L’Overd00’s : 2003

L’overd00’s du Forum Indie Rock ici retranscrite par la rédaction est le fruit de deux mois passés par nos membres à dresser le bilan de la décennie qui vient de s’achever. Tout au long des semaines à venir, nous allons vous faire replonger dans le meilleur des années 2000, 11 articles qui viendront fleurir la Une du Mag, résultat d’une élection passionnante, éprouvante et agrémentée des choix tout à fait personnels de la rédaction. Souvenirs et découvertes garantis.

Certains seront sans doute étonnés de ne pas retrouver les Kills, White Stripes, Distillers ou autres Kings Of Leon dans cette nouvelle sélection, à croire que le recul déjà pris en cette année 2003 sur le fameux "retour des guitares" qui avait marqué le début de décennie n’a fait que s’accentuer au fil du temps, au profit peut-être d’univers plus singuliers aux charmes moins "périssables". Des infatigables têtes chercheuses (Massive Attack, Radiohead, Matt Elliott) aux grands de demain (Four Tet, M83, The Coral) en passant les icônes indé du moment (A Silver Mt. Zion, Mogwai, Calexico) ou mêmes quelques monstres sacrés en perpétuelle quête de renouvellement (Blur, Kristin Hersh, Belle & Sebastian), chacun à sa manière toute personnelle semblait vouloir rompre avec les acquis du rock, de la pop ou de l’électronique, se jouer des frontières musicales pour mieux se détacher des schémas établis. 2003, une porte ouverte sur le futur ?


A Silver Mt. Zion - This Is Our Punk-Rock

repères : < 49ème du référendum >
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A Silver Mt. Zion - This Is Our Punk-Rock disponible sur amazon.fr

Entre les évocations instrumentales d’un monde éteint qui marquèrent les débuts exemplaires de sa discographie et la chorale folklo-punk hystérique que le groupe canadien semble être devenu cette année avec le décevant Kollaps Tradixionales, il y eu des hauts (le puissant 13 Blues For Thirteen Moons en 2008) et des bas (le tiède Horses In The Sky qui compte néanmoins son lot d’admirateurs fervents) pour A Silver Mt. Zion mais surtout ce This Is Our Punk-Rock à la croisée des chemins, qui n’avait alors de punk que cette détermination, politique à sa manière, de prendre pour la toute première fois le micro.

Combinant l’héritage expérimental des presque homonymes John Cage et John Cale, oscillant entre tension post-rock et méditation acoustique, les envolées de cordes désespérées et autres harmonies élégiaques esquissées par l’écorché Efrim Menuck et sa bande au long de ces quatre compositions d’anthologie voient A Silver Mt. Zion passer de la damnation à la lumière et laisser peu à peu derrière eux la fatalité des opus précédents pour toucher, enfin, à la rédemption avec cette quête métaphysique d’une rare puissance d’évocation, signant un an après le non moins impressionnant Yanqui U.X.O. de GY !BE l’un des chef-d’œuvres du label Constellation.

(RabbitInYourHeadlights)


Abstrackt Keal Agram - Cluster Ville

repères : < choix de la rédaction >
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Abstrackt Keal Agram - Cluster Ville disponible sur amazon.fr

Avant de se faire connaître d’un plus large public via une poignée d’albums électro inégaux tentés par la house hédoniste et notamment un remix putassier pour l’insupportable Yelle qu’il accompagne désormais sur scène, Tanguy Destable aka Tepr formait avec Lionel Pierres, futur My Dog Is Gay, ce duo capital pour tout un pan de l’abstract hip-hop et de l’électro hexagonaux qui s’en trouveront décomplexés à jamais.

Après un éponyme instrumental particulièrement morbide et cinématique influencé par les BO sombres et inquiétantes de John Carpenter et paru en 2001 chez Monopsone, c’est le label Gooom de M83 et Cyann & Ben qui les tirera tout relativement de la confidentialité avec la sortie début 2003 de ce Cluster Ville. Capital, disions-nous, car sans cet abstract crépusculaire et virtuose à la mélancolie malaisante mais jamais pesante, payant tribut aux envolées cosmiques de Jason Lytle (Grandaddy) comme aux beats malsains Mr. Oizo, aux déflagrations synthétiques d’El-P ou à l’onirisme de purgatoire du Geogaddi de Boards Of Canada, des groupes tels que Deschannel, Revo ou encore Depth Affect ne feraient pas tout à fait la même musique. Sole lui-même ne s’y était pas trompé, conviant Tepr peu après la sortie de Bad Thriller, chant du cygne aux guitares déconstruites qui révéla en featuring de luxe le morlaisien Poor Boy, à produire en 2005 deux morceaux de son chef-d’oeuvre Live From Rome au côté d’Alias, Odd Nosdam, Telephone Jim Jesus ou Controller 7.

(RabbitInYourHeadlights)


Alpha - Stargazing

repères : < choix de la rédaction >
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Alpha - Stargazing disponible sur amazon.fr

Il fut un temps finalement pas si lointain où Alpha, révélé par Massive Attack et son label Melankolic, enflammait les Inrocks, où Magic classait Come From Heaven devant même les chef-d’œuvres de Radiohead, Björk ou Portishead à l’heure des bilans de cette sacro-sainte année 1997, où le spleen magique des voix de Wendy Stubbs, Helen White et Martin Barnard ne laissait personne indifférent. Que s’est-il passé depuis ? A la fois tout et pas grand chose : Corin Dingley a continué son bonhomme de chemin, avec puis sans Andy Jenks, sans radicalement transformer sa formule musicale mais sans jamais cesser d’évoluer non plus, privilégiant tantôt la musique (le superbe diptyque instrumental Lost In A Garden Of Clouds ), tantôt les chansons ( The Sky Is Mine, touchant à l’essentiel à l’image d’une formation réduite à Dingley et Wendy Stubbs) ou même les collaborations (le remarquable album de remixes Without Some Help ) avec une grâce jamais démentie, tandis que le public indé, inexplicablement, délaissait peu à peu cette musique bien éloignée des canons tapageurs de l’époque.

Parfaite synthèse pop des envolées mélodiques de Michel Legrand et de l’impressionnisme stratosphérique de Brian Eno où le trio de voix cité plus haut laisse un peu d’espace au timbre de soulman sensible du nouveau venu Kevin Swaby (The Heavy) et notamment sur le single ci-dessous, Stargazing demeure donc la dernière partie visible d’une discographie qui n’a cessé depuis de nous faire regretter l’oubli dans lequel semble être tombé Alpha après le bien-nommé The Impossible Thrill. Le meilleur groupe ignoré des années 2000 ?

(RabbitInYourHeadlights)


Bang Gang - Something Wrong

repères : < choix de la rédaction >
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Bang Gang- Something Wrong disponible sur amazon.fr

Cinq ans après You, premier album plutôt moyen à la frontière de l’électro-pop et du trip-hop, on n’imaginait pas que Bang Gang puisse atteindre de tels sommets sur Something Wrong. Et pourtant... Dirigés de main de maître par Bardi Johannsson, nous nous laissons emporter par une vague de mélancolie dès Inside, ballade introductive sublimée par un orchestre de cordes. Le ton est donné : des mélodies envoûtantes relevées par des arrangements aériens. Voilà ce que nous retrouverons sur ce disque, parmi quelques surprises.

Le chant est assuré pour l’essentiel par Esther Talia Casey et Bardi lui-même mais il faut également compter avec une poignée d’invités de marque, tels que Keren Ann sur un Forward And Reverse laissant augurer de leur splendide collaboration future au sein de Lady & Bird. Puis vient Find What You Get :

Si nous étions bercés jusqu’ici par des mélodies glaciaires, ce titre à la rythmique plus rock vient contrecarrer une éventuelle monotonie qui ne risquait pourtant pas de pointer le bout de son nez, tout comme Stop In The Name Of Love, superbe reprise des Supremes à la sauce indie folk. Il fallait oser. Le reste est à l’avenant : un enchaînement de pépites à l’image du très soul Contradictions, interprété par Nicolette Suwoton entendue une dizaine d’années auparavant sur l’album Protection de Massive Attack. De quoi avoir envie de renouer encore et encore avec les charmes de cet album intemporel.

(spydermonkey)


Belle & Sebastian - Dear Catastrophe Waitress

repères : < 79ème du référendum > < en écoute sur Spotify >
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Belle & Sebastian - Dear Catastrophe Waitress disponible sur amazon.fr

Déjà à la tête d’une fort belle discographie à la veille de la sortie de ce Dear Catastrophe Waitress, les Écossais reviennent totalement décomplexés de leur expérience passée. On se souvient rapidement de Tigermilk, premier album occasionnellement maladroit mais Ô combien prometteur dans ses morceaux les plus inspirés, If You’re Feeling Sinister, recueil de pop revigorante rapidement devenu culte, The Boy With the Arab Strap, légèrement plus expérimental et parfaite confirmation d’un talent brut, Fold Your Hands Child You Walk Like a Peasant, si élégant mais tellement évident de simplicité qu’il aura probablement condamné le groupe à devoir se contenter en cette année 2000 du plus faible intérêt que celui-ci aura suscité dans sa carrière, et enfin Storytelling, tellement conceptuel et déroutant qu’il a fini par faire office de carte blanche pour Belle & Sebastian le jour où il a fallu lui composer un successeur.

C’est donc en apparence totalement libérés de toute attente artistique que Stuart Murdoch et compagnie sont parvenus à créer l’un de leurs plus remarquables albums. Jamais on n’aura entendu chez nos Britanniques autant d’efforts d’orchestration, de cassures rythmiques, et malgré tout de fluidité en l’espace de douze morceaux capables de renouer avec les plus belles ballades de leur répertoire (Piazza New York Catcher), comme de surprendre aussi bien par une entrée en matière fignolée et fougueuse (Step Into My Office Baby et Dear Catastrophe Waitress), que plus encore par ce triptyque final prodigieux, l’un des plus beaux jamais mis sur pied (If You Find Yourself Caught in Love, Roy Walker et Stay Loose). Dear Catastrophe Waitress nous aura permis de croire à nouveau, et une bonne fois pour toutes, en l’immense talent de Stuart Murdoch et de sceller une pierre inébranlable au cœur de l’édifice que représente cette discographie sans égale.

(Pol)


Blur - Think Tank

repères : < chronique > < 36ème du référendum > < en écoute sur deezer et Spotify >
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Blur - Think Tank disponible sur amazon.fr

On avait quitté Blur sur un 13 ambitieux mais définitivement plus réussi dans ses croisements pop cadrés que dans ses tentatives plus aventureuses, Gorillaz encore dans le fun de l’adolescence loin des désillusions et des fusions cinématiques de Demon Days, et Damon Albarn après un Mali Music certes moderne et sincère mais tenant davantage de l’exercice curieux que de la véritable promesse d’un avenir de métissages audacieux.

Autant dire qu’en 2003, l’idée d’un nouvel album de Blur sans Graham Coxon débarqué en route après avoir posé sa guitare sur un seul et unique morceau avait beau émoustiller les groupies, ça commençait quand-même à sentir le sapin. Du moins jusqu’à ce que soit révélé quelques semaines avant la sortie du disque ce Out Of Time à la mélancolie pénétrante, les cordes finement ciselées d’un orchestre marocain soutenant un oud au lignes épurées et la voix d’Albarn bercée d’échos lointains, inondant l’atmosphère à elle seule d’une sagesse et d’un humanisme qu’on ne connaissait pas forcément à l’enfant terrible de la britpop, architecte d’un album aussi gonflé qu’ambitieux ancré dans son époque de paranoïa (l’explosif et expéditif We’ve Got A File On You) et d’ouverture des frontières (la synth-funk hybride de Moroccan Peoples Revolutionary Bowls Club), de doutes à dépasser (le gospel contemporain et saturé d’Ambulance) et de solitudes à surmonter (Battery In Your Leg, dont le spleen poignant s’ouvre soudain aux plus beaux éclairs de lumière jamais entendus).

Tandis qu’aux manettes un certain Ben Hillier, connu du groupe grâce à son travail en tant qu’ingénieur du son sur l’album The Golden D de Graham Coxon et que l’on retrouvera plus tard au coté des Doves, d’Elbow ou des derniers Depeche Mode, vient apporter son aide précieuse au trio anglais, le vétéran William Orbit déjà à l’œuvre sur 13 prête sa science de l’électronique à la production foisonnante du désarmant Sweet Song, Norman Cook aka Fatboy Slim en personne se chargeant d’un tourneboulant Gene By Gene au groove bancal allant et venant au gré des grincements d’une balançoire, et de ce Crazy Beat électrique et punchy à souhait :

(RabbitInYourHeadlights)


Calexico - Feast Of Wire

repères : < chronique > < choix de la rédaction >
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Calexico - Feast Of Wire disponible sur amazon.fr

A l’époque, c’est avec une certaine appréhension qu’on vit ce nouvel opus arriver dans les bacs, le doute étant permis depuis l’inégal et décevant Hot Rail qui avait donné l’occasion à Calexico de se faire connaître du grand public avec le single radiophonique The Ballad of Cable Hogue. Heureusement, les premières amours avec ce groupe étaient encore bien présentes dans les mémoires avec The Black Light, premier album enchanteur dont les inspirations ensoleillées et mariachis pouvaient laisser envisager le meilleur à venir.

La surprise avec Feast of Wire n’en fut donc que plus belle, les premières écoutes révélant la bande de Tucson sous un aspect plus sombre et solennel. Le groupe semble cette fois attiré par une lumière crépusculaire qui parait recouvrir ces étendues désertiques et perdues entre l’Arizona et le Mexique, le résultat se révélant magique et envoûtant. Avec cette musique aux arrangements subtils et travaillés, Calexico s’évade et poursuit ainsi sa quête d’une americana idéale et mélancolique tout en se laissant imprégner par ces influences blues et jazz qui sont partie intégrante de la culture américaine. Et il parvient à atteindre des sommets inégalés comme The Black Heart qui révèle une intensité dramatique et déchirante rarement entendue, sans doute le plus beau morceau du duo échappé définitivement de Giant Sand après l’avoir laissé aux mains du seul Howe Gelb. Sur cet album qui s’avère définitivement le meilleur et le plus dense de leur discographie, même si la suite est jusqu’ici une belle réussite avec notamment le mésestimé Garden Ruin, les compères Joey Burns et John Convertino mettent également en lumière Francoiz Breut et son enjôleuse ballade Si tu disais, une artiste qu’ils apprécient tout particulièrement. Finalement, le charme était bien au rendez-vous, il ne fallait pas douter du talent de ce groupe atypique dans le paysage indie rock.

(darko)


Cat Power - You Are Free

repères : < 93ème du référendum > < en écoute sur Spotify >
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Cat Power - You Are Free disponible sur amazon.fr

Après un Moon Pix touché par la grâce qui continue de hanter ses auditeurs admiratifs par son honnêteté et ses comptines éternelles, et un intermède marqué par un disque de reprises admirable ( The Covers Record, 2000), que pouvait encore prouver Chan Marshall en 2003 ?

La réponse toute entière est contenue dans les 14 titres qui parsèment cet impeccable You Are Free. Sans marquer une rupture définitive avec le reste de sa jusqu’alors parfaite discographie, ce sixième album, et dernier chef-d’œuvre en date de la belle d’Atlanta, frôle une fois de plus cette sensation d’éternité béate qui berçait ses disques précédents. Du piano déglingué de l’inaugural I Don’t Blame You – écrit selon certaines observations relativement pertinentes en hommage à Kurt Cobain – à celui non moins intimiste et minimaliste du crève-cœur Evolution final, You Are Free balaie en un peu moins d’une heure les fantômes et les doutes qui hantent le songwriting de l’américaine.

Le disque englobe l’ensemble de ces petits riens qui font de chacun des disques de Cat Power une expérience personnelle et introspective. En mettant en abîme ses propres souffrances et addictions, elle arrive à faire ressortir chez son auditeur chacun de ces moments qui traversent nos vies où un étrange sentiment d’extase se mêle à la mélancolie ambiante. Car le grand mérite de You Are Free est de ne jamais tomber dans le misérabilisme malgré le spleen et la tristesse qui vous pénètrent à chaque écoute. Et même lorsque les larmes embuent nos yeux à l’écoute de Fool ou Maybe Not, la candeur enfantine d’un Half Of You nous fait réaliser qu’on est peut-être mieux ici qu’ailleurs, à écouter Cat Power.

(Casablancas)


The Coral - Magic And Medicine

repères : < 45ème du référendum > < en écoute sur Spotify >
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The Coral - Magic and Medicine disponible sur amazon.fr

Pour le moins attendus après leur très enthousiasmant premier album, The Coral n’ont pas déçu, retrouvant l’énergie communicative de Dreaming Of You dès le deuxième titre de ce Magic And Medicine, Don’t Think You’re The First, aux allures de western moderne.

Le reste se suit mais ne se ressemble pas. De la ballade folk aux airs de Simon & Garfunkel aux rythmiques bluesy/prog/rock version Can ou King Crimson, le sextette de Liverppol nous livre ici un bon condensé musical des années 60 à 80 - il est à peu près impossible de ne pas citer The Pale Fountains ou Love après écoute.

Mais alors, passéiste, ce disque ? Certainement pas, The Coral inscrit résolument sa musique dans le présent, la suite nous l’a confirmé !

(spydermonkey)


Matt Elliott - The Mess We Made

repères : < 56ème du référendum > < en écoute sur Deezer et Spotify >
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Matt Elliott - The Mess We Made disponible sur amazon.fr

Drôle de trajectoire que celle de Matt Elliott, qui fit les beaux jours de l’underground de Bristol en renfort des assassins du shoegaze (et pionniers du post-rock) Flying Saucer Attack puis sous le pseudonyme de The Third Eye Foundation au fil d’une poignée d’albums mutants plus ou moins mélancoliques ou malaisants avant de délaisser peu à peu l’électro instrumentale de ses débuts pour un songwriting désenchanté inspiré des folklores balte ou yiddish.

A ce titre, The Mess We Made, premier opus enregistré par l’Anglais sous son véritable patronyme, fait figure de transition autant que d’aboutissement, offrant au spleen vocal (ou parfois encore purement instrumental) des futurs Drinking/Failing/Howling Songs un écrin électro-acoustique intangible, à la fois autiste et limpide, humaniste et hanté, blafard et pourtant d’une rare intensité. The Mess We Made ça n’est plus tout à fait de l’électro, pas encore véritablement de la folk mais peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, même (surtout ?) quand on a l’alcool triste :

(RabbitInYourHeadlights)


Explosions In The Sky - The Earth Is Not A Cold Dead Place

repères : < 80ème du référendum > < en écoute sur Deezer et Spotify >
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Explosions In The Sky - The Earth Is Not A Cold Dead Place disponible sur amazon.fr

Dans la tristesse qui a englobé le paysage post-rock au milieu des années 2000, dans le sillage de formations qui pensaient pouvoir enchainer trois accords en montant progressivement le volume pour sonner comme Slint ou Tortoise, les texans d’Explosions In The Sky font figure, avec les japonais de Mono ou les écossais de Mogwai, de véritable bouffée d’oxygène dans la médiocrité ambiante.

Si l’effort précédent, l’apocalyptique Those Who Tell The Truth Shall Die, Those Who Tell The Truth Shall Live Forever tout en guitares abrasives et noirci par la cendre, laissait l’auditeur perdu au milieu d’un torrent de lave, ce deuxième album - troisième si l’on compte l’inaugural How Strange, Innocence publié en série très limitée en 2000 puis réédité par Temporary Residence en 2005 - offre une perspective beaucoup plus optimiste et ouvre ses mélodies à la poursuite des grands espaces.

Le quatuor est certainement la seule formation classique (basse-batterie-guitares) du genre à ne pas avoir fait de concessions dans sa formule – telles que la cohorte de cordes qui habite le dernier Mono ou les dissonances des disques abrités au sein de la nébuleuse Constellation – tout en gardant un pouvoir de fascination intact au fil de ses disques. Les envolées instrumentales, loin de la fureur inégalable d’un Greet Death, abandonnent leur tristesse accablante et explorent des paysages apaisés se révélant propices à un spleen fascinant, presque attirant. Les guitares pleurent leurs larmes dans un océan de songes éternels.

Il ne faudrait pourtant pas faire fausse route en pensant que ce disque n’est qu’une ballade tranquille dans de pluvieuses plaines où une mélancolie teintée d’espoir viendrait caresser l’auditeur dans le sens du poil. Les cinq morceaux constituant ce voyage aérien restent hantés par une lutte entre espoir et résignation où le charme accueillant des mélodies tente tant bien que mal de naviguer tel un équilibriste sans filet.

(Casablancas)


Four Tet - Rounds

repères : < choix de la rédaction > < en écoute sur Deezer et Spotify >
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Four Tet - Rounds disponible sur amazon.fr

Un battement de cœur, une ou deux cordes de guitare acoustique pincées, deux ou trois notes de piano jouées, une rythmique frénétique et incisive, la musique de Four Tet pourrait sembler simple à la base mais une fois mise en boucle et triturée, elle devient riche et complexe, se révélant fascinante et hypnotique. Au travers d’une musique électronique abstraite et expérimentale, faite d’assemblages sonores habiles et astucieux, Kieran Hebden, de son vrai nom, éclate toutes les frontières des genres et crée même une passerelle évidente entre la folk orientale (She Moves She) et occidentale (And They All Look Broken Hearted). D’ailleurs sur son précédent album, Pause, également remarquable, une toute nouvelle étiquette musicale lui avait été affublée avec le terme "folktronica" qui a permis de mettre en lumière ou d’ouvrir la voie à d’autres artistes venant de tous horizons (de Matmos à Tunng en passant même par The Notwist), preuve de son talent avant-gardiste et novateur.

Sur Rounds, cet artiste est véritablement au sommet de son art et atteint de nouvelles sphères, mettant en évidence un véritable sens de la composition et de la mélodie aux influences de plus en plus nombreuses et étonnantes. D’ailleurs, il ne faut pas avoir peur de ce patchwork et de ces expérimentations instrumentales qui pourraient paraître absconses au départ, car celles-ci font partie intégrante de l’univers musical du Londonien échappé de son groupe de post-rock Fridge, un univers d’une grande cohérence à la fois accessible et surprenant, mélancolique et onirique. Avec sa science du sampling et du laptop, Kieran Hebden, seul aux manettes de Four Tet, se crée ainsi sa propre voie artistique entre l’abstract hip-hop d’un DJ Shadow et le post-rock d’un Mice Parade, toujours à la recherche de la mélodie et de la rythmique idéales, et sur cet album il n’est pas loin de les avoir trouvées pour ne pas dire que c’est déjà fait.

(darko)


Kristin Hersh - The Grotto

repères : < choix de la rédaction > < en écoute sur Spotify >
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Une guitare acoustique et la voix éraillée, douloureuse, habitée de Kristin Hersh... Dès les premières notes dépouillées, presque "ry-cooderiennes", de Sno Cat se dessine un paysage sonore hivernal et crépusculaire où chaque note, chaque mot est à sa juste place. Kristin Hersh livre ici le parfait contrepoint à l’album extraverti et jouissif de Throwing Muses, paru simultanément : un album sombre et profond qui s’apprivoise lentement, ce qui est bien souvent un gage de longévité. Ne serait-ce que pour l’immense tristesse d’un Deep Wilson sublimé par les interventions d’Andrew Bird (violon) et de Howe Gelb (piano), qui accompagnent tout l’album avec une sobriété exemplaire, ce disque intime et hanté mérite une place dans votre discothèque. Recommandé à tous ceux qui n’ont jamais remarqué qu’il y avait bel et bien une vie après Your Ghost.

Deep Wilson, version sans violon et quasiment sans image, enregistrée dans l’intimité d’un "house concert".

(jediroller)


The Innocence Mission - Befriended

repères : < choix de la rédaction > < en écoute sur Spotify >
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De Elizabeth Frazer (Cocteau Twins) à Harriet Wheeler (The Sundays), il n’y avait qu’un pas à franchir tant le monde entier s’éprenait d’amour pour les voix féminines toutes plus douces et belles les unes que les autres. C’était le siècle dernier tout ça, car depuis d’autres ont repris le flambeau, on pense par exemple à Stephanie Dosen ou Karen Peris (The Innocence Mission).

Oui The Innoncence Mission, groupe de Pennsylvanie qui a vu le jour dès la fin des années 80, mais qui nous auréole plus particulièrement depuis 2003 et la sortie de son album Befriended. The Innocence Mission est typiquement le genre de formation qu’on écoute après des années de délires, de révoltes et d’acharnement à faire du bruit. Tout est dans la beauté, la pureté et l’émotion. Des tempos lents et du chant de I Never Knew You From The Sun montent une émotion imparable, du classisisme folk de When Mac Was Swimming se dégage une forme de plénitude, de Sweep Down Early s’échappe une certaine religion avec laquelle on entre en communion.

Toute la magie du groupe tient dans sa constance, sa discrétion et dans la voix de Karen Peris qui peuple de toute sa lumière nos songes et nos pensées. Amen.

(indie)


M83 - Dead Cities, Red Seas And Lost Ghosts

repères : < 55ème du référendum > < en écoute sur Deezer et Spotify >
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M83 - Dead Cities, Red Seas And Lost Ghosts disponible sur amazon.fr

Comptant parmi les chefs de file de l’excellent label Gooom (Mils, Cyann & Ben, Abstrackt Keal Agram et d’autres...), M83, duo composé de Nicolas Fromageau et Anthony Gonzales, confirme son talent avec Dead Cities, Red Seas & Lost Ghosts. Il devient aussi l’un des grands espoirs d’une scène française d’électro-rock glacial encore trop confidentielle.
Menée par des synthés fantômatiques et des guitares saturées, la musique prend vie dans notre imaginaire (comment ne pas se sentir étouffer sur America ?), non sans rappeler parfois Tangerine Dream ou My Bloody Valentine).

Glacial, oppressant, tendu... hypnotique.

(spydermonkey)


Massive Attack - 100th Window

repères : < 29ème du référendum > < en écoute sur Deezer et Spotify >
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Massive Attack - 100th Window disponible sur amazon.fr

Rarement album aussi mathématique, abstrait, labyrinthique, aura trouvé un tel écho dans le cœur et l’âme de ses auditeurs les plus fervents, tour à tour angoissé, réconfortant, apaisé ou désespéré. Rarement album à trois voix, symbolisant pourquoi pas la raison et la foi contre l’aliénation, aura plongé aussi loin, aussi profond dans l’introspection.

Et pour cause, si Neil Davidge déjà croisé en co-producteur et programmeur sur Mezzanine passe ici au premier plan en remplacement d’un Grant "Daddy G" Marshall en congé paternité, c’est bien Robert "3D" Del Naja qui tient seul la barre de ce quatrième album de Massive Attack, navigant à vue entre idéal métaphysique et abysses névrotiques. Donnant de la voix au côté d’Horace Andy et Sinéad O’Connor, 3D multiplie les cascades de lignes mélodiques évanescentes et les puzzles d’arrangements synthétiques qui s’entrelacent et s’effacent pour mieux émerger à nouveau et converger on ne sait trop comment dans des pics d’intensité sortis d’on en sait trop où, perpétuant mieux que quiconque avait su le faire jusque là l’intensité silencieuse et les grands espaces impressionnistes hérités de Talk Talk. A la lumière du récent Heligoland, on réalise aujourd’hui mieux que jamais à quel point ce disque visionnaire était en avance sur son temps, parvenant même à passer avec audace et brio la barrière de la scène :

(RabbitInYourHeadlights)


Mogwai - Happy Songs For Happy People

repères : < 75ème du référendum > < en écoute sur Deezer et Spotify >
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Comment aborder un album se nommant Happy Songs For Happy People, sachant que ce même groupe avait sorti un Come On Die Young quelques années plus tôt ? Comme un album de Mogwai, tout simplement. Ne vous attendez donc pas à un étalage de sentiments joyeux - ce n’est pas le genre de la maison.

Cela n’empêche pas les écossais de nous surprendre, dans une moindre mesure, certes, nous offrant une musique d’un onirisme simple, loin des clichés post-rock qui se sont développés depuis. Bien sûr, les nappes soniques sont subtilement distillées ici et là sans jamais entacher les lignes mélodiques du meilleur album de Mogwai à ce jour.

(spydermonkey)


Radiohead - Hail To The Thief

repères : < 14ème du référendum > < en écoute sur Deezer et Spotify >
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On n’essaiera pas de vous faire croire qu’ Hail To The Thief est le meilleur album de Radiohead, non pas par souci de consensualité puisqu’il semble aujourd’hui inévitable voire cliché de célébrer Thom Yorke et sa bande mais pour la simple raison que peu d’entre nous partagent cet avis à la rédaction. Il faut dire qu’avec pareille discographie, difficile de trancher même en restant dans les limites de la décennie passée entre les audaces électro ou free jazz de Kid A, le spleen abstrait d’ Amnesiac ou les envolées foisonnantes d’ In Rainbows, et même si l’album qui nous occupe ici s’avère être l’un des mieux classés du quintette d’Oxford dans cette overd00se le départagement s’est fait comme vous le verrez dans un mouchoir de poche.

On se contentera donc de louer comme il se doit ce chef-d’œuvre labyrinthique qui apparaît aujourd’hui, à la frontière d’un rock abrupt et d’une électro tortueuse, d’un blues sec et d’une mélancolie immatérielle, plus essentiel et inépuisable que jamais. Entre allégorie politique, humanisme désespéré, évocations subconscientes d’un futur crépusculaire et schizophrénie en voie de guérison, les Anglais avaient vu les choses en grand, trop peut-être pour leur époque et même le plus sanctifié des groupes de rock indé devra sans doute patienter quelques décennies supplémentaires pour voir le plus sincère de ses apocryphes, à l’image du clip ci-dessous non officiel et pourtant parfaitement conforme à l’esprit de ce morceau d’anthologie, devenir à son tour parole d’évangile.

(RabbitInYourHeadlights)


The Unicorns - Who Will Cut Our Hair When We’re Gone ?

repères : < choix de la rédaction >
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La légende veut que les Canadiens de The Unicorns aient refusé quelques millions de dollars de la part de Converse qui voulait utiliser I Was Born A Unicorn pour une pub télé. Cette légende par définition n’a rien d’avéré, mais elle dénote une certaine pureté, une naïveté, une intransigeance ou une gaminerie qui n’est pas sans rappeler la musique elle-même des Unicorns.

Les Québécois centrés autour de Nicholas Diamonds et Alden Ginger auront eu une existence brève, à peine quatre ans, entre 2000 et 2004, avant de bifurquer sur d’autres projets comme Islands ou Clues. The Unicorns comptent donc quelques EP assez confidentiels et un seul véritable album, Who Will Cut Our Hair When We’re Gone ?. Sous ses airs déroutants, l’opus est impressionnant d’inventivité malgré ses faiblesses propres. La pop y est bancale, foutraque, prête à s’effondrer à chaque instant sous un bordel sonore, lo-fi comme on dit, mais le résultat est foisonnant de mélodie. Le concept d’une idée à la seconde colle parfaitement à cet album. On pense à Pavement et il n’y a qu’à écouter Jellybanes, ou comment un morceau qui commence en se cassant la gueule se termine par une harmonie vocale presque parfaite. Ou Child Star, chanson à tiroirs finissant par une comptine qu’auraient pu chanter les Moldy Peaches. Who Will Cut Our Hair When We’re Gone ? est un album qu’on aime réécouter pour savoir jusqu’où on peut aller avec presque rien et surtout pour le plaisir de redevenir un adolescent.

(Spoutnik)


Venus - Vertigone

repères : < 76ème du référendum > < en écoute sur Deezer et Spotify >
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Venus - Vertigone disponible sur amazon.fr

Avec Vertigone, nous sommes loin du tubesque She’s So Disco. Certes Beautiful Days reste effectivement le single à succès que l’on sait, entendu depuis dans des films (notamment Immortel, d’Enki Bilal) et autres spots de publicité. Toutefois, comme pour le précédent album Welcome To The Moderne Dance Hall marqué par une certaine schizophrénie musicale, il serait réducteur d’assimiler le reste du disque à ce seul morceau, aussi spleenien et réussi soit-il. Non, nous avons bien affaire ici à du contemplatif, du poètique, de l’épique !

Marc A. Huyghens porte les chansons avec une justesse d’interprétation poignante, en accord avec les accompagnements tantôt hypnotiques et lancinants (le tourbillonnant Kallenovsky), tantôt plus entraînants mais non moins troublants à l’image du fiévreux Wanda Wulz :

Autant dire qu’on les regrettera longtemps nos belges cités deux fois dans cette overd00se et pourtant dissouts en 2007 après tout juste 10 années d’existence... à moins que le nouveau projet JOY de leur leader récemment croisé sur scène au coté de The Fitzcarraldo Sessions ne reprenne les choses là où Venus les avait laissées ? Un espoir que viennent déjà nourrir les trois démos en écoute sur myspace dont une reprise, justement, de Vertigone aux chœurs féminins du plus bel effet...

(spydermonkey & RabbitInYourHeadlights)