Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (23/9 - 29/9/2019)

Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.





- Lugerlex - Monkey Dust EP (31/08/2019 - autoproduction)

Rabbit : Lugerlex, c’est la clique de Bloody Monk Consortium (soit Lex Luger, Labal-S et Leeroy Destroy) avec des invités adeptes du même genre de hip-hop sombre et sournois hérité des grandes heures de Def Jux, de C-Rayz Walz à Boxguts (le bad trip de Sapo Scripture) en passant par Jakprogresso, avec en sus la petite touche de fumette mystique qui va bien. La pochette de ce Monkey Dust parle d’elle-même, illustrant très probablement l’état psychique des intéressés au moment de l’enregistrement de ces vignettes spirituellement vénères et vice-versa, où des samples de musique traditionnelle asiatique (Nod Skwad, Opium Smoke) se marient à des atmosphères fantasmagoriques, un boom bap lourd, quelques boucles d’instruments psyché (les synthés de Mongolian Death Lettuce, la guitare d’Observable Multiverse ou Blaktar) et des flows belliqueux, le tout culminant sur un Cid Vicious aussi court que flippant.


- Giuseppe Cordaro - Annus Horribilis (13/09/2019 - Kesh)

Rabbit : Rappelons d’abord aux esprits mal placés que le titre de cet album publié sous son vrai patronyme par l’excellent Con_Cetta ne signifie rien d’autre qu’ "année horrible". Une année de nuits sans sommeil et de confusion dont l’Italien retranscrit ici en musique les interminables hantises à coups de glitchs caverneux (Ash), d’errances en barque sur le Styx (Cane Malu), d’hallucinations insaisissables (Itaca) et d’ésotérisme dronesque (fabuleux Occulto de près de 20 minutes). Gage de qualité supplémentaire s’il était besoin, c’est Simon Scott de Slowdive qui régale via son écurie Kesh.


- TaxiWars - Artificial Horizon (6/09/2019 - SDBAN Records)

Rabbit : L’indie-jazz-rock à la Morphine du frontman de dEUS et du sax Robin Verheyen (Aleatoric, Saxkartel) continue de rouler son groove aux arrangements mélangeurs et punchy et son spoken word des rues anversoises entre deux ballades au spleen nocturne (Irritated Love, They’ll Tell You You’ve Changed). La sensibilité hip-hop est plus marquée que sur les deux opus précédents (Sharp Practice, Safety In Numbers) et TaxiWars finit par y rejoindre l’univers des fabuleux Heliocentrics, l’ampleur en moins et les chansons en plus, imposant peu à peu le projet qui n’a rien sacrifié de son intensité comme un incontournable, loin de la simple récréation codifiée.


- Scorched Earth Policy Lab - Full Drone Attack (23/09/2019 - autoproduction)

Rabbit : Retravaillant d’anciens morceaux tels que Dull et Surface qui avaient déjà bénéficié d’une seconde vie l’an dernier, Thierry Arnal revient avec quatre titres aux crescendos caustiques et bourdonnants, sans concessions pour les oreilles novices au drone abrasif qui donne son titre à ce puits de noirceur opaque et anxiogène, dont les textures semblent se densifier d’un titre à l’autre pour finalement nous ensevelir sous un déluge de ferraille rouillée lâchée du ciel par des B52 sous les hurlements lancinants des sirènes (Soul-Bender). Vous reprendrez bien un chouïa d’apocalypse ?


- Swordplay - Paperwork (12/09/2019 - Dora Dorovitch)

Elnorton : Rafraîchissant par sa fougue, Paperwork n’en sent pas moins le soufre. Sur cette sortie, la manière dont s’articule ce flow révolté et étrangement délicieux aux instrumentations subtiles et hétérogènes qui brassent aussi volontiers vers l’électro, le rock ou l’acid rappelle les territoires arpentés par Mongrel (I Barely Know How To Dress Myself) à l’occasion d’un excellent Better Than Heavy qui fête cette année ses dix printemps. De l’autre côté du spectre, on n’est parfois pas si loin d’un Dälek qui aurait choisi d’atténuer les saturations instrumentales pour mettre en avant et éclaircir le flow (Soviet Television). Rempli d’idées et de chemins de traverse, Paperwork s’appuie surtout sur une identité forte et cohérente faisant de ces trente-cinq minutes un voyage intense et presque trop concis.

Rabbit : 6 ans après un Tap Water dont la mélancolie et la dimension acoustique étaient soulignées par les productions métissées de Pierre the Motionless, Swordplay communique en effet une désespérance nettement plus vénère sur ce Paperwork aux instrus toujours à la frontière de l’acoustique et de l’électronique, flirtant ici avec la drum’n’bass (I Barely Know How to Dress Myself) ou là avec le glitch et l’electronica (Free Refills). Les ballades introspectives et tristounettes à la Ceschi y trouvent toujours leur place, à l’image du délicat I Am Someone Looking for Something, du très pop Ambulance ou encode d’un Oh, Sila toute reverb de guitare folky en avant. L’album est personnel, politique, généreux, attachant et on a déjà hâte de le retrouver sur les scènes parisiennes le 5 octobre à l’occasion de ce concert estampillé IRM et Sulfure.


- Vietnam II - And The Lord He Said, Dick Cheney Is Dead EP (23/09/2019 - autoproduction)

Rabbit : Nouveau projet pour Eddie Palmer de feu The Fucked Up Beat, Studio Noir et Cloudwarmer, qui retrouve son compère Jamarr Mays de Deathwave International pour un EP plus ou moins insidieux (Gareth Bale, Vietcong) ou rentre-dedans (Surfboard 2049, Uncle Sam) à la croisée d’un cousin surf rock d’Interpol, du post-punk et d’un blues noisy et lynchien hanté par les fantômes de Joy Division et d’une Amérique plus vérolée que jamais, dont le symbole restera pour les deux musiciens cette raclure ultime de Dick Cheney. Que du bonheur.


- ShrapKnel - Cobalt EP (18 septembre - Backwoodz Studioz)

Rabbit : En attendant l’album, on découvre la nouvelle entité formée par les rappeurs PremRock et Curly Castro aux flows aussi décontractés que menaçants, déjà entourés de la crème des producteurs de leur nouveau label Backwoodz puisque les voilà désormais endorcés par l’excellent Billy Woods. Quelque part entre DJ Muggs et un RZA fatigué, l’indécollable Dagger & Cloak bénéficie ainsi des talents troublants d’ELUCID (cf. notre précédent Tir Groupé) qui trousse également l’urbain et tendu Nitty at the Drew très New York 1988 avant de se lâcher sur le punk et lancinant Stone Sly, tandis que Fresh Kils des géniaux Backburner, dont le duo avec PremRock avait fait l’objet d’un concert Sulfure au côté de Mike Ladd en avril dernier, se met dans le mood avec un Hubris au piano angoissant et l’étrange Seance au spleen déstructuré. Quant à Messiah Musik, son Milk of the Poppy ouvrait les hostilités en mode Antipop Consortium abstract du caniveau. Vivement la suite !

Elnorton : En effet, un hip-hop à l’ancienne, qui bénéficie de la production d’une nouvelle génération de beatmakers talentueux. Petit coup de cœur pour ce Nitty at the Drew produit par ELUCID qui parvient à être sombre et plombé sans pour autant se départir d’une certaine légèreté. On appréciera également la production plus minimaliste de Fresh Kils, notamment sur un Hubris doucement décapant, ainsi que le travail de Small Pro au remix sur un Dagger & Cloak apparaissant alors sous un visage encore plus ténébreux. Quoi qu’il en soit, ce Cobalt constitue un formidable teaser et la suite des aventures du combo devra tout naturellement être suivie avec la plus grande des attentions.


- Tides From Nebula - From Voodoo to Zen (20/09/2019 - Long Branch Records/Mystic Production)

Baron Nichts : Très actif depuis sa création en 2008, preuve en est sa solide discographie, Tides from Nebula démontre son génie magique avec son nouvel album From Voodoo to Zen. Le nouvel essai des Polonais dégage une formidable résonance, incarnant la symbiose parfaite entre les musiques électroniques et la fugacité de musiciens accomplis. Leurs incantations païennes naviguent sur des nappes de synthétiseurs rageuses portées par un rituel basse/batterie/guitare tout aussi intense. Le trio reste cependant serein pour préserver une mélodicité que les amateurs de God is an Astronaut ou 65daysofstatic apprécieront. Une belle réussite tout simplement.

Rabbit : Effectivement on retrouve quoiqu’en plus cadré le futurisme des guitares et les crescendos cinématographiques chers à 65daysofstatic sur ce nouvel album du combo polonais que je découvre pour l’occasion. Pas avare en intros très atmosphériques à l’image du superbe et plus posé Radionoize où guitares lyriques et contemplatives, synthés planants et percussions métalliques dessinent les contours d’un univers technologique dont l’apparente froideur met d’autant plus en évidence la mélancolie des âmes qui l’habitent, From Voodoo to Zen et notamment son morceau-titre auraient très bien pu servir de générique final à Blade Runner 2049 ou aux derniers Michael Mann.


Articles - 29.09.2019 par Baron Nichts, Elnorton, RabbitInYourHeadlights
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