Le streaming du jour #429 : Vieo Abiungo - ’Thunder May Have Ruined The Moment’

Au moment de vous présenter en exclusivité sur la Toile ce troisième album du projet instrumental de William Ryan Fritch, touche-à-tout virtuose du trio floridien Skyrider qui accompagne régulièrement Sole depuis leur fabuleux crossover éponyme de 2007, une question nous taraude : comment décrire l’univers par essence indescriptible de Vieo Abiungo ?

Il y aurait bien la solution de facilité, à savoir vous renvoyer à notre streaming du précédent chef-d’œuvre de ce jeune multi-instrumentiste fasciné par les expérimentations tonales et les musiques ethniques d’Afrique ou d’Asie. Néanmoins, si l’album qui nous occupe ici s’inscrit bel et bien dans la continuité du remarqué And The World Is Still Yawning et de ses pièces tantôt épiques ou élégiaques, mélancoliques ou torturées voire souvent tout ça à la fois mais toujours luxuriantes et indomptées, plus question de jouer ici sur les contrastes entre morceaux plus ou moins rythmiques ou languissants : c’est à une véritable progression narrative que nous convie cette fois William Ryan Fritch, alternant pics d’intensité (Thundering Of Empty Promise, In Fits Of Frustration) et accalmies méditatives parfois plus lourdes de menace (It Hangs Over Us Subtle As A Cloud) mais sans jamais tracer de frontière nette entre les différentes émotions brassées par ces 15 instrumentaux majestueusement emboîtés, et plus en retenue que tout ce à quoi le violoniste de Hired Hand nous avait habitués en solo jusqu’ici.

Mais c’est là que ça se corse à nouveau. Autre solution donc, quoique tout aussi paresseuse, pomper le dossier de presse de l’excellent label Lost Tribe Sound qui nous offrait déjà il y a peu la primeur du nouvel album de Cock And Swan, duo ambient-folk aux compositions foisonnantes autant que fascinantes dont le Stash en question est toujours en libre écoute pour quelques jours dans nos pages. On y parle en effet de "classique tellurique et percussif", de "folklore dub-hop africanisant", mais surtout du caractère résolument futile que revêtirait toute entreprise d’étiqueter la musique de Vieo Abiungo, ce que l’on savait évidemment déjà... autant dire que ça sent la fausse piste, même si l’on aurait volontiers avancé les qualificatifs aussi vains qu’approximatifs d’ethno-drone cinématique (To Remove A Soiled Bandage, Milk Of Venom) ou de post-jazz tribal (With Its Slow Decay).


Faute de mieux, il reste toujours la possibilité de s’attarder un peu sur le contexte et les à-côtés, du format CD/DVD découlant d’une étroite association avec les vidéos fantasmagoriques de Pete Monro dont les visuels brumeux creusant les rapports entre sensation, souvenir et environnement ont inspiré la musique de l’album pour donner corps à une véritable collaboration multimédia (cf. le court extrait ci-dessous), jusqu’aux productions du bonhomme pour l’ancien patron d’Anticon comme pour conjurer sa mise en retrait sur le décevant Hello Cruel World, en passant par le diplôme académique de musicologie venu récompenser l’an dernier le cursus de l’Américain sous la tutelle de quelques figures de l’expérimentation moderne telles que le guitariste anglais Fred Frith, collaborateur récurrent de John Zorn et Brian Eno, Joan Jeanrenaud l’ancienne violoncelliste du Kronos Quartet ou encore Roscoe Mitchell, saxophoniste et fondateur du mythique Art Ensemble Of Chicago.


Autant d’influences qui s’effacent pourtant devant la voix unique de Vieo Abiungo, enfin la "voix" façon de parler puisque le chant, depuis les chœurs spectraux qui venaient clore Blood Memory en 2010, demeure bien l’élément le plus parcimonieux de ce tourbillon acoustique entêtant autant qu’exaltant de cordes, de percussions, de piano et d’instruments à vents dont les agencements en boucles donnent parfois l’impression d’écouter de la musique électronique façon Chapelier Fou alors que tout le processus, de l’enregistrement au mixage, s’est fait en analogique comme pour les opus précédents.

On se contentera donc de partager, humblement et sans trop chercher à analyser quoi que ce soit, ce que la musique tout aussi savante qu’instinctive de ce bien-nommé Thunder May Have Ruined The Moment nous évoque : la rencontre d’un lyrisme passionné et d’une sagesse ancestrale (To Lay Still In Its Frenetic Surge, Rejoice The Blind Coincidence), la poésie farouche d’un retour forcé à la nature (Why Dogs Mimic Sirens), une bande-son imaginaire, bien sûr, qui trouverait tout aussi justement sa place au gré des maelströms sensoriels et métaphysiques de Terrence Malick (All The Rain That Pardons) que des gestes martiales et mortuaires de la série télé Game Of Thrones (Bleed That Rock). Une tentative, enfin, de retenir l’émotion de l’instant avant que la bourrasque de la vie ne l’emporte tel un papillon aux ailes brisées.


Streaming du jour - 19.06.2012 par RabbitInYourHeadlights
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