2017 dans l’oreillette - Best albums pt. 6 : 50 à 41
100 albums en 10 parties, pour renouer avec ma formule chronophage des années 2014 et 2015, car après 30 EPs il fallait au moins trois fois ça. Et surtout parce que quand on aime, on ne compte pas, et qu’il n’y a finalement pas une différence fondamentale dans mon cœur entre, mettons, le 50e et le 100e de cette sélection, simple question d’humeur et d’envie du moment.
Le fait est que tous ces choix, et même une dizaine d’autres laissés de côté pour des raisons de symétrie, m’ont fasciné, touché et marqué de diverses façons, d’écoutes-expériences dont je laisserai l’effet s’estomper quelques mois voire même quelques années avant d’y revenir en quête du plaisir intact de la (re)découverte, en albums-compagnons qui ont su chauffer ma platine virtuelle à intervalles réguliers. Et cette fois, pour continuer dans les paradoxes et les antinomies, c’est l’intime et le grandiose qui se croisent et parfois se rencontrent, l’abstraction et l’humanité, la fugacité des émotions et la pérennité des édifices dans lesquels elles se jouent.
50. Chapelier Fou - Muance (Ici D’Ailleurs)
On parlait d’intime et de grandiose, quoi de mieux pour illustrer ce paradoxe que le dernier album de Louis Warynski, où l’on retrouve cette complémentarité des cordes lyriques et des crescendos d’une électro pastel chère à son projet Chapelier Fou. Sur Muance, exit le plus souvent les accents ouvertement folk du violon, la dimension presque post-rock et les percussions tintinnabulantes qui rapprochaient parfois d’un Yann Tiersen ou même d’un Andrew Bird l’excellent 613, premier opus daté d’il y a bientôt 8 ans, cette fois c’est une electronica délicate et des orchestrations plus amples qui dominent (Antivalse) et la clarinette de Maxime Tisserand - que l’on pouvait aussi entendre l’an passé dans un tout autre registre sur le premier opus d’Orchard publié par le même label Ici D’Ailleurs - qui se joint à la danse, pour parfois la mener brièvement sur le mélancolique Oracle, sur l’introspectif et tourmenté Guillotine ou encore sur Stiiitches (cf. ce break plaintif à coller le frisson à mi-morceau). Digérant au mieux les collisions électro-acoustiques cartoonesques du kaléidoscopique !, les synthés rétro-futuristes d’Invisible, les blips oniriques de Delta et les polyrythmies presque click’n’cut de Kalia, ce sixième album se rapproche parfois entre deux odyssées stellaires en clair-obscur (Temps Utile, Les Octaves Brisées) de l’IDM candide et maximaliste d’un World’s End Girlfriend à son meilleur, d’une techno de chambre rêveuse qui rythmerait le ballet des astres (Philémon, ALK) voire d’une motorik sensible et fantaisiste (Artifices, Cavalcade), dont Elnorton vantait ici avec raison la belle ambition épique, culminant sur le néanmoins très doux et réconfortant Super Hexacordum.
49. L’Effondras - Les Flavescences (Noise Parade)
Décidément pas facile de passer derrière Leoluce pour parler de L’Effondras, disons simplement qu’après un premier LP qui figurait peu ou prou à la même place de mon classement 2014, les crescendos guitare/basse/batterie du trio burgien n’ont rien perdu de leur tension incandescente ni de leur mystique hypnotique. Une intensité parfois presque apocalyptique qui culmine ici sur le bien-nommé Lux Furiosa aux 9 minutes de changements de tempi bipolaires et de saturations carnassières, avant de trouver son incarnation la plus ambitieuse sur Le Serpentaire avec sa grosse demi-heure tour à tour exaltée et méditative, abrasive et bucolique, déroulant en subtiles variations mélodiques tout ce que le groupe sait faire et prend plaisir à mélanger, du post-rock bluesy au post-metal enragé en passant par l’ambient à guitares, et se terminant sur des gazouillis d’oiseau dans le silence du littoral, la nuit, pour nous laisser reprendre dans l’ombre d’un feu de camp ce souffle dont on avait grand besoin.
48. Black Swan - Travesty Waves (Autoproduction)
Toujours pas reconnu à son juste génie dans les milieux autorisés, le New-Yorkais et son "drone pour cœurs qui saignent", qui nous avait fait l’honneur de clore le volume 10 de nos compilations Twin Peaks avec un Fire Walk With Me inhabituellement rythmique et concis pour lui, monte d’un cran dans l’austérité avec ce Travesty Waves au souffle moins évident que celui par exemple de l’opéra stellaire Aeterna dont il donne suite ici au requiem final magnifique et démesuré, Dying God. Après Redemption et Tone Poetry, cette superbe suite en 13 mouvements constitue pourtant la douce redescente qu’il nous fallait, retour aux émotions humaines après la grandiose communion avec les astres des opus précédents, dont il faudra d’abord oublier les troublantes visions cosmogoniques (Slow Oblivion, Part I et Part II) pour embrasser l’espoir d’une vie dans la lumière, loin de ces tentations d’éternité qui vous brûlent les ailes (Still Life).
47. The Heliocentrics - A World Of Masks / The Sunshine Makers (Soundway Records)
Deux facettes de la troupe britannique dont l’excellent From The Deep en 2016 avait redoré le blason après quelques collaborations inégales (celle-ci valait quand même son pesant de funk nigérian). D’un côté l’ancienne, via la BO de The Sunshine Makers sur une mafia hippie de fournisseurs de LSD durant les 60s, qui renoue avec le groove narcotique (le morceau-titre, Bikers) et les atmosphères enfumées (Historic, The Trip) d’un 13 Degrees Of Reality entre deux incursions plus psyché-rock (Pretitle, Uptown Street Scene), le tout en mode instrumental, cinématographique et volontiers baroque aux entournures (The History of LSD, Sold Out, Chase Scene), bref tout ce que l’on aime chez le groupe de Jake Ferguson et Malcolm Catto. De l’autre du neuf mais tout aussi vintage dans l’esprit avec l’album A World Of Masks qui les voit inclure pour la première fois une chanteuse d’inspiration soul/funk (en l’occurrence une certaine Barbora Patkova) pour un résultat forcément plus pop mais bien équilibré, les morceaux au chant le plus en avant (le lyrique Made Of The Sun au crescendo rythmique et vocal habité, ou le chamanique Capital Of Alone aux orchestrations de cordes capiteuses) alternant avec des instrus où la Slovaque se fait plus discrète (Time, Oh Brother, The Wake, ou encore la chanson-titre avec sa progression vers une électricité dissonante et droguée) voire absente (la palme à l’afro-jazz du fabuleux Human Zoo et sa ligne de basse insidieuse).
46. Francesco Giannico - Deepness (manyfeetunderconcrete) / Giulio Aldinucci - Borders and Ruins (Karlrecords)
Pourquoi avoir regroupé ces deux grands disques d’ambient du cru 2017 ? Et bien tout d’abord parce que les deux Italiens, auteurs de la fantastique symphonie drone contributive Agoraphonia en 2016, avaient remis le couvert l’an passé avec un Reframing chez Eilean Rec. auquel j’ai préféré ces deux sorties solo mais dont la mystique drone naturaliste et métaphysique où les field recordings occupent une place prépondérante ne démérite pas. Ensuite, forcément, parce qu’ils étaient quasiment côte à côte dans mon classement originel et parce qu’Aldinucci fait partie des contributeurs à ce Deepness par field recordings interposés. Enfin, et surtout, pour la complémentarité des éléments qui président à ces deux sorties, l’eau pour Giannico, "dont l’ambient clapotante et craquelante se frotte ici au post-rock ou encore au néo-classique, culminant sur un final See où trémolos lointains et piano apaisé viennent accompagner notre décompression", la terre et les cieux pour Aldinucci sur un Borders and Ruins dont les élégies pour un monde sur le déclin prennent la forme de chorales liturgiques à coller le frisson sur fond de séismes digitaux et autres nappes d’abstractions crépitantes.
< lire la chronique de Deepness >
45. Daigo Hanada - Ichiru (Moderna)
"Le Japonais Daigo Hanada évoque solitude, souvenirs érodés par le temps et silhouettes d’amours perdues dont on peine à se remémorer les traits sur ce recueil néo-classique dépouillé et pourtant déchirant de désespoir sous-jacent, mettant en scène un simple piano enregistré dans toute sa nudité. Ichiru, "un fil" en japonais, c’est le fil des souvenirs douloureux que l’on remonte dans le recueillement de la nuit, solitude et regrets qui irriguent, non sans une certaine nostalgie pour ces tendres moments à demi-oubliés, les presque 8 minutes du final Close dont le piano mineur se passe de tout effet pour nous émouvoir dans la plus grande simplicité. Des cascades d’arpèges affligées de Weak Me aux trémolos lointains de Hue et du bien-nommé Solitude, en passant par les échos presque ambient du morceau-titre ou un Butterfly moins plombé mais tout aussi intimiste et mélancolique, l’album coule comme un ruisseau de larmes et bizarrement on y revient pour un regain de tristesse cathartique."
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44. James Murray - Heavenly Waters (Slowcraft)
Introduit en quelques mots dans notre article sur les "artistes incontournables de 2017" dont l’Anglais fait partie, Heavenly Waters dresse un panorama de neuf constellations au gré d’une délicate allégorie de notre fragile sentiment d’éternité. Du spleen pianistique de Columba sur fond de vents stellaires et d’oscillations granuleuses au drone opaque et lancinant agrémenté de percussions-jouets de Vela, James Murray nous invite à une méditation sur l’infini de possibilités de nos propres émotions, provoquant chez l’auditeur des états d’âme difficilement définissables. Quid de l’hypnotique Pyxis par exemple, de son architecture de pulsations électroniques entêtantes et de son piano évanescent ? Mélancolie, paix intérieure, angoisse sous-jacente que l’on refoule au profit d’un confort de façade ? Et les presque 9 minutes iridescentes d’Eridanus ? Oubli de soi, neurasthénie du piano qui s’invite sous forme d’impressions à peine audibles ou espoir des harmonies ascensionnelles ? Ce qui est certain, c’est que le caractère langoureux de cette dernière sortie en date pour son label Slowcraft nous enveloppe comme un cocon (cf. le doux et tristounet Piscis Austrinus, le scintillant Delphinus aux cascades de cordes enivrantes ou encore Puppis et ses quelques accords de piano presque lyriques en comparaison du reste) et que les plus prompts à l’abandon des sens sauront être touchés par la grâce de l’un des plus beaux albums ambient de l’année passée.
43. Wake - Am Diamond (Schematic)
L’un des tout derniers labels IDM (avec Xtraplex, Hymen Records et quelques autres) à ne jamais décevoir, Schematic a brillé en 2017 avec le glitch à la fois contemplatif et agité de l’Égyptien Onsy entre click’n’cut d’organisme vivant et textures oniriques sur un Freq 255 resté aux portes de ce bilan, et le chiptune robotique et déstructuré aux mélodies crayola délicatement alambiquées du Californien Hydroplane. C’est toutefois un inconnu du nom de Matthew M. Hettich qui emporte la mise cette année, nouveau-venu élevé à Miami au son des sorties et concerts des artistes du label de Phoenecia. Inspiré par les drames qui ont récemment émaillé sa vie et notamment dédié à ses amis victimes de l’incendie du Ghost Ship en 2016, un entrepôt qui accueillait des concerts électro au moment de la tragédie, Am Diamond est un bijou d’abstractions texturées tout en contrastes, en collisions, en ruptures et en emballements épileptiques dopés à la d’n’b et au breakcore, un disque digne d’une coucherie entre Phoenecia, Autechre et Kid606 d’où émergent à intervalles réguliers nappes hantées (Renoise Lifestyle Group, Alienslang) et mélodies pleines de candeur et d’espoir (Like Hydroplane, Uncle).
42. Open Mike Eagle - Brick Body Kids Still Daydream (Mello Music Group)
"Les HLM qui ont vu grandir le natif de Chicago retrouvent visage humain sous la plume intello cool du Californien d’adoption, des trombines d’enfants aux yeux pleins de rêves et de geeks de l’alt-rap aux visions bien trop larges pour rester enfermées longtemps entre quatre murs de béton, super-héros ordinaires du tubesque Brick Body Complex animé par un bestiaire qui brandit sa différence telle un étendard. En surplomb des beats trap dégraissés et des basses massives, la douce vélocité du flow smooth et les synthés pastel aux distos oniriques équilibrent les forces, une balance qui penche davantage sur l’ensemble du disque vers la bienveillance des syncopations éthérées ou jazzy, à l’image du tout aussi magique Daydreaming In The Projects, cuivres affables en avant sur le refrain, ou du merveilleusement réconfortant et cristallin 95 Radios, "entre P.M. Dawn et Sun Ra" ponctue l’intéressé."
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41. Anjou - Epithymía (Kranky)
Elnorton en parlait très bien par ici, ce second chapitre des aventures de Mark Nelson et Steven Hess de Pan-American avec l’ancien compère du premier au sein de feu Labradford, Bobby Donne, substitue sans avoir l’air d’y toucher à la pastorale urbaine de leur premier opus une dimension plus intérieure et tourmentée, faite du même genre d’abstractions claires-obscures mais flirtant ici avec un drone organique incandescent (Culicinae), un dark ambient somatique tapi dans l’ombre de nos peurs ancestrales (Greater Grand Crossing, Glamr, Georgia), une kosmische musik entêtante (Soucouyant) aux allures d’invasion de l’âme par les désirs primaux de l’épithumia définie par Platon - ce cheval noir des appétits et de la convoitise - ou encore un ambient-jazz forcément sombre et reptilien avec le mouvant An Empty Bank aux affleurements drone de tempête sous un crâne.
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