Jel - Soft Money
Avant de livrer en octobre dernier avec son compère Adam "Doseone" Drucker le chef-d’oeuvre de Subtle ( For Hero : For Fool ), Jeff Logan dit Jel, metteur en son numéro un du label Anticon, laissait libre cours à l’étendue de son talent protéiforme avec Soft Money, sommet d’abstract hybride digne du DJ Shadow de la grande époque.
1. To Buy A Car
2. All Day Breakfast
3. No Solution
4. All Around
5. Thrashin
6. Sweet Cream In It
7. Soft Money, Dry Bones
8. Know You Don’t
9. WMD
10. Mislead
11. Nice Last
12. Chipmunk Technique
Aussi riche, varié, dense et concis que For Hero : For Fool, mais en plus posé (voire même presque ambient par moments, comme sur No Solution), Soft Money est une véritable diatribe contre la société de consommation, le culte de l’argent et autres méthodes d’aliénation indirectes comme la religion ou la manipulation de l’information, monnaie courante aux États-Unis comme chacun sait, le tout doublé d’une charge féroce contre les dérives de l’administration Bush. Le "soft money" du titre est ainsi à prendre au sens littéral (la douceur attirante de l’argent) aussi bien que métaphorique (les donations indirectes à un parti pour soutenir un candidat au poste de président, sous-entendu les financements présumés de la campagne de George W. Bush par des compagnies pétrolières en raison d’accointances juteuses autant que douteuses avec une certaine famille Ben Laden).
Pour autant, Soft Money ne fait pas fi des contributions puisqu’on y retrouve, en plus des invités vocaux dont nous parlerons plus loin, les compagnons de label David Madson alias Odd Nosdam (cLOUDDEAD), crédité comme arrangeur, ingénieur du son et mixeur, Yoni Wolf (Why ?) aux claviers sur un All Day Breakfast d’inspiration orientale autant qu’industrielle (guerre en Irak oblige), et même l’omniprésent Doseone (leader de cLOUDDEAD, et collaborateur de Jel non seulement pour Subtle mais aussi au sein de Themselves et 13 & God, ce dernier projet comptant également les membres du groupe électro allemand The Notwist), cette fois en charge de l’artwork, splendide métaphore du propos de l’album (le pantin clinquant mais vide).
Mais qu’on ne s’y trompe pas : ici c’est Jel et lui seul qui tient les commandes, préférant déléguer les vocals malgré son flow idéal - qui s’exprime néanmoins sur le morceau d’introduction To Buy A Car - pour se concentrer sur la musique. D’ailleurs le rap est sporadique, souvent issu du collage de samples, laissant parfois place au chant ou s’y mêlant harmonieusement (Soft Money, Dry Bones), quand il ne s’efface pas simplement devant les instrumentaux, micro-univers sonores rêveurs ou angoissés qui se suffisent à eux-mêmes (cf. les No Solution et All Day Breakfast précédemment cités, et plus encore les splendides Know You Don’t et Nice Last).
On pense aux Beastie Boys, de leurs sombres expérimentations dub avec les Dust Brothers sur Paul’s Boutique (To Buy A Car) à la fusion rock/funk/hip-hop de Check Your Head (Soft Money, Dry Bones et ses petites touches de guitare funky) en passant par le métissage déjanté d’ Hello Nasty. WMD rappelle même par sa véhémence et son engagement leur génial dernier album en date, To The 5 Boroughs : à l’instar du trio new-yorkais sur 3 The Hard Way notamment, le vindicatif Wise Intelligent (du trio américain Poor Righteous Teachers) règle son compte à la politique extérieure de Bush, symbolisée par la guerre en Irak : mensonges idéologiques, auto-justification sur la base de fausses informations à propos d’armes de destruction massive imaginaires, but lucratif (serait-ce "shhhh... shell" que l’on entend scandé en retrait tout au long du morceau ?...), le tout pouvant être vu comme conséquence géopolitique directe de la consommation à outrance.
Par ailleurs, certaines ambiances, mêlant éther et tension urbaine, rappellent Massive Attack : c’est notamment le cas d’All Around, où la voix de Stéphanie Böhm (chanteuse de Ms. John Soda, duo électro-pop allemand qu’elle forme avec Micha Acher de... The Notwist, justement) fait merveille. Mais l’influence la plus directe et évidente de l’album demeure celle de DJ Shadow : comme ce dernier avec Endtroducing, Jel dessine au fil de Soft Money un véritable paysage mental, reflet de ses aspirations et de ses peurs, de son inquiétude et de ses révoltes intérieures. On pourrait citer en exemple Sweet Cream In It et sa rythmique déréglée, prête à s’emballer à tout moment. UNKLE non plus n’est pas loin, comme sur l’effrayant Mislead et ses scratches en forme de trous noirs ou encore le vénéneux Trashin, hanté par des claviers dignes de John Carpenter et des samples mêlés de voix indistinctes.
L’album se termine néanmoins sur une note d’humour avec Chipmunk Technique, outro qui tourne en dérision les samples vocaux accélérés de Kanye West : une dernière pirouette venant rappeler que pour Jel la musique demeure avant tout un jeu, avec les sons, avec les mots, avec la réalité.
Deux extraits de l’album sont en écoute sur la page myspace de Jel, ainsi que l’excellent remixe par Subtle du Farewell Ride de Beck, présent sur son album de remixes Guerolito.
Allez, en bonus et en vidéo, deux featuring de Jel avec The John Venture, collectif français héritier de l’esprit d’Anticon avec lequel il partageait l’affiche de la Flèche d’or le 29 octobre dernier, auteur d’un formidable album sorti début octobre que nous annoncions dans ces pages un mois auparavant et sur lequel nous reviendrons plus amplement très bientôt, surprise à l’appui.
Jel feat. The John Venture :
The John Venture feat. Jel (Night Shift, Day Shift, dans une version proprement hallucinante) :
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