Melanie De Biasio - Blackened Cities
« Blackened cities, rumble, strangers stroll and lovers stumble ». C’est par ces mots que débute le troisième disque de Melanie De Biasio, une œuvre dont on ne peut pas ressortir tout à fait indemne tant elle semble touchée par la grâce et une forme d’ironie glaciale et acerbe.
Blackened Cities est-il un long format ou un EP ? Nous ne nous risquerons pas à nous arrêter sur une classification tant le projet est hybride. Ses vingt-quatre minutes et seize secondes pourraient lui valoir d’être considéré comme un maxi, mais sa profondeur, sa richesse et sa cohérence rendent impertinente cette désignation. Alors, LP ou œuvre supérieure à toute catégorisation ? Nous penchons allègrement vers la deuxième solution.
Il faut dire que la flûtiste a choisi d’emprunter un chemin de traverse pour les besoins de Blackened Cities. Après le discret A Stomach Is Burning en 2007, son second disque intitulé No Deal avait permis à la Belge de se révéler en 2013 à un public moins confidentiel en proposant sept pépites à la croisée du jazz et de la pop qui pouvaient s’appréhender de manière relativement indépendantes, en témoigne la réalisation d’un disque de remixes paru deux ans plus tard sur lequel étaient notamment mis à contribution The Cinematic Orchestra ou Mark Oliver Everett – dont elle assurait la première partie sur une partie de sa récente tournée – excusez du peu.
Pour autant, au sujet de ce second album, Melanie De Biasio insistait déjà à l’époque sur l’importance de « l’écouter d’une traite », se reconnaissant dans les classiques de Talk Talk comme des disques qui « vous laissent le temps d’entrer dans une histoire ». Avec le recul, l’orientation de ce Blackened Cities était finalement déjà évidente.
En effet, sur cette unique pièce de près de vingt-cinq minutes, il n’est pas rare que l’on pense au Talk Talk de Spirit of Eden ou Laughing Stock. Plus que ce qui se joue, c’est l’indicible qui occupe l’espace. Ainsi, les respirations, toujours très aériennes, sont au moins aussi importantes que les divers arrangements, pourtant sacrément gracieux.
Le chroniqueur (trop) pressé aurait vite fait de décrire une rupture dans la discographie de la Belge avec cette œuvre « à part ». Pourtant, si le format est assez inédit, le contenu musical n’offre pas de rupture totale avec No Deal. La flûtiste fait ainsi de nouveau confiance à la même base de musiciens, qu’il s’agisse du pianiste Pascal Mohy, du contrebassiste Sam Gersmans ou du batteur Dre Pallemaerts, tandis que Pascal Paulus s’occupe toujours des parties de synthétiseur.
Le quintet offre ainsi une pièce majeure, qui ne saurait être réduite à un seul registre, tant elle brasse large. Si le jazz semble toujours constituer la base de l’ensemble, ce courant est ici transcendé et enrichi par les réminiscences des mouvements de rock expérimental (particulièrement le délectable pont à douze minutes et vingt secondes), du trip-hop (à partir de treize minutes et quarante secondes) et même de l’ambient. Chaque fois, la voix de la native de Charleroi – ville qui a inspiré la réalisation du disque – s’adapte et oriente de manière prodigieuse le propos soutenu par les différents instruments classiques qui l’appuient, rappelant en la matière l’immense Nina Simone.
Articulant, telle une montagne russe, les parties riches en instrumentation – surtout au cœur du morceau – et les nécessaires respirations, il ne semble jamais y avoir aucune préméditation dans la maîtrise de Blackened Cities. Celle-ci s’impose d’elle-même, comme toutes les œuvres riches et touchées par la grâce.
Ces vingt-quatre minutes et quelques secondes traversent le temps et les influences – à la volée, celles de Fire ! Orchestra, Angelo Badalamenti ou Bohren und der Club of Gore peuvent être évoquées – comme le quidam s’engouffre dans les paysages urbains le soir venu. C’est d’ailleurs dans cette configuration – à pied ou à vélo – au sein de la cité belge, que Melanie De Biasio, écoutant sur son iPod la première prise de ce qui deviendra Blackened Cities, s’est assurée de la nécessité d’approfondir ce qui n’était à la base que l’alchimie d’une séance de répétition improvisée.
Grand bien lui en a pris. Blackened Cities est à la fois une œuvre ancrée dans son temps – l’agitation et le bourdonnement urbains ne sont-ils pas à la fois le terrain de jeu de formidables rencontres (amoureuses) et de désillusions quant à la nature humaine ? – et fondamentalement intemporelle, de par sa capacité à transcender les genres, les formats et les étiquettes. Et si l’album de l’année n’était pas un LP ?
180 albums, car si la frustration demeure de ne pas en citer 100 ou 150 de plus, c’est là que la césure s’avérait la plus supportable en cette année 2023 riche en pépites sous-médiatisées. 180 disques, car le but d’un bilan annuel, de la part d’une publication musicale quelle qu’elle soit, ne devrait pas revenir à montrer que l’on a sagement écouté la (...)
En 2007, alors que sortait son premier disque intitulé A Stomach Is Burning, Melanie De Biasio évoquait les conséquences d’une maladie lui ayant fait perdre la voix pendant une année entière et les conséquences sur sa musique.
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