Le no future du hip-hop

... ne le restera peut-être plus bien longtemps : programmés à Coachella en avril prochain après une apparition chez Jimmy Fallon mercredi et une première tournée américaine à guichets fermés fin 2010, les kids de l’underground de Los Angeles, déjà repérés par Mos Def ou GZA, filmés par Larry Clarke et même parrainés l’an passé par Flying Lotus en personne pour leur première soirée Low End Theory ont finalement le pied à l’étrier après une poignée d’albums autoproduits et offerts via leur site internet qui leur auront valu autant d’engouement que d’aversion sur la Toile ces deux dernières années.


Et pour cause, Odd Future Wolf Gang Kill Them All, abrégé OFWGKTA ou tout simplement Odd Future voire carrément OF pour les intimes, c’est une dizaine de rappeurs en culottes courtes dont les récits brassent avec un détachement qui fait froid dans le dos des centres d’intérêt aussi avenants que l’homophobie, la violence envers les femmes, les sévices corporels, le skateboard, les viols collectifs, la pornographie amateur, la mode, les corps en décomposition ou les mélanges alcoolisés entre autres jeux dangereux pour jeunesse attardée et rongée par l’ennui façon Jackass. Soit beaucoup de pose malsaine, autant de provocation gratuite mais aussi pas mal de rage d’ados paumés à évacuer, et de talent pour un beatmaking lent et malaisant dans la lignée de l’horrorcore des Gravedigazz ou Dr. Octagon mâtiné ici de réminiscences jazzy ou là de nappes de synthés analogiques plus aériennes et futuristes héritées de J Dilla.

"As you can probably tell from listening to this record
I was... I was probably angry, probably on my period. But I didn’t mean to offend anyone... alright, I’m lying"
déclarait sur le ténébreux Seven en guise de profession de foi le charismatique Tyler the Creator, metteur en son d’à peine 19 ans dont le premier album solo Bastard repéré par Pitchfork à sa sortie fin 2009 pour son savant mélange de sincérité troublante et d’ironie mordante (sans que l’on puisse toujours très bien faire la part des deux), de glauquitude street bass et de grâce nu-soul avait servi de premier véritable tremplin à OF. Un collectif qui compte notamment dans ses rangs l’incisif et décontracté Hodgy Beats acoquiné par ailleurs avec Left Brain au sein des truculents MellowHype plus voluptueux dans l’esprit des Neptunes et n’hésitant pas à poser son flow à l’occasion sur des beats signés FlyLo, seul ou accompagné ; ou encore le très nihiliste Earl Sweatshirt, rappeur de 16 ans tout juste dont Tyler qui forme avec lui le duo EarlWolf a par ailleurs produit avec le même Left Brain une majeure partie du premier opus EARL paru l’an dernier.

Earl Sweatshirt absent depuis quelques mois des rangs du collectif qui prend un malin plaisir à multiplier les rumeurs, de la maison de correction à l’internement psychiatrique, à moins que le jeune homme ne soit tout bonnement parti terminer ses études car contrairement aux apparences ces gamins-là savent très - voire un peu trop - bien ce qu’il font, multipliant les références artistiques bien au-delà des frontières du hip-hop. De là à parler de terrorisme musical plutôt que d’un plan de carrière bien huilé, il demeure toutefois une enjambée que l’on ne franchira qu’après les avoir vu résister à la hype et aux mirages du succès.

Et justement, en première ligne de cette épreuve du feu qui approche à grands pas, Tyler évidemment qui sortira dans deux mois son nouvel album Goblin, précédé pour le single Yonkers d’une vidéo plus esthétique qu’à l’accoutumée mais toujours aussi malsaine et dérangeante que les désormais bien connues French ou EARL, pour ne citer que celles qui n’ont pas été censurées ou interdites aux mineurs par Youtube :


Néanmoins, malgré cette mise en bouche crépusculaire à souhait qui justifierait à elle seule la comparaison déjà souvent avancée avec le Wu-Tang Clan des débuts, le bougre annonce la couleur : ceux qui ont aimé le précédent opus vont sûrement détester celui-là... peut-être parce qu’il sort chez XL qui vient de signer le bonhomme en grande pompe, allez savoir ? Le début d’une inquiétante démocratisation auprès d’un jeune public bien souvent incapable de faire la différence entre fumisterie caustique et pure apologie, ou d’un travail de sape du système des majors à l’échelle mondiale ? Réponse en avril.

News - 19.02.2011 par RabbitInYourHeadlights