Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (11/11 - 17/11/2019)

Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.




Musiques atmosphériques au programme de ce 23e Tir Groupé en équipe réduite :



- Gimu - finally free, gravity (25/08/2019 - The Committee for Sonic Research)

Rabbit : On connaissait les diverses orientations qu’avait pu prendre par le passé la musique du Brésilien, du drone le plus opaque au shoegaze instrumental le plus vaporeux en passant par toutes les nuances de la musique électronique et de l’ambient, avec ou sans beats. Sur cet album sorti en catimini pendant l’été et dédié à sa belle-mère décédée quelques mois plus tôt, Gimu opte clairement pour la facette la plus éthérée de sa musique, non sans nuances : douleurs fantômes sursaturées sur when a chance’s bound to come ou warmth bubble, drone élégiaque avec laughing, lastly, ascension de textures en motifs circulaires (Air), ambient vocale où piano embrumé et textures bouillonnantes accompagnent le chant dédoublé d’une certaine Trixie Delight pour ce que l’on imagine être la première véritable chanson au répertoire du musicien depuis ce titre (not alone), abstraction de fréquences lancinantes (nothing comes to solve nothing and there’s nothing out there) et finalement ces séismes stellaires sur le final mind no longer has me qui nous rappellent à deux de ses plus belles sorties. Un album-monde en somme, dont les 65 minutes magnétiques nécessiteront quelques écoutes supplémentaires pour livrer tous leurs secrets.


- Deathprod - Occulting Disk (25/10/2019 - Smalltown Supersound)

Rabbit : Le bidouilleur en chef des ambient-jazzeux norvégiens Supersilent et figure trop rare du dark ambient depuis un quart de siècle n’avait peut-être jamais sonné aussi minimaliste et massif sur un long-format entier qu’avec cette sortie dont la progression dronesque et bourdonnante semble prendre la suite d’un Treetop Drive Part 2 25 ans après. De la menace d’apocalypse de Disappearance / Reappearance au no man’s land radiant d’Occultation 8, le chemin est semé d’effroi, qu’il soit abrasif et sursaturé (la tempête harsh de Black Transit Of Jupiter’s Third Satellite) ou plus insidieux et feutré (Occultation 1, Occultation 7), usant de fréquences malaisantes qui n’ont pas forcément besoin d’un haut volume ou d’un surcroît de bourdonnements corrosifs pour faire leur petit effet (Occultation 3).


- Caïna - Gentle Illness (1/11/2019 - Apocalyptic Witchcraft Recordings)

Riton : Découvert grâce à Crowhurst, dans sa mouture la plus ’’rock’’ (les deux derniers opus du tryptique I , II , III), au sein duquel le Britannique a officié, Andrew Curtis-Brignell n’en est pas moins hyperactif en solo avec son projet d’envergure Caïna. 3 ans après l’excellent, mais somme toute classique en matière de black metal, Christ Clad in White Phosphorus, il revient nous asphyxier dans une contre-atmosphère de folie et de chaos, où perversité et aliénation sont décuplées par des compositions plus versatiles. Poisse et semences faites d’art noir lo-fi à la production extrêmement faible (en terme de volume) et aux choix instrumentaux un peu kitsch, où émergent parfois beauté post-rock, dark ambient et électronique.

Rabbit : Très belle impression en effet pour ce projet que je ne connaissais pas, dont les éclats de harsh noise et autres intervalles atmosphériques anxiogènes flirtant avec une ambient cinématographique déjouent habilement les codes du black metal, que l’Anglais n’adopte vraiment que par intermittence. Entre bruitisme lancinant et dialogue samplé, l’intro Wellness Policy donne le ton de cette singularité qui jaillira ensuite en vrac du break façon soundtrack baroque de giallo italien de No Princes In Hell, des syncopations post-indus à la Justin K Broadrick de Canto IV, du piano déglingué de Gentle Illness ou du jam schizophrène du fantastique - et bien-nommé - My Mind Is Completely Disintegrating, entre doom psyché et accents tribaux. On en oublierait presque de parler black metal du coup, lequel nonobstant domine toujours les débats, du jusqu’au-boutiste Your Life Was Probably Pointless au délétère One Breath Under the Yoke Is a Fate Worse than Death, c’est dire la franche réussite de ce disque inclassable et ambitieux.


- Pan•American - A Son (8/11/2019 - Kranky)

Rabbit : Chant susurré, folk atmosphérique aux accents de musique baroque (cf. les cascades de picking de Kept Quiet), une électronique réduite à quelques subtilités de production parfois ouvertement lo-fi (Muriel Spark), telle n’est pas a priori la facette de Mark Nelson que je préfère, un peu trop promenade de santé en comparaison du tortueux et fabuleux Cloud Room, Glass Room de 2013 où l’ex Labradford renouait avec une ambient électronique impressionniste et luxuriante nourrie également des discrètes influences post-rock d’un White Bird Release, reflet à l’époque d’un meilleur équilibre entre évidence et exploration, manipulations analogiques et instrumentation organique. Demeure toutefois ici et là ce fascinant sens de l’espace et du jeu avec le silence, capable de transcender des morceaux en apparence aussi mineurs que le méditatif instrumental Sleepwalk Guitars ou la ballade à clochettes Dark Birds Empty Fields, elle aussi dénuée de chant. De là à dire qu’on se serait bien passé des interventions au micro de l’Américain, ce serait sans compter sur le vaporeux Drunk Father, modèle d’onirisme introspectif pour effets reverse et guitare en bois et sommet de ce disque quoi qu’il en soit très personnel qui devrait se faire une petite place sur nos tables de chevet, bien que probablement pour moins longtemps que ses trop illustres prédécesseurs.


- Andrew Pekler - Sounds From Phantom Islands (8/11/2019 - Faitiche)

Rabbit : Entre electronica onirique et ambient tropicale (Hy Brasil, Tuanahe), cette collection de titres enregistrés sur 3 ans par l’Américain pour une carte interactive de l’anthropologue Stefanie Kiwi Menrath - dédiée à ces "îles fantômes" des vieilles cartes de l’époque coloniale n’ayant jamais réellement existé ailleurs que dans l’imagination des marins - mêle samples organiques et nappes digitales, quelque part à la croisée de l’exotica insulaire de Mike Cooper, des voyages chimériques de x.y.r. et des soundtracks ethniques de Vieo Abiungo. Les field recordings forestiers y deviennent polyrythmies hypnotiques (Approximate Bermeja, Los Jardines), l’électronique s’y baigne dans le scintillement du soleil entre les branchages (Sunshower at Sandy Island) et des rêveries narcotiques en agitent les nuits hantées par l’étrange bande-son d’un écosystème fantasmé (Saxenburgh / Pepys / Aurora, Onaseuse / Crespo / Rica de Oro), dans la continuité du déjà fameux Tristes Tropiques de 2016, à (re)découvrir d’urgence.


- Dentelle - Brocart (13/11/2019 - autoproduction)

Rabbit : Dentelle, c’est le projet de l’excellent Paulie Jan avec Terdjman, son compère du label Tripalium. Créée à partir de fragments d’improvisations, cette première sortie du duo déroule un drone ambient mystico-futuriste où les atmosphères de crypte glauque côtoient des envolées plus stratosphériques, à mi-chemin du caveau et les cieux en somme. Ici et là, quelques pulsations synthétiques (Brocart I), field recordings clapotants (Brocart II) ou autres vestiges de beats industriels perdus dans un no man’s land de textures opaques (Brocart V) viennent agrémenter de reliefs épars une cartographie mentale plutôt caverneuse, et à moins de ne prêter à ce Brocart qu’une écoute distraite (le casque étant ici de rigueur), le potentiel de fascination que dévoile d’ores et déjà l’univers des deux Français ne devrait pas échapper aux amateurs de soundscapes hallucinés pour psychés morcelées.


- Scorn - Cafe Mor (15/11/2019 - Ohm Resistance)

Rabbit : On ne pourra guère reprocher à Mick Harris sur cet album du grand retour après 8 années de hiatus, que de "faire du Scorn", et ce serait bien un comble qu’il n’en fasse pas, lui le dépositaire de cette bass music lourde et insidieuse qui n’est pas pour peu de chose dans l’existence de pans entiers de la musique électronique d’aujourd’hui, du dubstep originel aux univers post-industriels de labels tels qu’Ant-Zen, Audiotrauma... ou Ohm Resistance donc, auquel l’Anglais avait renouvelé sa fidélité dès la sortie en juin dernier de l’excellent Feather EP aux productions très deep et enfumées. Pas grand chose n’a changé donc depuis l’EP Yozza ou Refuse ; Start Fires, et on est aussi familièrement impressionné que peu décontenancé à l’écoute de Cafe Mor, si ce n’est peut-être pour l’intervention névrotique de Jason Williamson (des Sleaford Mods) au micro sur l’halluciné Talk Whiff. Plus rythmique que l’EP jusqu’à en imploser en beats grondants sur l’acéré Who Are They Which One, l’album déroule ses syncopations viciées dans le même brouillard d’échos narcotiques et de saturations oppressantes d’où émergent ici des vestiges de dub (The Lower The Middle Our Bit), là des proto wobbles perdus dans un background de textures ténébreuses (Mugwump Tea Room), plus loin des field recordings de purgatoire (Never Let It Be Said), un soupçon de futurisme sur Dulse ou encore des échos de voix perdus dans l’anti-monde (SA70). Du grand Scorn, comme à chaque fois en fait.


- James Murray & Francis M Gris - Remote Redux (17/10/2019 - Ultimae)

Rabbit : En attendant de vous toucher un mot dEmbrace Storms, son nouvel album solo chez Slowcraft, on s’en serait voulu de passer sous silence cette collaboration de l’Anglais James Murray avec l’excellent Francis M Gri, fondateur du label KrysaliSound dont on vous parlait encore l’an dernier. C’est l’écurie lyonnaise Ultimae, responsable des débuts discographiques du premier dans une veine plus électronique voire presque trip-hop il y a 11 ans déjà, qui hérite de ce disque délicat et scintillant où les motifs évanescents de piano ou de guitare du Suisse (Ma, Remote, Lontano) alternent avec les constructions synthétiques tout aussi volatiles de l’auteur de Killing Ghosts (Toma, Redux), évoquant la distance dans un océan de textures claires-obscures à perte de vue que rien ne semble pouvoir surmonter mais que les sentiments traversent pourtant avec grâce et persévérance, en quête de reconnexion.


Articles - 17.11.2019 par RabbitInYourHeadlights, Riton
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