Quelque part entre les fulgurances libertaires d’Ornette Coleman (dont on retrouve les tonalités souvent perturbantes, la fugacité et le son "flûté" propre au saxophone alto), les imprécations tourmentées d’Evangelista et l’agilité narrative du Gil Scott-Heron des débuts, la voix de Matana Roberts s’impose déjà dans toute sa singulière puissance d’évocation sur ce premier opus d’une série de 12 à paraître chez Constellation.

Exilée à Montréal depuis 2008, c’est en compagnie d’une douzaine de musiciens du label (qui lui faisait de l’œil depuis déjà 10 ans et sa contribution discrète au fabuleux Yanqui U.X.O. de GY !BE) réunis le temps d’une session live de 90 minutes à l’Hotel2Tango pour y manier cuivres, violons, guitare, piano et autres instruments plus atypiques tels que le doudouk arménien, que la Chicagoanne a pu rendre justice à l’ambition musicale et thématique de ce premier chapitre d’une œuvre qui s’annonce d’ores et déjà aussi inventive que protéiforme.

Hanté par le sort des esclaves afro-américains mais habité de la même manière par leur sagesse ancestrale, Gens de couleur libres combine la fascination de la jeune musicienne pour les esprits du passé et son intérêt pour l’histoire des Africains en Amérique rapportée à ses propres origines et à un vécu personnel que l’on imagine égrené d’autant d’épisodes troublés. En résulte un album conceptuel sans être abscons dont le spleen urbain revisite également l’histoire du jazz, de ses traditions les plus dogmatiques à ses grands sursauts d’émancipation comme métaphore musicale d’un peuple passé par les chaînes sans y avoir jamais laissé son identité ou sa liberté d’expression.