John Zorn - Ipsissimus

À l’écoute de cet Ipsissimus, on ne comprend plus grand-chose à la direction prise par le projet Moonchild.

1. Seven Sigils
2. The Book of Los
3. Apparitions I
4. Supplicant
5. Tabula Smaragdina
6. Apparitions II
7. The Changeling
8. Warlock
9. Apparitions III

date de sortie : 05-10-2010 Label : Tzadik

Admirez bien le beau digipack dans son cartonnage découpé et les tableaux de William Blake qui l’illustrent : c’est peut-être encore ce qu’il y a de plus réussi dans le disque.

L’entrée en matière Seven Sigils semble réserver peu de surprises, propulsée par la basse de Trevor Dunn et déchirée par les ululements pattoniens et le solo de sax hystéro. Mais on se rend vite compte que ce qui, en 2006, aurait sonné comme une messe noire dans une crypte putride se rapproche ici, par petites touches sournoises, de la collision entre Michel Legrand et Anton LaVey à un concert de Led Zep. La basse se révèle beaucoup plus mélodique que ce à quoi Dunn nous avait habitués dans les volumes 1 à 4 ; l’intervention incongrue de vocalises jazzy semble vouloir tirer le titre vers une espèce de registre de BO ’60s kitsch (messe noire easy listening ? C’est possible, ça ?) ; et Zorn revient avec insistance (comprenez : pas le plus subtilement du monde) sur sa volonté d’introduire des mélodies jazz dans ses parties de sax.

Une fois digérée cette ouverture faussement sauvage, on aborde le premier vrai, franc contrepied de l’album. Tout en paraissant complètement déplacé dans le contexte moonchildien, The Book of Los reste une surprise plutôt agréable, grâce à sa première partie dominée par la guitare suprêmement élégante de Marc Ribot, dans un registre à l’opposé des déchaînement sataniques des précédents numéros. Mais Zorn refuse de choisir entre ses penchants contraires et enchaîne sur une nouvelle de séance de muscu (la ligne de basse de la deuxième partie est un quasi-décalque de celle de Seven Sigils) qui, dans le sillage du 9 x 9 de The Crucible, semble vouloir consommer l’union du happening hystérique qu’était le Moonchild des origines avec le classic rock musclé.

Ce qui était une joyeuse parenthèse un peu hors de propos, mais finalement assez jouissive dans le précédent numéro (qui avait le mérite de conserver son aura de menace) devient ici source d’agacement. Zorn, après avoir demandé à Ribot de se prendre pour Jimmy Page, semble le prier de jouer à Hendrix (assez flagrant sur Supplicant). Patton a mis son célèbre larynx en pilotage automatique et semble ne même plus essayer de surprendre. Tabula Smaragdina en est l’exemple, regrettablement prévisible de la première à la sixième minute... et quand finalement Patton dévie du script pour improviser quelque chose de différent, c’est une reprise à gorge déployée de la ligne de basse qui frôle dangereusement le ridicule.

Les trois Apparitions sont des trios apparemment fondés sur des impros de Ribot, qui tricote des exercices anguleux et électriques. Autant je suis prêt à écouter des albums entiers d’Otomo Yoshihide jouant à ce jeu-là avec Bill Laswell et le batteur de son choix, autant dans ce contexte cela tient plus de l’interlude, voire de la démonstration ("Oui, je fais des solos rock comme dans les années 70, mais je suis aussi un vrai musicien sérieux et contemporain, regarde comme je suis free, je fais de l’impro déconstruite quand je veux"). The Changeling est un duo basse-batterie, pas du tout désagréable d’ailleurs pendant trois minutes, mais 1° il en dure six et 2° ce n’est pas vraiment le genre d’exercice qu’on attend d’un album du groupe qui a signé Moonchild et Six Litanies For Heliogabalus.

En pénultième position, selon que l’on aime son verre de ciguë à moitié plein ou à demi-vide, on sera rassuré ou bien définitivement déboussolé par Warlock, qui semble synthétiser toutes les tendances de l’album en un titre épique, où la guitare de Ribot passe des arpèges scintillants aux bends hendrixiens, où Patton retrouve un peu du murmure démoniaque qui nous empêchait de dormir après l’écoute de Moonchild, où par moments tout semble enfin se mettre en place dans une apothéose apocalyptique avant de conclure sur une note étonnamment élégiaque. C’est à mon avis une vraie réussite, mais (à moins que des écoutes répétées finissent par me faire changer d’avis sur le reste de l’album - ça s’est vu) je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il aurait mieux valu faire figurer Warlock sur The Crucible et laisser tout le reste de l’album dans les coffres de Tzadik...

Là où The Crucible semblait puiser dans les influences jazz du compositeur pour injecter un nouveau souffle à la série, Ipsissimus donne l’impression de ne pas vouloir choisir de direction et perd en route le fil directeur - l’ambiance mystique et menaçante zébrée d’épisodes d’agression extrême - qui faisait toute la tension des précédents opus. Le slogan zornien - "Powerful secrets are revealed through intensity and extremes of experience" - qui figure sur tous les albums de la série, sonne ici comme une promesse non tenue.

Chroniques - 12.10.2010 par jediroller
 


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