espoirs, marquant ainsi l’histoire du rock indé et ayant encore une grande influence aujourd’hui. Les murs de sons ont laissé la place à des mélodies mélancoliques et enjouées à la fois (à l’image du single Happy When it Rains). Le son plus épuré avec même l’apparition de guitares acoustiques, montre que le groupe a gagné en maturité alors que l’on ne donnait pas cher de sa peau avec notamment le départ du batteur Bobby Gillespie parti fonder Primal Scream. Ce n’est pas donné à tous les groupes de confirmer et même surprendre avec un deuxième album, c’est l’apanage des grands et 1987 sera le sacre des princes rebelles de la noisy-pop …

Et d’autres genres qui arrivaient à grand pas.

En effet, 1987 c’est tout de même l’année de naissance de feu Nirvana, Sebadoh également avec un Lou Barlow parti posé les bases de la lo-fi "loin" de son ancien groupe : Dinosaur Jr qui mené par Jay Mascis en tête publiait You’re Living All Over Me, second opus du groupe pouvant haut la main lui permettre de revendiquer la paternité du mouvement grunge.

And The Others

Reste une poignée d’albums qu’on ne peut passer sous silence.

- The Nits - In The Dutch Mountains
Le groupe hollandais avait la côte à cette époque-là, avec le single éponyme qui trouva place dans les charts et dont voici le clip.


- R.E.M. : Document
Eux également étaient en pleine force de l’âge, 5ème album studio qui marquera la fin de leur collaboration avec le label indé I.R.S. puisque la sortie de cet album et du hit The One I Love les propulsera sur la major Warner. Par contre, un nouveau venu dans l’histoire du groupe, c’est le co-producteur Scott Litt qui sera ensuite de la partie sur la plupart des grands albums suivants du groupe de Athens.

- Echo & The Bunnymen : Echo & The Bunnymen
Le gray album de Ian Mc Culloch et sa bande de Liverpool.

- The Go Betweens : Tallulah
Robert Forster et Grant McLennan n’étaient qu’à un an de leur célèbre 16 Lovers Lane et possédaient déjà de grandes chansons : The House That Jack Kerouac Built, The Clarke Sisters...

- Housemartins : London O Hull 4 / The People Who Grinned Themselves To Death

- Tom Waits : Frank’s Wild Years

- Il y avait également toutes ces hordes de bons petits groupes qui pour certains mènent toujours carrière, et se sont même parfois bonifiés avec l’âge :

- Throwing Muses : The Fat Skier
- Kat Onoma : Cupid
- The Flaming Lips : Oh My Gawd !!!
- Guided by Voices : Devil Between My Toes
- Faith No More : Introduce Yourself
- The Verlaines : Juvenilia / Bird Dog
- Red Hot Chili Peppers : The Uplift Mofo Party Plan
- Butthole Surfers : Locust Abortion Technician

Pump Up The Volume !

Un ovni également à l’époque ravageait littéralement la bande FM :

M/A/R/R/S - Pump Up The Volume


Mais 1987 ne marquait pas seulement les débuts de l’indie rock, loin s’en faut. Prenons donc notre mal en patience pour écouter notre rédacteur Rabbit, qui à l’époque laissait tout juste derrière lui les joies de la maternelle, digresser à loisir sur l’un de ses groupes favoris, Public Enemy.

- Rabbit : Oui il faut dire quand-même qu’en 87, on était pas tous mûrs pour l’indie rock, même ici à la rédaction. Tenez, moi par exemple, j’étais encore bercé par les compils de Claude François de papa, et loin de me douter que tout un univers m’attendait au tournant des années 90. Du coup les 80’s je n’y suis venu que bien plus tard encore, après avoir réalisé qu’elles cachaient elles aussi bien des trésors, par dessous la ringardise des tubes de pop synthétique qui inondent toujours aujourd’hui les radios portés sur la nostalgie facile.

Je découvrais ainsi, entre autres, quatre groupes qui n’allaient plus quitter les plus hautes marches de mon panthéon musical personnel : les Pixies bien sûr, mais également Talk Talk, les Beastie Boys et enfin Public Enemy... qui justement faisaient leurs premiers pas sur album en l’an 1987 qui nous occupe ici.

Car après quelques années à oeuvrer dans l’underground de Long Island, diffusant leurs premiers pamphlets sur des radios locales qui influenceront notamment dès 1986 les Beastie Boys et Run-DMC, c’est bel et bien l’année suivante que Chuck D, Flavor Flav, le DJ Terminator X et leurs amis, signés entre-temps sur le label Def Jam par un Rick Rubin qui avait senti le public mûr pour la radicalité de leur son, peuvent finalement sortir leur fameux Yo ! Bum Rush The Show inaugural, emmené par son petit hit Public Enemy No. 1.

Epaulé à la production par le Bomb Squad de leurs collègues Hank Shockley et Carl Ryder, lesquels officieront également aux manettes des deux chef-d’oeuvres qui suivront, Public Enemy n’est certes pas encore tout à fait le groupe qui permettra au hip-hop de susciter plus qu’un reconnaissance, un véritable engouement de la part des critiques rock de l’époque (phénomène qui débutera dès l’année suivante et la portée aux nues du fabuleux It Takes A Nation of Millions To Hold Us Back par l’influent Village Voice), mais bel et bien, déjà, le premier groupe à précipiter dans une fusion d’une amplitude quasi-abstraite, beats hip-hop, guitares rock, héritage funk, drones noisy, expérimentations analogiques et sonorités hardcore avec tellement de personnalité et de créativité que ces débuts discographiques minimalistes et hypnotiques, tendus et saccadés, demeurent encore aujourd’hui célébrés comme les plus modernes des années 80 par un musicien du calibre de Thom Yorke. Le son est dur, sensiblement influencé par la no-wave et la musique industrielle, et le propos ne l’est pas moins : appel à la révolution par les ondes et regard sévèrement critique sur les moeurs de ceux qui, par leur violence et leur bêtise, permettent à nombre de clichés néfastes à la communauté afro-américaine d’exister et de se propager. Aujourd’hui, la véhémence pacifique de Public Enemy a fait des petits, et le groupe, finalement revenu en grande forme cet été avec un How You Sell Soul To A Soulless People Who Sold Their Soul ??? qui efface en un clin d’oeil huit années de semi-déceptions, nous prouve que même après 20 ans d’activisme il n’est jamais trop tard pour décider d’arrêter la course à la radicalité et partir explorer de nouveaux horizons.

Et en parlant d’explorateurs, cette même année, une autre figure essentielle des 80’s, ex-leader de Japan, continuait avec brio (et l’aide de ses fidèles amis et collaborateurs Ryuichi Sakamoto et Mark Isham, tous deux illustres compositeurs de musiques de films), d’ouvrir folk et rock atmosphérique à son formidable sens de l’espace et à ses douces expérimentations de jazzman moderne rompu à l’ambient et à la musique nouvelle :

- David Sylvian : Secrets Of The Beehive

Bouquet Final

Une dernière vidéo d’archive, youtube c’est fantastique avec un top 10 britannique daté entre octobre et novembre 1987.


free music


Et une mini-playlist 1987, qui clôt ainsi notre contribution à cet anniversaire. Pardon à Front 242, Happy Mondays, Hüsker Dü, PIL, Ramones, Nick Cave (croisé cette année-là dans le film de Wim Wenders, Les Ailes du Désir ) et tant d’autres qui ont été oubliés. A la prochaine.


Mise à jour : 1987, on en parle aussi sur notre forum : http://www.indierockforum.com/index.php?showtopic=5509