Live report : La Route du Rock Hiver - Samedi 28 Février 2015

Un samedi soir à la Route du Rock. Le prochain, ce sera le 15 août et, avouons-le, on préfère toujours les soirées estivales - je me suis bien gardé de dire ensoleillées - à celles dont les murs d’une salle de concert viennent borner l’atmosphère.

Pour autant, il y avait du beau monde à La Nouvelle Vague de Saint-Malo. Dans l’ordre, Mourn, Meatbodies, Deerhoof, Blonde Redhead et Ghost Culture. Cinq concerts répartis de la manière suivante : un que j’attendais particulièrement et qui justifiait à lui seul mon déplacement, deux qui m’intéressaient sans que je ne sache trop quoi en attendre et deux autres qui m’intéressaient moins.

Mais avant cela, quitte à être à Saint-Malo, il eut été dommage de ne pas se rendre à la conférence de Christophe Brault. Cet ancien disquaire et animateur radio, devenu conférencier, a désormais pris l’habitude de gratifier le public de La Route du Rock, que ce soit en hiver ou en été, de ses interventions. Pendant deux heures, le Breton décortiquera la no wave, précisant dès le début de son propos que le thème était très pointu. Et comment. Un courant assez hétéroclite aux confins du punk, de la funk, de la noise et du free jazz, qui regroupe, grosso modo, une sphère d’artistes ayant œuvré entre 1977 et 1984 à New York. Pourquoi ce thème ? Tout simplement car le pseudonyme de Blonde Redhead vient d’une chanson du même nom du groupe DNA, l’un des quatre pionniers - avec Teenage Jesus, Mars et Contortions - du mouvement, tous présents sur la compilation No New York de Brian Eno. Une intervention passionnante me donnant de précieuses pistes pour combler mes lacunes sur la no wave.

Un petit tour en bord de mer plus tard, et vient l’heure de rallier La Nouvelle Vague. Cinq petites minutes de retard, et les Catalans de Mourn sont déjà à fond. Ce concert fait partie de ceux que j’attendais avec intérêt. Et pour cause, leur premier éponyme est particulièrement direct et percutant. Sur ce live comme sur le disque, les titres sont courts et les Espagnol(e)s vont droit à l’essentiel. L’occupation de l’espace mérite d’être évoquée. Une bassiste timide (sans doute la plus jeune de ce groupe d’adolescents) au milieu de la scène, et les deux guitaristes-chanteuses à chacune des extrémités.

Les tentatives de la chanteuse principale visant à faire la conversation (en anglais) sont touchantes. On voit que l’Espagnole a du mal à trouver ses mots dans la langue de Shakespeare, mais de cette soirée, c’est incontestablement le groupe qui communiquera le plus avec le public. A bon escient, car clairement, on ne vient pas pour entendre ces adolescentes faire leurs cours du soir en LV2 Anglais, mais les péripéties sont nombreuses pendant ce show, et les voir verbaliser celles-ci rend celui-ci plus humain. Entre une erreur du batteur nécessitant que le morceau soit repris dès le début, et la chanteuse qui demande un pick au public car elle a cassé le sien et se détruit les doigts (et, de manière incroyable, quelqu’un au premier rang, lui en donne un : qui va à un concert avec un médiator ?), il y a matière à prendre quelques respirations nécessaires dans ce show abouti. On pense à Sleater-Kinney, mais la référence est peut-être trop facile. En tout cas, ce sera, me concernant, la meilleure surprise de la soirée, et cela ne peut qu’inciter à revenir vers leur excellent premier album.

Je ne m’attarderai pas sur Meatbodies, groupe mené par un des compagnons de route de Ty Segall, visiblement moins doué. Leurs compositions sont extrêmement stéréotypées : une petite intro à la gratte de dix secondes, puis les autres instruments et la batterie dégainent et génèrent du "tatapoum" sans subtilité aucune. M’ont-ils cassé les oreilles ? Oui.

Autre groupe dont je n’attendais pas grand chose : Deerhoof. Ce groupe est une énigme, puisque mes compères de la rédaction le trouvent formidable. Cependant, à titre personnel, je n’ai jamais accroché à leurs cds bien que je sois loin, très loin, de les avoir tous écoutés. Je dois reconnaître à la formation une indéniable présence sur scène. Et puis, arriver après Meatbodies me les rend, en comparaison, sympathiques. Mes tympans ne sont, ici, pas mis à rude épreuve. La chanteuse Satomi Matsuzaki et son format poche a du coffre, mais sa voix, peut-être un poil criarde, a tendance à me faire perdre mon attention par moments. Le groupe cherche toutefois à dynamiser et aérer son show, la chanteuse prenant même place derrière les fûts tandis que le batteur donne de la voix sur ledit titre. Difficile pour moi de savoir que penser de cette prestation où, entre quelques morceaux à l’indéniable qualité, mon attention s’est perdue dans les méandres des détails visuels de la salle de concert. Si ça n’en reste pas moins agréable, il m’a manqué une certaine transcendance.

De la transcendance, c’est précisément ce que j’attendais de la prestation de Blonde Redhead. Blonde Redhead et La Route du Rock, c’est une histoire particulière (mais s’en rappellent-ils ?) puisque durant l’été 2004, les Américains avaient dû interrompre leur prestation du fait d’un pluie diluvienne. Je crois bien que c’est le seul cas de figure où la pluie a entraîné l’arrêt pur et simple d’un concert (qui ne reprendra pas par la suite) au fort de Saint-Malo.

Les Américains en sont à neuf albums, et comptent parmi ceux-ci des opus majeurs tels que Misery Is A Butterfly, 23 et même Penny Sparkle. Mais mon préféré, c’est leur dernier, Barragán, sorti en 2014. Sur scène, les jumeaux Pace, à la guitare et à la batterie, font leur apparition, rapidement rejoints par Kazu Makino.

Le groupe débute avec le titre éponyme de ce dernier opus, douce et parfaite ouverture. Le début du show fera la part belle aux morceaux d’albums plus anciens (Misery Is A Butterfly et 23 notamment) avant que quelques enchaînements de Barragán ne commencent à poindre. Je comprends, en voyant sur scène la prestation du groupe, pourquoi j’ai particulièrement apprécié cet opus. Pour interpréter ces morceaux, Kazu délaisse la guitare et se place derrière le mellotron, qu’elle n’utilise presque pas pour les titres antérieurs à 2014. J’ai toujours eu une tendresse particulière pour cet instrument, très en vogue dans le "son de Bristol" et ses cousins comme Archive, aussi ai-je compris l’un des éléments, en plus de son sens mélodique, qui me charment sur cet opus.

Une exception à la règle ? Kazu délaisse le mellotron sur Dripping, mon titre préféré de Barragán, sur lequel chante Amedeo Pace. Je dois bien avouer une relative déception sur la première partie du morceau, trop saturé - grosso modo, le reproche que je ferai essentiellement à une bonne partie des groupes ce soir malgré l’acoustique très correcte de la salle - avant que celui-ci ne s’emballe, ou plutôt, ne nous emmène vers un univers volontairement répétitif et extrêmement hypnotique.

Le groupe joue longtemps, et fait preuve d’une maîtrise indéniable. J’aurais apprécié un peu plus d’échanges avec le public (ou un peu plus d’émotion). C’est finalement l’excellent rappel - quatre titres, quand même, ce qui n’est pas rien dans le cadre d’un festival - qui va me l’apporter avec d’abord une formidable version de The One I Love, puis un Defeatist Anthem (Harry & I) interrompu à la moitié du morceau pour un problème de batterie avant, "réparations" obligent, d’être repris dès le début trois ou quatre minutes plus tard, soit un intervalle durant lequel Kazu Makino et Amedeo Pace tentent de justifier ce qui se passe. Pas déroutés pour un sou, ils ne semblent cependant pas très à l’aise au moment de verbaliser quoi que ce soit. C’est donc en musique que les émotions auront été véhiculées. Avec brio, la dernière orientation du groupe les ayant conduites vers un univers soyeux qui me parle beaucoup, même si, au-delà de leur incontestable maîtrise technique, un petit zeste d’émotion supplémentaire aurait pu être transmis.

Enfin, alors que la salle se dépeuple, James Greenwood aka Ghost Culture prend place derrière ses deux ordinateurs et dans une obscurité quasi-totale. C’est un show auquel j’assiste depuis les gradins. Cette électro à tendance post-dubstep s’y prête à mon sens, parfaitement et, après quatre concerts, c’est dans ces conditions que j’en profite le plus. Après quelques difficultés à rentrer dans son univers - j’ai pourtant adoré son LP - je suis happé par les couches sonores synthétiques qu’il met en place, et je me surprends à fermer les yeux pour apprécier un show auquel le Britannique mettra un terme bien trop tôt à mon goût...


Articles - 03.03.2015 par Elnorton
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