Sans même aborder les 13 versions live, pour l’essentiel magnifiques, captées à Londres et Paris (la fameuse série de concerts de septembre 2022 à la Cité de la Musique) et couvrant une bonne partie de la carrière de l’Irlandais en bonus de l’édition Deluxe, les raisons ne manquent pas de s’enthousiasmer plus que de raison pour ce 13e opus de Neil Hannon et de sa Divine Comedy, enregistré avec pas loin d’une quarantaine de musiciens sans que jamais n’en pâtisse sa touchante humilité, ou même une certaine épure de la maturité qui domine ce Rainy Sunday Afternoon au détriment des audaces de la grande époque : d’un côté la morne plaine d’une décennie pop qui s’annonce aussi avare en pépites que la précédente, de l’autre le capital sympathie du plus francophile des grands songwriters britanniques, et surtout ce début d’album à l’inspiration retrouvée, digne du précoce emballement critique dont il semble faire l’objet, d’Achilles à All the Pretty Lights du moins.

Plus belle réussite du projet depuis Victory for the Comic Muse, Rainy Sunday Afternoon est à situer quelque part entre la vibe 60s nostalgique de ce dernier, les élans virtuoses et baroques en moins, et la fascination historique décalée du chouette Foreverland (cf. le clip du single Achilles), dont il retrouve également la maîtrise chamber pop classieuse après un Office Politics assez insignifiant et daté avant l’heure, qui valait surtout pour son second CD de démos au piano au lyrisme ironique et littéraire façon Promenade. Achilles donc, méditation sur la mort dont la chamber folk mélancolique vibre au son d’un choeur, d’un orgue psyché et d’arrangements amples et crève-coeur, ouvre le disque de la plus belle des manières, et entre The Last Time I Saw the Old Man, ballade piano/cordes orchestrale aux basses rondes et au spleen saillant, et les accents à la Bacharach ou André Prévin du merveilleux The Man who Turned Into a Chair, la suite n’est pas loin d’annoncer un nouveau chef-d’oeuvre pour celui qui n’en avait plus délivré depuis près de 20 ans.

L’album s’accroche encore sur quelques titres, le douloureux I Want You, où domine piano en mineur et envolées de violons romantiques, puis un morceau-titre jazzy et rétro aux cuivres de big band d’antan, aussi confortable qu’une tasse de chocolat au coin du feu en regardant la pluie tomber par la fenêtre du salon, voire pourquoi pas, donc, cet All the Pretty Lights plus inconséquent mais d’une belle élégance dans ses orchestrations, sorte de féérie amère à la mémoire d’une enfance qui n’est plus qu’une lointaine impression. Mais c’est là que le disque commence à descendre non pas Down the Rabbit Hole comme disent les Anglo-Saxons mais plutôt vers les affres de la facilité, avec ce titre qui fait l’effet d’une incursion de Mike Love dans un enregistrement de Brian Wilson... pas de la plus grande finesse en somme. Idem pour Mar-a-Lago by the Sea, sorte de parenthèse désuète à la Biolay mais celui d’après La superbe plutôt que des premiers opus. On avait frôlé le petit miracle, mais le très convenu The Heart is a Lonely Hunter aux vocalises un peu forcées confirme qu’il n’en sera rien, Neil Hannon faisant un peu son Springsteen de deuxième division sur ce morceau sans aspérités.

Le superbe instru au piano Can’t Let Go, évoquant sans même besoin du titre ce sentiment de temps qui passe inexorablement et dont on ne peut ni arrêter la course ni se détacher des souvenirs et des regrets qu’il charrie, et enfin un Invisible Thread renouant avec le souffle des plus belles conclusions d’albums du Divine Comedy circa 93-2006 sans pour autant en perpétuer le soupçon de malice lettrée et de lâcher-prise échevelé, permettent de remonter la pente et de rester sur le sentiment, pleinement justifié dans l’ensemble, d’un vrai retour en forme. Mais pour un nouvel Absent Friends, il faudra prendre son mal en patience et espérer encore un peu...