Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (16/9 - 22/9/2019)

Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.





- E L U C I D - Every Egg I Cracked Today Was Double Yolked (19/08/2019 - autoproduction)

Rabbit : Enregistrée entre deux avions dans des hôtels et autres terminaux d’aéroport, cette collection de vignettes tantôt urgentes, méditatives (Colony et ses allures de David Axelrod en suspension), fantasmagoriques ou free et cauchemardées (le flippant A Great Many Wishes) sent bon les chaos des tournées et la confusion mentale du jetlag, lorsque, la fatigue aidant, se télescopent sous un crâne angoisses percussives, cut up halluciné, bribes de jazz passées au broyeur schizophrène et préoccupations philosophiques approximatives. A ne surtout pas écouter comme du hip-hop, dans la bagnole ou dans les transports en commun, au risque de passer à côté de toutes les intrigantes subtilités de production du beatmaker - et rappeur par intermittence - du duo Armand Hammer.

Le Crapaud : Du beatmaking, il en est à peine question dans cet ovni hip-hop à la frontière entre ambient, noise et spoken word. Il s’agit bien d’un voyage mental, agité, saccadé, comme si le New-Yorkais nous faisait assister au passage embrouillé et diffus des idées qui traversent son esprit. C’est un voyage qui marque par la variété de ses escales : acoustiques, électriques, bruitistes. On y suit un guide avare en mots qui nous laisse contempler ces paysages urbains post-apocalyptiques plutôt que de nous dire où regarder et comment se lamenter. Une bande-son qui aurait très bien sa place dans une expo d’art contemporain au cœur d’un entrepôt désaffecté ou dans un after déglingué où chacun cherche à recouvrer ses esprits là où il les a laissés.


- Pixies - Beneath the Eyrie (13/09/2019 - Infectious Music)

Rabbit : Jusqu’ici la discographie post-reformation de la bande à Frank Black donnait presque envie de prétendre que rien ne s’était passé depuis Trompe Le Monde, même pas le retour scénique de 2004 avec Kim Deal aux setlists trop léchées pour être honnêtes. Autant dire qu’on n’y croyait plus, et de là vient peut-être la belle surprise de ce Beneath the Eyrie, vrai successeur (toutes proportions gardées, cela va sans dire) du diptyque Bossanova/Trompe Le Monde qui démarre d’ailleurs sur deux morceaux dynamiques, riffesques voire un brin heavy dans la continuité de ce dernier, In The Arms of Mrs. Mark Of Cain et Graveyard Hill, et continue plus loin dans la même veine avec le vénère St. Nazaire.
Beneath the Eyrie, c’est le retour des noms de personnages bizarres en titres de morceaux, des guitares débridées de Joey Santiago (le riffs de Silver Bullet qui pour le coup n’aurait pas dénoté sur Bossanova), des mélodies déglingo (le parfait This Is My Fate), de l’americana carnavalesque façon Día de los Muertos (Bird of Prey, Death Horizon), des ballades capiteuses à la Kim Deal même sans l’intéressée (Paz Lenchantin fait définitivement le job sur Los Surfers Muertos), et même les morceaux les plus pop et accrocheurs s’avèrent bien addictifs, la palme aux indécollables refrains de Catfish Kate et d’un Long Rider qui évoque sans avoir l’air d’y toucher l’époque bénie de Doolittle. Manque un brin de sauvagerie pour les inconditionnels de Surfer Rosa mais on va pas faire la fine bouche, ils reviennent de si loin !


- Chelsea Wolfe - Birth of Violence (13/09/2019 - Sargent House)

Rabbit : Pas forcément l’album le plus singulier ou le plus immédiatement impressionnant de la protéiforme prêtresse doom californienne, mais en ressortant les guitares en bois avec une production à la mesure de son ambition, celle qui livrait il y a déjà presque 10 ans le très lo-fi The Grime And The Glow parvient aujourd’hui à taquiner la folk de western goth aussi puissamment habitée qu’élégamment arrangée des derniers albums funestes et hantés de Nina Nastasia (cf. les superbes Be All Things et The Mother Road aux crescendos de cordes terrassants ou le plus fragile American Darkness aux pianotages évanescents), non sans quelques écarts vers un folk rock intense et revêche (Deranged for Rock & Roll), une acoustique plus larsenisante et noisy (Little Grave) voire même une ballade à la Trent Reznor avec Preface to a Dream Play. Quant à sa voix à nulle autre pareille, elle imprime toujours profondément désespoir et fatalité dans les chairs.

Le Crapaud : Cette "voix à nulle autre pareille" comme il dit, me fait tout de même parfois penser à la celle, grave, au tremolo irrésistible de Lhasa (écoutez Preface to a Dream Place par exemple). Il y a d’ailleurs, dans ces ballades acoustiques dépressives accompagnées par des arpèges de guitare, quelque chose qui rappelle la mélancolie sublime de la chanteuse américano-mexicaine. Mais Chelsea Wolfe déploie un univers bien à elle, avec ses volutes électriques qui s’élèvent tout autour d’elle et forment comme un nuage épais chargé en ions négatifs (difficile de savoir si c’est son univers sonore ou son univers visuel qui inspire ces images). Birth Of Violence est un album étonnamment accessible, qui accompagnera très bien les tentatives de suicide de l’automne. Mais il parviendra sans doute aussi à en retarder certaines, car sa beauté magique et vivifiante, qui par sa noirceur éclaire les fonds des cœurs, offre un espoir aux plus désespérés : dans ce monde en ruines il reste encore des fleurs à voir éclore.


- MYSTAGOGUE - And The Darkness Was Cast Out Into the Wilderness (30/08/2019 - Vendetta Records)

Rabbit : Après The Sombre et ses superbes atmosphères dépressives, c’est l’heure de la récré pour Mories de Gnaw Their Tongues, associé ici au batteur W. Damiaen (Laster) pour un mini album de black metal héroïque et mélodique mais non moins organique, qui allie les charmes de la machine à tubes gentiment beuglés et de la production lo-fi du caveau. Si les Smiths avaient décidé de faire du black metal après que Morrissey ait pris une lampée d’acide sulfurique confondue avec du jus de pomme bio, ça aurait peut-être donné Nothing But The Night-Black Mantle... j’exagère à peine.


- Pandorama - Aphantasia (15/09/2019 - autoproduction)

Rabbit : Quatre ans sans nouvelles et voilà que Julien Demoulin nous revient ce mois-ci avec pas moins de deux projets. Aussi différents l’un de l’autre que de son alias Silencio aux rêveries guitaristiques suspendues dans l’éther, les deux albums témoignent d’un talent protéiforme, des terrains les plus pop aux plus expérimentaux. Ainsi, Revealed travaille au gré de courts instrus étranges et déstructurés la forme digitale, avec la spontanéité de l’improvisation et la cohérence d’un agencement tranchant dans plus de 7H de musique pour en tirer une substantifique moelle de post-modernisme électro onirique, qui culmine sur les lancinants Lifted et Stare, et le sismique Transmitted faisant rêver d’un disque entièrement drone pour le Bruxellois. Tandis qu’avec Aphantasia, premier opus de sa nouvelle identité Pandorama, Demoulin s’aventure du côté d’une électro-pop instrumentale à synthés vintage tour à tour légère et downtempo, cinématographique et dynamique ou plus sombre et dystopique (l’impressionnant Living With Yourself), subtilement infusée d’ambient et d’hédonisme planant. Charmant !


- La Fausse Patte - VerTigO EP (17/09/2019 - autoproduction)

Le Crapaud : Cette collection de sons chinés dans les recoins de vieux vinyles de jazz ou, à la volée, lors d’une séance de ciné-club, est un prolongement efficace à l’album d’Elucid (dont on parle plus haut). Ici, il est aussi question d’ambiance, mais moins comme un style musical que comme un univers visuel projeté, à la manière d’une salle de cinéma, devant des spectateurs hallucinés, qui tentent de se raccrocher à quelque chose de concret après un after difficile. Des percussions étranges, des boucles de cordes des plus cinématographiques, des beats francs ou boiteux, des vignettes jazzy en noir et blanc, telle est la recette de ce premier EP conçu par un amoureux du son prometteur.

Rabbit : En attendant de découvrir la facette rappée toujours en construction du producteur de Besançon, qui multipliait en fait sous le manteau les beat tapes et EPs sur Soundcloud depuis l’an dernier, c’est un court format enregistré il y a plus d’un an que nous offre La Fausse Patte en guise d’avant-goût cinématographique et jazzy à souhait. Les fans de jazz morriconien (Polarité) et d’ambiances lynchiennes (Vertigo et sa sublime reconstruction du thème de Blue Velvet) vont adorer, ceux des atmosphères ténébreuses et plus minimalistes du Company Flow de Johnny from the Hospitul mais passé à la moulinette dub ne seront pas en reste (4ème Dimension, Henry Portrait), quant à Bad Company, on se croirait en pleine tournée nocturne dans les bas-fonds de New York avec Travis Bickle le chauffeur de taxi, c’est dire le pouvoir d’évocation de ces instrus qui pour le coup se passent tout naturellement de flow ou de mots.


Articles - 22.09.2019 par Le Crapaud, RabbitInYourHeadlights
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