Doublement impossible pour nous de pas vous toucher un mot de cette sortie tant la collaboration nous réjouissait déjà sur le papier avant même de s’avérer des plus réussies. Et pour cause : 17 avril 2019 (vous n’y étiez probablement pas), Mike Ladd fait la connaissance de Premrock, moitié des futurs ShrapKnel, ainsi que de Fresh Kils (Backburner) et d’Henry Canyons, auxquels il offrait il y a quelques mois un beau featuring par ici - première satisfaction pour nous autres organisateurs du concert via notre défunte asso Sulfure, en marge du Sulfure Festival 2019. Puis, 4 ans plus tard presque jour pour jour, le 23 avril 2023 donc (vous n’y étiez probablement pas non plus), rebelote avec Mike Ladd, et Premrock associé cette fois à Curly Castro pour une première en France de leur duo ShrapKnel, avec le même Fresh Kils aux manettes pour taper les beats live comme presque plus personne ne le fait. Deux concerts en tout petit comité et néanmoins passionnants, qui nous permettent aujourd’hui de récolter les fruits de ce pari à demi loupé à l’époque (c’est une triste réalité, le hip-hop underground en dépit de son vivier de talents sans cesse renouvelé ne ramène plus personne dans les salles parisiennes, à moins d’avoir "les réseaux" - si tant est que ça existe toujours - ou de s’appeler billy woods - et encore c’est vite dit, au Pop Up en 2022, ce dernier, qui justement défend régulièrement les auteurs de Nobody Planning To Leave via son label Backwoodz Studioz, n’avait attiré que 120 spectateurs à tout casser).

Car Saisir Le Feu, publié quant à lui par l’excellente écurie de la Grosse Pomme Fused Arrow tout comme les deux autres très chouettes collabs lâchées par ShrapKnel cet été (cf. ici et là) ne pouvait mieux satisfaire nos attentes : entièrement produit par Mike Ladd qui nous a mis dans la confidence, lors d’un concert à Banlieues Bleues en mars dernier, d’un album solo à venir prochainement, il confronte les flows malléables à l’envi du duo new-yorkais à toute une variété d’inspirations musicales sur une douzaine de tracks pas dénués de cohérence pour autant grâce à la patte inimitable du bonhomme et de son synthé analo EMS désormais défunt, des morceaux par ailleurs concis et qui vont droit au but, laissant augurer jusque dans ces courts interludes déstructurés un retour au foisonnement de la grande époque pour le rappeur/producteur de Infesticons.

Les dystopies radicales de la grande époque de Welcome to the Afterfuture (Hoplophobia, aka la peur des armes à feu, le Bigg Jusien Shark Bait avec l’excellent Phiik en feat., l’insidieux Alphabet Pho dominé par un Doseone au flow vorace comme jamais, ou encore le menaçant Blak Smif) côtoient des incursions plus surprenantes de la part du plus francophile des pionniers du hip-hop expé, qu’il s’agisse de la féérie onirique Resurrection Bully, du groove 70s d’After weh Féte avec Mestizo, du rap-rock bluesy de Mercure ou du clubbing futuriste de Down Gorgeous. Une gourmandise qui s’accommode à la perfection des courants de conscience de nos deux trublions au micro et de leurs invités, à la fois ludiques et engagés, et accouche ainsi d’un album qui condense, au fond, tout ce que le rap devrait être en 2025 : incandescent bien sûr, inventif, stimulant, personnel, jouissif et sans concession.