Top albums - septembre 2020

Avec trois ex aequo aux portes du podium, ce classement de rentrée en retard sent la photo finish et reflète une belle densité de sorties de qualité tous genres confondus. En témoigne la petite playlist que l’équipe d’IRM vous a concoctée en fin d’article pour pallier à l’absence des EPs et autres beat tapes laissés de côté ce mois-ci. Heureusement, à quelque chose malheur est bon et à défaut de concerts les six semaines à venir devraient vous laisser le temps de rattraper tout ça !




Nos albums de septembre



1. Tangents - Timeslips

Déjà à l’honneur dans nos colonnes il y a deux ans avec le sommet New Bodies, les Australiens de Tangents récidivent avec Timeslips. Touche-à-tout devant l’éternel, le combo se veut peut-être plus mélangeur que jamais sur ce disque fascinant où se mêlent - encore - le spectre de Tortoise et ceux de Talk Talk (époque Spirit of Eden sur Vessels), Can ou même Autechre (Old Organs).
Le travail des rythmiques proposé par Evan Dorrian est d’une élégance absolue. La production de celles-ci, renversante, est parfaitement ajustée pour que rien ne soit superflu alors même que les percussions sont quasi-omniprésentes. Les manipulations et field recordings d’Ollie Bown renforcent pour leur part le caractère abstrait et vivant à la fois de l’ensemble. Sur le fil en permanence, simulant quasiment l’ambiance du live, l’auditeur pourrait croire à tout moment que l’erreur est possible.
Timeslips dégage un permanent parfum de prise de risque sans que la beauté et l’élégance ne soient mises de côté, bien au contraire puisque c’est de la vie dans son sens le plus élémentaire - le temps, la nature, les interactions et les obstacles - que s’inspire cet album, que ce soit sur un Old Organs puisant son influence dans l’IDM, un Bylong marquant la rencontre entre Air (les pianos et Rhodes d’Adrian Lim-Klumpes obligent) et le néoclassique, ou les expérimentations possiblement improvisées d’un Vessels entre Talk Talk et le Radiohead des années 2000, sublimé par le violoncelle de Peter Hollo.
Un nouveau chef-d’œuvre à mettre à l’actif de Tangents, qui s’inscrit définitivement parmi les formations les plus enthousiasmantes de l’époque.

(Elnorton)


2. A Shape - Iron Pourpre

"Deuxième album après Inlands (2017), Iron Pourpre préserve la grande tension d’A Shape. Voire l’exacerbe. Elle se cache au creux du plus petit interstice et la plupart du temps, inonde les morceaux à grandes eaux. Bien sûr, le chant habité de Sasha Andrès intervient pour beaucoup dans l’extrême élasticité d’une musique qui frôle sans cesse la rupture mais il n’est pas le seul. Guitare (Eric Pasquiet), basse (Mathieu Le Gouge) et batterie (Anthony Serina) malaxent largement Iron Pourpre et sculptent des idoles hallucinées qui prennent vite racine dans la boîte crânienne.
Au programme, de l’arraché, du griffu, de l’aplati aussi, de l’inquiet tout le temps et des montagnes russes partout. Ça avance pied au plancher sauf quand le groupe suspend son vol ou décide de se lancer toute berzingue dans un cosmos tracassé que l’on imagine avant tout intérieur. L’album est ainsi un creuset incandescent, une fournaise où les forces telluriques se fracassent entre elles et transmettent leur entropie tout autour d’elles.
Très disloquée, la musique d’A Shape donne souvent l’impression d’avoir été brisée en mille morceaux puis réassemblée sans mode d’emploi : la voix peut être déclamatoire et s’appuyer sur un parterre rythmique distordu alors que la guitare avance droit devant, la basse peut aussi se montrer indéboulonnable et laisser guitare, batterie et saxophone (le soprano et l’alto déterminants de Quentin Rollet) se fracasser les uns contre les autres et ainsi de suite. Les morceaux prennent souvent par surprise en allant exactement là où l’on ne pouvait pas penser qu’ils iraient et on se retrouve très vite égaré dans le disque.
Imprévisible peut-être mais néanmoins infiniment cohérente, la noise très personnelle d’A Shape trouve en Iron Pourpre son épiphanie."

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(leoluce)


3. Quakers - Supa K : Heavy Tremors

Huit ans après l’éponyme, Geoff Barrow revient sans crier gare chez Stones Throw avec son projet hip-hop Quakers. Exit les rappeurs cette fois mais le format demeure à l’identique, le beatmaker de Portishead alignant les courtes vignettes d’une minute en moyenne (50 tout de même !) à la croisée de l’abstract et du old school, délicieusement vintage et lo-fi avec leurs samples soul ou ciné, leurs beats boom bap et leurs gros breaks funky. Sous ses allures décousues, ce Supa K : Heavy Tremors, dont les atmosphères tantôt dark et urbaines (jusqu’à flirter avec le spleen hanté des débuts du trio de Bristol sur My People) ou ludiques et joyeusement rétro-futuristes sautent allègrement du coq à l’âne, se révèle finalement prenant et cohérent, par son excellence déjà, une production qui ne manque pas de personnalité, et surtout un sens imparable du contrepied et de la transition qui rend par moments les enchaînements plus jouissifs encore que les morceaux eux-mêmes. À explorer et revisiter sans modération, surtout si vous aimez les basses qui adhèrent au cerveau et ce petit côté Def Jux baroque et malsain qui suinte de titres tels que Meditation ou First Light.

(Rabbit)


4. Beans - Venga

A la croisée du freestyle qui caractérise ses albums chez Hello.L.A. et de l’influence électronique du label Warp qui avait révélé son groupe Antipop Consortium à la fin des 90s, Beans est allé dénicher le producteur Ay Fast pour mettre en musique cette nouvelle cassette aux allures de brûlot véloce et habité où se téléscopent storytelling dérangeant (l’étrange histoire criminelle de A Dark, sommet introductif aux surprenantes circonvolutions narratives et musicales), courants de conscience, réflexions sur l’état du monde, la pandémie, Black Lives Matter etc. Drums bitcrushés et déstructurations électroniques y ont la part belle, intrinsèquement virtuoses par moments (This Time Amok), ailleurs plus cheap (BLK VXX) et force est d’avouer qu’on aurait peut-être un peu de mal à écouter dans son entier l’instrumental d’un Lyedecker par exemple, mais le flow énergique, presque épileptique de l’Américain est à la fois le liant et l’émulsifiant qui vient transcender ces écrins singuliers dans le rap d’aujourd’hui. Un must-have pour les amateurs d’objets musicaux non identifiés.

(Rabbit)


4. Ed Harcourt - Monochrome To Colour

Avouons-le, nous avions passé quelques années loin de Ed Harcourt. La dernière fois que le Britannique avait fait l’objet d’une chronique dans nos colonnes, c’était en 2015 à l’occasion d’un EP sorti en marge du "Piano Day". Publié il y a deux ans, Beyond The End était apparu comme plus anecdotique au regard du talent du musicien. Monochrome To Colour, à l’instar de son titre énigmatique tutoyant l’oxymore, souffle quant à lui le chaud et le froid.
Entre orchestrations puissantes et brillantes (Ascension, After The Carnival) et ballades à cordes (Drowning In Dreams ou la merveilleuse Childhood) en passant par des morceaux néoclassiques au piano (Her Blood Is Volcanic, Only The Darkness Smiles For You ou So Here’s To You, Hally), Ed Harcourt fait la part belle aux mélodies et aux harmonies. Les arrangements sont renversants et laissent souvent une petite place à des textures plus granuleuses qui transcendent des orchestrations polymorphes, éclatantes et resplendissantes, évoquant aussi bien Craig Armstrong que Sigur Rós. Monochrome To Colour est un disque somptueux qui nous donne l’occasion de reparler de l’auteur de Here Be Monsters et From Every Sphere.

(Elnorton)


4. Uniform - Shame

Shame, troisième album d’Uniform rompt quelque peu le paradigme industriel malaxé au shrapnel que le duo pratiquait jusqu’ici. Il faut dire que Ben Greenberg et Michael Berdan ont croisé par deux fois la route de The Body avec qui ils ont enregistré notamment le très efficace Everything That Dies Someday Comes Back et surtout, que Mike Sharp (croisé auparavant chez Trap Them entre autres) complète le désormais trio. Du coup, le bidouillage agressif un brin harsh qui inondait la musique d’Uniform n’est plus qu’un glacis qui recouvre les morceaux et le côté metal a pris les devants. Il en résulte un disque à la fois plus travaillé et plus alambiqué et si l’on reconnait toujours le punk sursaturé atavique d’Uniform - la voix de Berdan est toujours aussi trafiquée - il a incontestablement gagné en épaisseur.
Au programme, des morceaux qui rappellent ceux d’avant (l’épilogue de Life In Remission) associés à d’autres plus inédits (Shame) et pas mal de bombinettes décapantes qui en faisant mal font beaucoup de bien (I Am The Cancer ou This Won’t End Well). Du trash, du black metal, du noise-rock, du sludge et j’en passe amalgamés à la truelle qui donnent un disque certes un poil plus classique et carré qu’auparavant mais aussi plus efficace et toujours aussi abrasif.
Sale bête un jour, sale bête toujours.

(leoluce)


7. Skeletons - If the Cat Come Back

Après une absence de quatre ans, le groupe américain Skeletons, collectif mouvant satellisé par le chanteur et multi-instrumentiste Matt Mehlan revient avec un album hanté, déglingué et très personnel. L’artiste originaire de l’Ohio a cette fois-ci tout fait tout seul : composition, interprétation, enregistrement, master... il a néanmoins concédé une petite place pour une oreille extérieure, et pas n’importe laquelle, en la personne de Shahzad Ismaily, le fameux bassiste de Secret Chief 3 et du Marc Ribot’s Ceramic Dog. Dans son propre studio, entouré de nombreux instruments, notamment une sorte de sitar artisanale conçue par son ami Peter Blasser, co-fondateur avec lui du label Shinkoyo, Matt Mehlan s’est laissé inspirer par l’ère du temps, s’est imprégné de sa noirceur, a tiré de son départ de New York, après y avoir vécu 10 ans, un regard sévère sur le monde tel qu’il va. Mais son oeuvre n’en est pas pour autant sombre, ni déprimante. Par son aspect foutraque, lo-fi, DIY, elle rayonne d’une beauté rêche et originale. Sa voix frêle chante des airs presque naïfs, mais toujours inspirés. Ses mots divaguent, s’ancrent dans le réel, et s’éloignent, dans une poésie lunaire. On est bercés, happés, dans un univers bigarré qui évoque à la fois la profondeur d’une nuit de solitude dans les plaines du Midwest Américain et les méandres d’un esprit gavé de médocs et de dioxyde de carbone... le tout jonché de sonorités persanes ! Il y a du Tom Waits, du Bill Callahan, ou encore du Robert Wyatt dans ce mélange. On vous conseille vivement le voyage !

(Le Crapaud)


8. Thor & Friends - 3

Deux très beaux albums majoritairement instrumentaux ce mois-ci pour le batteur de Swans, Aidan Baker et Shearwater, mais en dépit de l’onirisme percussif et jazzy du superbe 4 sur lequel sévissent notamment aux vocalises Bill Callahan, Jolie Holland et Low, c’est clairement ce 3 aux invités tout aussi attachants qui a emporté l’adhésion de l’équipe. Des psalmodies mystiques de Jenn Wasner et Soria sur As Above So Below aux rêveries brumeuses de sa comparse de Swans sur Jarboe Walks In the River en passant par les onomatopées discrètes de Michael Gira en personne sur le délicatement dissonant Tucson, on y retrouve la même palette de cordes lancinantes et de chœurs de purgatoire (Falling), de marimbas à la Steve Reich teintés de jazz narcotique et de tropicalisme chamanique (Stine and Her Animals), entre autres digressions plus expérimentales aux effets déroutants et aux motifs hypnotiques (Lonely Dee). Finalement, la seule chose qu’on n’entend pas vraiment au sens classique sur cet album, c’est cette batterie que le percussionniste aux allures de viking - également aux cuivres ici - tient généralement chez les autres et c’est tant mieux, tant elle y laisse place avec avec autant de délectation que de brio à un arsenal baroque et dépaysant, gong et vibraphone en tête.

(Rabbit)


Les bonus des rédacteurs


- Le choix d’Elnorton : Ô Lake - Souvenirs

Après l’excellent Refuge, chroniqué dans nos colonnes, le compositeur rennais Ô Lake partage un titre isolé avec ce Souvenirs qui, comme d’habitude, fait du piano l’élément central. Entre Max Richter et Yann Tiersen, les notes de piano se succèdent, s’entrelacent et se répondent avec une vélocité et un grain toujours aussi atypiques. Conservant une nécessaire mesure, Sylvain Texier convoque une émotion intense autour d’un thème répété, mais fait de nombreuses nuances. Gracile et cinématique, ce titre instrumental s’inscrit comme la suite logique de Refuge ou du premier album de Cécile Seraud dont il s’est chargé de l’enregistrement.


- Le choix de leoluce : AUA - I Don’t Want It Darker

"AUA, duo allemand (Henrik Eichmann et Fabian Bremer) et I Don’t Want It Darker, son premier album qui, je l’espère, en appellera quelques autres. Profession de foi, pied de nez à Leonard Cohen ou n’importe quoi d’autre, le titre correspond en tout cas parfaitement à l’amalgame électro-kraut pratiqué ici. Tout y est question d’équilibre. Rendant l’ensemble difficile à saisir. En fait, c’est plutôt lui qui nous cerne. Impossible de s’en défaire une fois rentré dedans : son côté extrêmement aéré qui paradoxalement appesantit les morceaux en leur fournissant une étrange substance, la tension inquiète qui parcoure le disque, le flou qui prédomine et la vibration kosmische qui l’accompagne poussent à multiplier les écoutes. I Don’t Want It Darker ménage quelques gros moments qui malaxent le cortex mais tout autour, c’est au minimum excellent et on se sent très bien dans ce disque qui ne semble parler qu’à soi. Parfois, ça s’élève bien haut dans le tout noir galactique (l’intro du très ténu The Energy Vampire), parfois, ça s’enfonce dans les tréfonds (le très capitonné Glowing One) mais c’est souvent entre les deux et ça donne des morceaux tout à la fois fantomatiques et charpentés. Un amalgame très maîtrisé et très resserré dans le temps, parfaitement résumé par sa chouette pochette retro-futuriste métastasée. Une pépite."

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- Le choix de Rabbit : Murmures Barbares - Mantras

On retrouve notamment au sein de ce projet rap 100% helvète un certain Idal des excellents Amorce, croisé il y a quelques semaines sur la tout aussi recommandable compil Connard Invite Vol. 1, autant dire que les amateurs des sorties qui gravitent autour du collectif de Suisse Romande L’Axe du Mal ne seront pas déçus par la poésie sombre et viscérale de ces Mantras d’insoumission à la croisée de l’abstract, du noise rap et d’une trap tellement minimaliste et désossée qu’elle en devient superbe d’épure, assortis d’un soupçon de glitch hop autotuné sur un Capital qui n’est pas sans évoquer le Tricky bricolo et hanté des débuts. Mais il y a surtout quelque chose de Arm dans cet univers aux fumerolles malaisantes, et ça n’est donc pas un hasard si le rappeur de feu Psykick Lyrikah fait une apparition sur un Phenix final dont la grisaille véhicule autant de spleen que de révolte ("ils ont brûlé nos ailes, on va fumer leur monde").




Notre playlist de septembre 2020





Les tops des rédacteurs


- Elnorton :

1. Tangents - Timeslips
2. Brzowski & C$ Burns - The Subjugation of Bread
3. Tricky - Fall To Pieces
4. Ed Harcourt - Monochrome To Colour
5. Roel Funcken - Dragomane Misinize
6. Sufjan Stevens - The Ascension
7. x.y.r. - Pilgrimage
8. Julien Demoulin - Undefined / Invisible

- Le Crapaud :

1. Tangents - Timeslips
2. Skeletons - If the Cat Come Back
3. Idles - Ultra Mono
4. A Shape - Iron Pourpre
5. Cyrus Malachi - The Blind Watchmaker
6. Thurston Moore - By The Fire
7. Quakers - Supa K : Heavy Tremors
8. Pogo Car Crash Control - Tête Blême
9. Brzowski & C$ Burns - The Subjugation of Bread
10. Public Enemy - What You Gonna Do When The Grid Goes Down ?

- leoluce :

1. Landowner - Consultant
2. Uniform - Shame
3. A Shape - Iron Pourpre
4. AUA - I Don’t Want It Darker
5. Good Cop - World Piss

- Rabbit :

1. Beans - Venga
2. Thor & Friends - 3
3. Tangents - Timeslips
4. Thor & Friends - 4
5. A Shape - Iron Pourpre
6. Roel Funcken - Dragomane Misinize
7. Quakers - Supa K : Heavy Tremors
8. Murmures Barbares - Mantras
9. Erik K Skodvin - Anbessa
10. Ed Harcourt - Monochrome to Colour

- Riton :

1. Uniform - Shame
2. Beans - Venga
3. Thor & Friends - 3
4. Skeletons - If the Cat Come Back
5. A Shape - Iron Pourpre
6. Tangents - Timeslips
7. Quakers - Supa K : Heavy Tremors
8. Murmures Barbares - Mantras
9. Manikineter - Copper Fields
10. Ed Harcourt - Monochrome to Colour


Articles - 18.10.2020 par La rédaction
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