Run To Safety - We as monsters
Un album d’un psychédélisme forcené, mêlant habilement des ambitions progressives avec des sonorités nouvelles, tout en restant simple et agréable à l’écoute. Chronique-conférence avec votre guide, Lloyd C. Fered.
1. Being watched
2. Nearest
3. From the beginning
4. What a non human being sings when he’s drowning
5. We as monsters
6. Waves
7. Where good men go
8. Big stairs to the stars
9. It is a good night to dream
10. A black rose in the head
Chers lecteurs, bienvenue chez Run to Safety, installez-vous bien confortablement. Cette chronique sera bien agencée, nous suivrons le cours du disque, car sa fluidité et sa cohérence nous y appellent. On y évitera tant que possible tout name-dropping ou références, sauf aux quelques moments où l’on y sera obligés pour vous guider plus précisément, moments auxquels on s’amusera de les trouver sous forme de devinettes récréatives.
D’entrée de jeu, l’ouverture de l’album, Being Watched, donnera le ton à l’auditeur pressé qui veut découvrir ce groupe. Des percussions tribales montent lentement, accompagnées par une voix plaintive et vaguement familière nous rappelant qu’elle rêve, se laissant aller à un seul moment à un bref cri pas très bien maîtrisé, et puis au milieu du morceau, une explosion d’arrangements symphoniques. Serions-nous perdus au carrefour entre post-rock, ambient et rock progressif ? On ne saurait trop dire, mais l’impression générale, agréable, ne saurait être satisfaisante. L’album de Run to Safety a tellement plus à offrir... et le deuxième titre, Nearest, nous le prouvera amplement. La voix continue donc à faire ses vocalises de celui qui connaît Thom par coeur, mais la musique, elle, a déjà pris un autre chemin, parce qu’une clarinette aux accents orientalisants a déjà envahi la trame somme toute classique et hypnotique que la guitare sèche avait donnée au morceau, ne variant pas d’un iota sur ces vocalises d’un autre monde. Le morceau est bref, mais tellement dépaysant qu’on continue à rester attentifs et... attendez... une lente et longue conclusion aux accents free nommée From the beginning menée par la clarinette et le saxophone nous attend pour nous ramener tout droit vers 1970 et les invraisemblables envolées de Monsieur Roger et de sa Famille lorsqu’ils jouaient aux bateleurs publics... diantre, nous nageons en plein psychédélisme, que se passe-t-il donc ? Nous n’avions pas remarqué que nous changions de titre, quel enchaînement magistral...
Profitons de ce repos adéquat pour faire un premier bilan : oui, ce disque est hybride, simple et complexe à la fois, aux influences tellement variées et bigarrées que toutes les citer ici ne ferait que vous embrouiller. Restons-en à ce que nos oreilles nous dictent.
Des accents trip-hop nous ramènent sur terre : la clarinette se fait plus grave, le rythme est encore plus lancinant et bristolien en diable, What a non human being sings when he’s drowning, concurrent au titre de chanson le plus génial de l’année, démarre lentement, toujours dans les eaux troubles entre jazz cool et film noir, laissant présager un développement inquiétant. On est loin de l’évidence du début de l’album, on a quitté le terrain connu vers un monde onirique et quasi subaquatique, oppressant au possible, le chant se fait angoissé et en retenue. Puis à cinq minutes, la guitare, fortement saturée et rock, mais aux accents héroïques et sombres, entre en jeu et le titre nous emmène très loin avec lui, mais pendant juste deux minutes avant de laisser à nouveau place à cette noyade dont nous parle le titre, inexorable et radicale. Oui, il y a bien un génie de l’ambiance dans tout cela, cette faculté de passer en un clin d’oeil du trip-hop sombre à la cold-wave la plus oppressante au sein d’un seul morceau, avant de contre-balancer tout cela avec un We as Monsters s’ouvrant sur une fausse cacophonie de bandes inversées pour reprendre un style plus convenu s’approchant davantage de la ballade pop à fleur de peau, voix angélique en suspension à l’appui, piano et percussions inquiétants en fond, pour une montée vers quelque chose de moins dramatique et plus poignant, rappelant fortement les terribles murs du son dont nous gratifiait un puissant trio anglais depuis leur mezzanine il y a quelques années, avant de s’écraser sur du chant lyrique et une dimension post-rock, voire ambient, inattendue à ce moment de l’album.
Mince, c’est vraiment quelque chose. Première coupure, et Waves semble renouer avec un schéma plus classique sur fond de guitares acoustiques, un peu comme certains flamands roses lorsqu’ils prenaient leur petit déjeuner psychédélique chez Alain après une furie dans le coeur atomique de leur maman. Léger et presque inconsistant, après la furie des cinq premiers titres, c’est étrangement reposant.
Where good men go reprend la trame en commençant un peu comme une boîte à musique du futur, ou peut-être est-ce l’écho du lointain camion de glaces de Monsieur Tchoupy, votre clown glacier préféré, avant de rouvrir le bal sur des accents exotiques, un peu flamenco, rappelant vaguement les Mynci zygotiques de Gorki dans leurs grands moments de troupe espagnole dansante, tout en légèreté et sérieux mêlés, malgré que le refrain ait bien l’air plus rock’n roll que ça, et que le petit synthé analogique qui l’accompagne apporte une touche de charme désuet non négligeable. La perte de neurones due à la lecture de la phrase qui précède n’est pas couverte par la rédaction. En tous les cas, un très très beau titre, porté par une ligne de basse et une mélodie que n’auraient pas reniées monsieur Arthur et son groupe plein d’Amour, sur leur disque qui a tout changé pour toujours.
Big stairs to the stars est une autre affaire, tout en arpèges enchanteurs et mélodies vocales (de superbes choeurs féminins) venues, semblerait-il si nous ne savions pas qui nous écoutions, d’un monde des rêves insoupçonné, que nous ne connaissions alors que chez Monsieur Danny et sa bande, liverpuldiens intarissables en mélodies dont la fréquentation est chaudement recommandée. C’est tout naturellement que It is a good night to dream prend le relais, plus arrangé, un peu réminiscent du Nearest qui ouvrait presque le bal, toujours aussi aérien et sur le fil, aux arrangements fins et féériques. Mais à ce niveau de l’écoute, on ne cherche même plus à trouver quelque point de repère que ce soit, tant l’univers musical de Run to Safety s’est fait cohérent et nous a emmenés avec lui.
Le disque se terminera en apothéose avec A black rose in the head simple et émouvant, ballade folk épurée s’ouvrant sur un final au chant lyrique inspiré et interminable, et c’est à ce moment-là qu’on voudra le remettre à la première plage.
En bref, pour ceux qui n’auraient pas suivi ou pas eu le courage de nous accompagner tout au long de notre voyage, ce disque est une pure merveille, une réussite inattendue, et, chose rare de nos jours, originale. Car oui, nous avons tenté d’y retrouver quelques influences pour situer un peu le décor, mais c’est bel et bien dans un univers très particulier, parfois déroutant à la première écoute, que nous invite ce disque. Certes, il faudra s’accrocher, et savourer plusieurs fois certains titres pour les apprécier à leur juste valeur, mais si la première impression peut s’avérer complexe et un peu déconcertante, le disque demande à être réécouté, encore et encore. Seuls ceux, de nature impatiente, qui ne trouvent leur bonheur que dans le tatapoum instantané de 2’30 maximum ne seront peut-être pas contentés... et peut-être aussi les blasés qui savent tout et ont tout entendu, et ont un avis sur tout, bien entendu... N’est-ce pas là l’apanage des grands crus ? Laissons-les se révéler à ceux qui savent les apprécier et laissons les disques clinquants et tapageurs mais sans finale en bouche à ceux qui ne font que consommer...
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