Elysian Fields - Pink Air

Retour habité, assuré, inspiré pour Jennifer Charles et Oren Bloedow avec leur meilleur disque des années 2010, leur plus rugueux aussi tout en restant subtil, mélancolique et enivrant, un futur classique pour les New-Yorkais et déjà l’une des collections de chansons les plus attachantes du cru 2018.

1. Storm Cellar Voir la vidéo Elysian Fields - Storm Cellar
2. Star Sheen
3. Beyond the Horizon
4. Tidal Wave
5. Karen 25 Voir la vidéo Elysian Fields - Karen 25
6. Start In Light
7. Philistine Jackknife
8. Dispossessed
9. Household Gods Voir la vidéo Elysian Fields - Household Gods
10. Knights of the White Carnation
11. Time Capsule

date de sortie : 21-09-2018 Label : Microcultures

Elysian Fields suit un chemin discographique pour le moins sinueux depuis quelques années, avec pour seul point d’ancrage cette voix d’exception, celle bien sûr de la fatale Jennifer Charles qui sinueuse ou non fait toujours son petit effet sur les cœurs sensibles aux timbres suaves et à l’ambivalence des amours interdits, comme celui par exemple des personnages du film d’Hitchcock To Catch A Thief auquel fait référence ce titre fabuleux qu’elle interprétait, entre deux duos avec l’inimitable Mike Patton, pour le projet Lovage de Dan The Automator il y a 17 ans déjà.

Versant sinueux, on a par exemple le délicieusement alambiqué Turn Me On, extrait du dernier chef-d’œuvre intense et capiteux en date des New-Yorkais, plus jazzy et feutrés que jamais sur cet album de 2009 aux ambiances pétries de mystère et aux mélodies volontiers troublantes. Nettement moins sinueux par contre sont les deux opus qui suivirent, Last Night On Earth et For House Cats And Sea Fans, le premier tombant trop souvent dans la facilité tandis que le second, en dépit du très beau Madeleine et d’une délicatesse bienvenue lorgnant à nouveau sur le jazz, peinait à remonter la pente d’un easy listening sans audace ni ambiguïté.

Heureusement, l’excellent Ghosts of No entre dream-pop et folk fantomatique s’était chargé il y deux ans de rectifier le tir et c’est un duo au sommet de sa forme que l’on retrouve aujourd’hui sur Pink Air, avec un nouveau pied de nez aux attentes des fans de la première heure puisqu’à l’opposé de son intitulé rose bonbon, c’est peut-être bien leur album le plus rock, ou du moins le plus électrique depuis l’inaugural Bleed Your Cedar, que livrent chez Microcultures le guitariste Oren Bloedow, sa muse et leur sextette du moment - lequel compte toujours le batteur Matt Johnson et le claviériste Thomas Bartlett croisés sur l’opus précédent, rejoints par un certain Jonno Linden à la basse et le jazzeux Simon Sheldon Hanes (Tredici Bacci, Guerilla Toss) à la guitare additionnelle.

Bleed Your Cedar, un premier LP de 22 ans d’âge auquel fait forcément penser le titre du morceau d’ouverture et premier single Storm Cellar, hymne rugueux associant gros riffs, dissonances discrètes et tension du piano, une porte d’entrée idéale sur un disque où le chant de Jennifer troque un peu de sa sensualité pour un aplomb voire une morgue de rockeuse revenue de tout :


Cette défiance fait plaisir à entendre, autant que l’élasticité des influences du groupe qui fait feu de tout bois, du shoegaze teinté de britpop de Star Sheen au blues-rock martial et un brin "folklo du bayou" mais complètement habité d’un Knights Of The White Carnation qui flirte sans complexe avec les riffs à 12 doigts du hard rock et les derniers PJ Harvey, en passant par un Tidal Wave presque disco-rock et pourtant irrésistible de classe désinvolte et abrupte, ou l’indie 90s post-Pixies du parfait Dispossessed, refrain désabusé et guitares déglinguées comme il faut.

Pour autant, ce retour de flamme de la cinquantaine approchante (et même bien entamée pour Oren), loin de raboter par les décibels la personnalité des ex pensionnaires de Tzadik, leur permet au contraire de revenir à l’essence de ce qui fit leur charme sombre et singulier en le débarrassant de toute affèterie superflue, à l’image de l’envoûtant Beyond the Horizon renouant avec le "noir rock" onirique et cuivré du superbe Bum Raps & Love Taps, ou de l’absolument merveilleux Karen 25, ode psychotrope autant que psychotique à nos identités délitées, entre effluves dream pop et arêtes saillantes, que des refrains de toute beauté viennent sublimer de leur mélancolie paradoxalement apaisante, une manière qui les voit quelque part rejoindre Mazzy Star dans cette économie de moyens centrée sur un songwriting inspiré et un chant enivrant sur lesquels le temps n’a plus d’ascendant (Start In Light).


Une capsule temporelle en somme mais pas du genre à se regarder le nombril, à célébrer la nostalgie d’une époque révolue du "c’était mieux avant" ou à s’arrêter d’avancer à la satisfaction d’un cahier des charges bien rempli. D’ailleurs, comme les Américains nous y nous avaient habitués - notamment sur le sus-nommé Bum Raps & Love Taps - c’est en toute fin d’album que deux autres joyaux viennent nous achever comme des banderilles en plein cœur, ce désespéré Household Gods tout d’abord, complainte magnétique aux guitares bluesy caressées avec une infinie tristesse, et le final Time Capsule donc avec son combo crève-cœur piano/batterie/guitare acoustique et ses histoires de futur demeuré à l’état de rêve d’enfant. Une dernière poignée d’arpèges au spleen malaisant et puis s’en va, Elysian Fields a retrouvé le chemin du royaume des dieux sans passer par le repos du guerrier et on se réjouit d’avance de leur tournée de cet automne qui fera notamment escale le 1er novembre à la Maroquinerie de Paris (toutes les autres dates ici).



Chroniques - 29.09.2018 par RabbitInYourHeadlights
 


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Où les Enfers Élyséens de la tentation mainstream nous rendent enfin nos héros, et dieu sait qu’après deux ratés les amoureux transis de la suave Jennifer Charles sauront savourer le petit miracle d’une réhabilitation que l’on imaginait déjà autrement compliquée.