IRM Expr6ss #14 - ces disques de l’automne qu’on n’a même pas glissés dans l’agenda tellement on s’en foutait : Primal Scream ; Caribou ; Tyler, The Creator ; Amyl and the Sniffers ; Flying Lotus ; The Voidz

Tout est dans le titre, et on avait raison de s’en foutre - à titre indicatif, on n’y a pas glissé non plus le dernier Nick Cave & The Bad Seeds, ce qui à ce stade se passe d’explication, quant au nouveau Cure, il a profité d’un moment d’indulgence et n’est pas passé loin de la relégation. Tout ça histoire de rappeler qu’en dépit des quelques 900 disques recensés dans notre agenda jusqu’ici cette année, on n’y intègre pas tout ce qui nous passe entre les oreilles et encore moins, sans distinction, tout ce que semblent imposer à d’autres les tendances du moment, mais seulement les sorties que l’on juge dignes d’intérêt... et tant pis pour certains musiciens qui ont jadis eu nos faveurs avant de céder aux sirènes du racolage ou de la facilité.




- Primal Scream - Come Ahead (BMG, 8/11)

Deux ans après le décès de Martin Duffy, conséquence d’une intoxication alcoolique qu’aurait provoquée son exclusion du groupe, Primal Scream revient en la personne de Bobby Gillespie, épisodiquement épaulé par son guitariste de toujours, Andrew Innes, avec un album disco-soul vaguement Madchester-esque dégoulinant d’orchestrations anachroniques et de choeurs ringards, répétitif comme pas permis malgré ses quelques ballades/respirations légèrement plus inspirées (Settlers Blues) et long comme un jour sans pain (ou "généreux" probablement, en fonction de l’affinité). C’est bien simple, vous ne trouverez pas plus gros gâchis de talent cette année que la contribution du grand David Holmes à la production de ce disque à la gloire de l’éternel jeunesse de son médiocre chanteur, auquel la grande époque de la formation écossaise, on en est de plus en plus persuadé, doit moins qu’à son regretté claviériste. Du sous-sous-Lo Fidelity Allstars, pour faire court... ou à son moins pire, du sous-Happy Mondays (Circus of Life).



- Caribou - Honey (City Slang, 4/10)

Pas la peine d’en faire des caisses sur cet énième naveton hédoniste du Londonien, à peine plus écoutable que du Charli XCX avec ses incursions vocales d’un romantisme cheap lorgnant sur la fausse naïveté racoleuse de l’hyperpop et autres gimmicks rythmiques hérités d’une eurodance qui n’aurait jamais dû ressortir des limbes de l’oubli. Le premier Daphni, en plus d’arriver 12 ans plus tôt, avait au moins l’élégance d’insuffler un peu d’onirisme et quelques contrepieds singuliers dans son électro taillée pour le dancefloor, ici l’album est daté avant l’heure et même pas digne d’être comparé au successeur de ce dernier, allant jusqu’à sampler le tube de M/A/R/R/S sur Volume en guise de cache-misère à son évident déficit d’inspiration (sans même parler des changements de volume fainéants d’Over Now pour mimer un crescendo d’intensité, "effet" que l’on pensait banni des musiques électroniques depuis belle lurette). Et dire qu’ils s’y sont mis à deux pour piètrement télescoper house aseptisée, dubstep de club, synth-pop et ersatz des Basement Jaxx sans la décadence ou l’insolence sur les ultra-génériques et fourre-tout Broke My Heart et Honey, co-arrangés par Kieran Hebden aka Four Tet qui décidément, en dépit d’un dernier album relativement décent, n’est plus que l’ombre de lui-même. Autant vous dire qu’il est loin, très loin, le temps de l’alias Manitoba et du chef-d’oeuvre Andorra, au point d’avoir du mal à croire quelques 17 années plus tard qu’il s’agit bien du même artiste.



- Tyler, The Creator - Chromakopia (Columbia Records, 28/10)

Sujet d’excitation hip-hop de ceux qui n’en écoutent que deux fois l’an, le nouveau Tyler, The Creator continue de perdre en vitalité ce qu’il gagne en virtuosité et en maîtrise de la production "en vase clos", si l’on peut qualifier ainsi la présence de plus d’une vingtaine d’ingés son et de deux fois plus d’intervenants pour épauler le Californien sur ce Chromakopia sonnant davantage comme un blockbuster composite que comme un album personnel, malgré ses thématiques de maturité et de leçons de vie maternelles. En guise de "singularité", ce concentré de poudre au yeux et de mélodies sirupeuses pratique plutôt l’amoncellement pur et simple - de styles, d’influences, de featurings insignifiants (allez, sauvons Schoolboy Q qui électrise un Thought I Was Dead moins prétentieux que la moyenne) et de tendances du moment, dont font partie d’ailleurs ces retours tape-à-l’oeil du jazz fusion, des synthés west coast et du gospel dans un hip-hop mainstream en recherche de pseudo "spiritualité" doublée d’hédonisme lascif. Évidemment, l’album n’en est pas moins défendu par des gens de goût pour qui le genre ne se limite pas à Drake, Kanye ou Kendrick Lamar (que les amateurs un peu curieux se passent très bien d’écouter en 2024), disons qu’il en faut pour toutes les sensibilités et que du côté d’IRM, passé le déjà surestimé Goblin où surnageaient encore quelques beaux restes dark, organiques et bricolés des tapes d’Odd Future et dont les changements de tonalités et autres contrepieds stylistiques étaient moins lourdement appuyés grâce au relatif minimalisme de Tyler à l’époque, il est devenu difficile d’adhérer à sa constante tendance à la démonstration désincarnée suintant la pose par tous les pores et à cette fausse audace pompière bouffée par des métissages poussifs et boursoufflés - à l’exemple du single NOID, sautillant vainement du glam rock au hip-hop à la musique africaine au r’n’b au trip-hop sans atmosphère ni textures dignes de ce nom pour relier le tout... et par pitié, ne nous lancez même pas sur l’indigeste Sticky. Par ailleurs, rien ne dit aussi bien "j’ai oublié d’où je viens" que mettre son album en streaming sur toutes les plateformes exploitatives du web... et pas sur Bandcamp : sans prétendre y voir un argument musical, on n’en peut plus de ces artistes venus de l’underground et d’un succès de bouche-à-oreille mais incapables d’agir en conscience des iniquités du music business, et le fait que seules deux sorties sur les six présentées ici soient en écoute sur la plateforme de grande audience la plus éthique des 15 dernières années (en attendant l’avènement d’Ampwall que l’on espère prochain) n’est malheureusement pas une surprise.



- Amyl and the Sniffers - Cartoon Darkness (Rough Trade, 25/10)

Pop punk générique incapable de véritablement capter l’énergie scénique que l’on prête au groupe, clips racoleurs sous couvert de "body positivity" (mouarf), pochette d’une mocheté abyssale : pas grand chose n’a changé depuis le surcoté mais tout de même moins raté Comfort To Me qui fit connaître les Australiens d’un plus large public international en 2021 à coups de premières parties pour pléthore de has-been à succès, de Weezer à Green Day en passant par les Smashing Pumpkins ou Jane’s Addiction. Amyl & the Sniffers, on est bien obligé de vous dire que c’était mieux avant (enfin, un peu), quand le combo allait encore à l’essentiel, sans chichis ni prétention. Au programme de la grosse et pénible demi-heure que constitue Cartoon Darkness, vautré dans la gouaille poussive d’Amy Taylor et les riffs grandiloquents de son guitariste Declan Mehrtens, un gros manque de relief, de folie et d’originalité, et un piètre décalque de groupes bien meilleurs d’il y a une quinzaine d’années, de Be Your Own Pet aux Coathangers en passant par Love Is All, sans même parler d’une scène locale qui a souvent fait mieux, ou de Courtney Love dont les Hole doivent se retourner dans leur tombe (Big Dreams).



- Flying Lotus - Spirit Box EP (Warp, 29/10)

Jamais facile de dire du mal de Steven Ellison tant le bonhomme m’est sympathique, cf. sa carte blanche à L’Étrange Festival en septembre dernier qui fut l’occasion d’échanger quelques mots, après la diffusion du director’s cut du classique saboté du cinéma d’animation "Le voleur et le cordonnier", sur son concert shanghaien d’il y a 9 ans en mode Captain Murphy. Néanmoins, l’adage "qui aime bien châtie bien" n’ayant pas été inventé pour nos amis canins, disons simplement que dans la lignée du raté Flamagra et en dépit d’une référence à "Twin Peaks" dont on espérait mieux, il ne reste pas grand chose du génie métamorphe et organique d’un Los Angeles sur ce Spirit Box aux atmosphères inexistantes, partagé entre house générique et contemporary r’n’b vocodé. Quand à la dernière belle sortie de l’Américain, elle vient de fêter ses 10 ans... autant dire qu’arrive un moment où l’on n’y croit plus vraiment.



- The Voidz - Like All Before You (Cult Records, 17/10)

Deuxième opus pour l’autre groupe de Julian Casablancas, chanteur des Strokes dont le parcours récent n’est à vrai dire pas plus emballant comme en témoignait The Abnormal en 2020, entre synthés anachroniques, emphase lyrique et vocodeurs ringards à tous les étages. Si Like All Before You, contre toute attente, est l’album qui m’est le moins désagréable dans cette sélection, car quelque part assez généreux et porté ici et là par de jolis restes de songwriting - évoquant par exemple le mésestimé Room on Fire sur les refrains du par ailleurs inécoutable Square Wave, autotuné comme les pires tubes de raï qui passent en boucle sur les écrans de ton kebab du coin - et même une certaine mélancolie (Perseverance, les instrus d’intro et de conclusion, ou surtout le beau mais trop court Spectral Analysis), l’album sombre bien trop souvent dans le racolage facile et mollasson pour emporter le morceau. Il suffira ainsi d’écouter When Will The Time of These Bastards End et son gloubiboulga 80s amalgamant synth-pop vieillotte, rock de stade et ballade indigeste, ou encore le parfaitement raté All the Same qui compile quant à lui mauvais pompage de New Order, chant neurasthénique inutilement rincé à l’autotune, gimmicks mélodiques aux élans forcés et beat d’une pauvreté abyssale, pour ne pas avoir à perdre son temps plus avant.




Allez en bonus, si jamais vous n’étiez pas encore convaincus de bien-fondé d’éviter ces albums au profit par exemple du genre de pépites sous-médiatisées que l’on vous conseille chaque semaine, on vous glisse leurs notes respectives sur un certain site ricain payé à l’encart pub, anti-baromètre d’une étonnante fiabilité : non chroniqué / 7,8 / 7,6 / 6,8 / non chroniqué / 5,5 (ils sont quand un peu moins à côté de la plaque sur The Voidz, pourtant à tout prendre le moins mauvais du lot... CQFD). Vous l’aurez compris, si l’on était adepte de cette tendance imbécile à noter les disques, aucun des 6 albums commentés plus haut ne dépasserait les 4/10, et surtout on aurait mieux à faire que de s’étendre plus que de raison à leur sujet, d’où cet article groupé pour faire d’une pierre six coups. Pan !


Articles - 10.11.2024 par RabbitInYourHeadlights