Triboulois : "Cela m’a tout de suite beaucoup amusé de chercher et de triturer des sons"

Repéré ici pour ses travaux instrumentaux, Triboulois officie avant tout dans une électro-pop sensible teintée de new wave et de chanson française. Voix claire et textes chiadés, l’Orléanais s’inscrit dans la lignée d’un Dominique A dont il a d’ailleurs repris un morceau sur la compilation anniversaire du label Cœur Sur Toi.

C’est justement sur l’étiquette phocéenne qu’est sorti son dernier album, Comme si tu dormais, dont il a accepté de nous parler aujourd’hui. Parmi d’autres sujets, bien entendu.




IRM : Salut Olivier.

Triboulois : Salut Ben.

Avant, d’évoquer en profondeur ton dernier album, Comme si tu dormais, j’aimerais qu’on aborde de manière un peu plus générale ta discographie dans laquelle on distingue deux courants : le principal, qui te voit œuvrer dans une veine électro-pop (Quel est ton monde ?, Comme si tu dormais), et un autre, que l’on pourrait qualifier de parallèle, et qui te voit explorer une approche instrumentale, plus expérimentale, de ta musique (Intérieurs, Almost The End, Chaos). Que mets-tu dans l’un que tu ne mets pas dans l’autre ?

Sauf rare exception comme la chanson Plan d’évacuation, tout est assez clair dans ma tête avant de composer un morceau. Je sais qu’une nouvelle composition ira soit vers une approche instrumentale et plus expérimentale ou soit vers une veine plutôt électro-pop pour essayer d’en faire au final une chanson. Je parlais au début de la chanson Plan d’évacuation car à la base cela devait être un morceau instrumental. Mais à la lecture d’un des textes que Cédric Merland a écrit pour mon album Comme si tu dormais, c’était une évidence pour moi que son texte collait parfaitement avec ce morceau. Il y a une ambiance équivalente entre les deux. Dans les albums instrumentaux, il y a aussi l’idée d’essayer de faire un album "concept", même si je trouve cette appellation un peu pompeuse voire prétentieuse. Plus simplement, je dirai qu’il y a une ligne directrice portée par une sensation, un besoin d’exprimer un sentiment. Mais en réfléchissant à ta question, je trouve qu’au fil du temps les compos pour les chansons se nourrissent des compos pour les instrumentaux et vice-versa. Je suis autodidacte, je n’ai ni de formation musicale ni de formation de technicien du son. J’apprends en faisant, à chaque morceau.


Parlons un peu de Comme si tu dormais, ton dernier album. Le morceau éponyme, qui est aussi celui qui ouvre l’album, évoque la disparition de ta mère. C’est un texte très personnel et un choix très fort pour ouvrir cet album…

Au fil des années, j’écris de moins en moins de textes. D’ailleurs sur mon avant-dernier album Quel est ton monde ?, je n’en ai écrit aucun. Sur ce nouvel album, j’avais cette envie et peut-être ce besoin de m’exprimer avec mes propres mots. La chanson que tu évoques c’est très certainement mon texte le plus personnel, le plus simple à comprendre et surtout le plus douloureux... Une fois cette chanson terminée, c’était comme une évidence pour moi que cela soit le titre de l’album et qu’elle ouvre également l’album.

Tu viens d’évoquer Quel est ton monde ?, le dernier morceau de cet album s’intitulait Comme une fin. La fin, c’est une thématique qui te travaille ?

Non pas tout à fait... Je crois que c’est lié à des circonstances de la vie, à ce que j’ai vécu ces dernières années... La musique me sert aussi d’exutoire, permet de me libérer d’instants de vie...

Revenons à ton dernier album : il y a un morceau que j’aime particulièrement, c’est Samedi à Paris. Quelle est l’histoire derrière ce titre ?

Ah oui merci, moi je ne sais pas si je l’aime autant que toi ! (rires) C’est un très très vieux texte que j’ai ressorti des tiroirs. Il date d’une période où je déambulais pas mal dans les rues de Paris. Le jour, la nuit... Une période très fêtarde également et tout de même un peu alcoolisée (sourire). C’était il y a longtemps. J’habitais en région parisienne et j’adorais me balader et arpenter les rues de Paris. À une époque où je n’avais pas beaucoup d’argent, c’était un "loisir" gratuit. La musique est beaucoup plus récente, c’est parti d’un morceau que j’ai composé au piano puis j’ai trituré les sons à foison pour donner ce micro-délire électro.

Il y a également un titre qui se trouve à la croisée des deux univers que nous évoquions en début d’interview et qui les synthétise avec beaucoup de réussite, je trouve. Il s’agit de CCTV.

Oui je suis d’accord avec toi. J’aime beaucoup cette ambiance un peu planante qui sert le texte. Je pense que cela peut-être intéressant de fusionner en quelque sorte les deux univers. Cela peut donner un truc vaguement hybride comme l’est peut-être CCTV.


Comme si tu dormais est sorti en cassette sur le label marseillais Cœur Sur Toi. Comment s’est noué le contact avec Laurent ?

Avant de connaître Laurent Santi, j’ai eu connaissance de son label Cœur Sur Toi Records au travers d’un de leurs posts sur Instagram. Le label faisait un appel pour des reprises en français pour les sortir sur une compilation afin de fêter les cinq ans du label. Je fais assez peu de reprises, mais j’avais cette cover de la chanson Le courage des oiseaux de Dominique A que j’ai faîte il y a quelques années avec Cyril Ouzoulias à la basse. Je me suis dit : Pourquoi pas ? Elle a plu à Laurent et il l’a gardé pour sa compilation sortie en février dernier. Ensuite quand mon album fût terminé, je me suis à nouveau dit pourquoi pas l’envoyer à Laurent  ? Il a été très enthousiaste et hop voilà c’était fait ! (rires) En fait cela s’est fait très simplement et très rapidement. Et je suis très content !

Cœur Sur Toi est un label essentiellement tourné vers les sorties cassettes. Quelle importance le support physique revêt-il à tes yeux ?

Alors je vais essayer de ne pas trop faire mon vieux (rires). Mais bon un peu quand même (rires). Je suis né en 1971, et l’arrivée dans les années 80 du baladeur à K7 ce fut une sacré révolution pour nous adolescents ! À l’époque la grosse chaîne hifi était installée dans le salon et on avait très peu l’occasion d’y accéder sauf dérogation exceptionnelle donnée par le paternel. Et là, la K7 et le baladeur arrivent ! Enfin la liberté de pouvoir écouter sa musique quand on en avait envie ! Bref, c’était royal au bar ! (sourire) Ensuite il y a eu le CD et je suis également attaché depuis très longtemps aux vinyles - je dirais plus par l’objet et surtout les pochettes que par le son. Je ne pense pas avoir l’oreille assez experte et surtout le matériel adéquat pour faire d’importantes différences sur le son entre tous les supports et les formats existants. J’achète toujours en support physique, mais beaucoup moins que dans les années 90/2000. Et j’écoute et j’achète de plus en plus en numérique, les deux sont compatibles pour moi.

Tu travailles souvent en collaboration avec d’autres auteurs pour l’écriture de tes textes. Comment appréhendes-tu cet aspect de ton processus créatif ? Comment t’appropries-tu ces textes qui ne sont pas de toi ?

En fait c’est parti d’un constat où je trouvais que je tournais un peu en rond avec mes textes. Et cela doit aussi coïncider avec la découverte des textes que publient Yan Kouton sur Facebook. Cela devrait être vers 2018 ( je suis assez nul pour me souvenir de dates précises (rires)). Là une vraie claque, pour moi Yan joue dans "la cour des grands" au même titre que par exemple un poète que j’adore, Charles Juliet. Et jusqu’à ce nouvel album, c’est moi qui la plupart du temps piochais les textes des autrices et des auteurs avec qui j’ai fait des chansons. Donc forcément les textes me plaisent, me correspondent et ils sont adaptables en chansons. J’ai eu la chance qu’elles et qu’ils me fassent confiance : Natacha Banaix, Carol Delage, Anne Perrin, Sabine Zuberek, Yan Kouton, Cédric Merland, Xavier le Maux et Alain Marciano.


Justement, peux-tu nous raconter comment s’est passée la collaboration avec Cédric Merlant qui a écrit cinq des dix textes de l’album ?

Avec Cédric, par le passé j’ai déjà utilisé plusieurs de ses textes qui sont parus dans des recueils aux Éditions de l’Aigrette. Pour ce nouvel album, c’est lui qui m’a proposé de m’écrire des textes spécialement pour mes nouvelles chansons. J’ai été très touché et forcément, j’ai tout de suite dit banco ! Comme j’avais déjà de mon côté quelques textes, on s’est mis d’accord sur une parité de cinq textes chacun. Sans en avoir vraiment parlé, on s’est rapidement retrouvé sur des thèmes et des ambiances similaires. Je pense, peut-être à tort, que cela contribue au-delà de la musique à une certaine cohésion de l’album.

Bien qu’étant artiste solo, tu ne manques pas une occasion d’attirer la lumière sur les autres, que ce soit ceux avec qui tu travailles (les auteurs et autrices de tes textes ou Gilles Martin qui s’occupe du mastering de tes albums) ou des d’artistes que tu apprécies comme Matthieu Malon que tu évoques souvent. Est-ce une manière, en tant qu’artiste solo, de t’inscrire dans un collectif ?

Non je ne pense pas faire partie d’un collectif, mais cela serait avec grand plaisir de m’inscrire dans un collectif avec l’ami Matthieu Malon (sourire). Matthieu, comment dire... on parle souvent musique ensemble, surtout celle des autres et assez peu de la nôtre. Il a une discographie très riche et très éclectique avec ses albums en français et ceux aussi en anglais avec son projet laudanum. Donc de temps en temps je lui demande des conseils ou je lui pose des questions d’ordre un peu plus technique. On a fait un morceau ensemble, Time is up (un texte de Yan Kouton) sous le nom de Tokelaü, si vous voulez écouter c’est disponible sur YouTube et Soundcloud. Et il a joué de la guitare et de la basse sur deux chansons de mon précédent album. Il fait partie des personnes qui me donnent envie de composer et de continuer à sortir des albums. Pour ce qui est des autrices et auteurs, elles/ils font partie intégrante de mes chansons, c’est donc la moindre des choses que de les citer et peut-être de donner envie aux gens de découvrir leur univers. Gilles Martin, je me pince régulièrement pour être sûr que l’on travaille et que l’on échange ensemble. J’ai plusieurs albums à la maison où son nom apparaît : Cold Tears de Dominic Sonic, Boire de Miossec, etc. C’est assez dingue, c’est le musicien et chanteur Filip Chrétien qui a nous a mis en relation et je le remercie ! Pour les artistes que j’aime, c’est sans doute parce que je suis avant tout un auditeur assidu et passionné de musique depuis très longtemps. J’ai toujours essayé de partager mes coups de cœur ! D’ailleurs je viens de créer une page sur Instagram qui s’appelle @touteslesmusiques pour essayer de mettre un petit coup de projecteur sur des albums et des artistes dont j’aime le travail.


Tu officies dans un genre, l’électro-pop, où les places sont (très) chères. Comment te situes-tu dans le paysage musical hexagonal ?

Je dirais que je ne me situe pas ! (rires) Le côté électro est venu avec l’achat d’un Mac et le cadeau d’un synthé. Cela m’a tout de suite beaucoup amusé de chercher et de triturer des sons. J’ai l’impression que c’est une musique qui colle assez bien avec ma voix. Cette appellation "électro-pop", elle est forcément un peu réductrice. Peut-être qu’il y a aussi un peu de "chanson française" et de "new wave" dans mes morceaux.

Ce côté électro-pop fait partie intégrante de ta signature musicale. Peut-on envisager un jour un album de Triboulois strictement acoustique ?

Ah oui, mais non ! (rires) De temps en temps j’y pense et rapidement je me dis : ouh la la, non c’est une très mauvaise idée ! (rires) J’ai une technique très très pauvre et, en acoustique, cela ne pardonne pas ! (sourire) Par contre j’ai composé pour plusieurs albums et EPs pour Yan Kouton et même si ce n’est pas totalement acoustique, on travaille actuellement sur un quatrième album pour lui. Et musicalement on s’éloigne des précédents, avec une approche beaucoup moins électronique et plus portée sur le piano.

On demande souvent aux artistes francophones qui chantent en anglais quand ils envisagent de « passer au français ». J’aurais envie, à l’inverse, de savoir si tu avais déjà envisagé d’employer l’anglais dans tes compos ?

De mémoire, il y a qu’une seule chanson. C’est Children Games, sur l’album Quel est ton monde ?. Tout est parti d’une collection de textes que m’a envoyée Alain Marciano et j’ai profondément aimé un de ses textes. J’avais cette musique un peu à la Massive Attack qui collait bien avec son texte. Donc malgré mon accent "so frenchy" (rires) je me suis dit : go !

Terminons avec la question classique : quels sont tes projets pour l’avenir ?

Plusieurs concerts dans les prochaines semaines dans le Loiret : 25 et 30 mai à Orléans, 5 juillet à Saint-Denis-en-Val et 14 septembre à Mareau-aux-Prés. Pour ces concerts, contrairement à auparavant où j’étais en solo, je serai accompagné par Frédéric Poulain (guitare et basse). Notre duo apporte de nouvelles versions aux chansons, un côté un peu plus rock et aussi une autre approche scénique. J’ai terminé un nouvel album instrumental qui sortira sur le Bandcamp du label Lotophagus Records, le vendredi 5 septembre. Avec Fred, on travaille actuellement sur deux nouvelles chansons. À voir quand elles seront terminées si elles feront parties d’un futur album ou si je les sortirai comme ça, un peu façon "singles". Et il y a en préparation un quatrième album pour Yan Kouton. Pas de date de sortie pour l’instant.

Merci pour ton temps.

Un grand merci à toi !


Interviews - 14.05.2025 par Ben