Alpha Strategy - The Gurgler
The Gurgler, nouvel album des Canadiens d’Alpha Strategy est vraiment un drôle de truc. Tout à la fois lent et féroce, il joue avec le silence et dessine un itinéraire accidenté franchement prenant.
1. I Smell Like A Wet Tent
2. Save Us Neris
3. Pissed Out The Fire
4. Parada
5. The Gargler
6. To The Woods That I Know
7. Give Me The Mouth
The Gurgler est le troisième album d’Alpha Strategy depuis l’éponyme de 2014, le deuxième a être passé entre les pattes de Steve Albini, à l’instar de leur Drink The Brine, Get Scarce de 2016. D’une précision d’orfèvre, ces Canadiens. En ce qui concerne le rythme de leurs sorties tout du moins, parce que pour le reste, l’animal se montre pour le moins fuyant et difficile à cerner. Ils sont quatre mais sonnent comme s’ils étaient deux fois moins. C’est sec et près de l’os. L’album - qui ne ressemble pas vraiment à ses prédécesseurs - ne contient que sept morceaux mais dès le début, on est complètement paumé et quand la fin arrive, on est vraiment surpris qu’elle se manifeste si vite. Extrêmement déstructurée, la musique d’Alpha Strategy n’est faite que de chausse-trappes et de lignes brisées. On pense avoir identifié un motif, il mute immédiatement ou simplement, disparaît. La guitare n’en fait qu’à sa tête, la voix aussi. La rythmique ne vaut pas bien mieux. Elle montre une tendance assez étrange à s’évaporer sans crier gare pour revenir on ne sait trop comment ni pourquoi.
Parfois, c’est complètement affligé et The Gurgler adopte le rythme d’un escargot exténué, à d’autres moments, ça ferraille avec l’énergie du désespoir. Le groupe aime s’appuyer sur la répétition des structures (ce qui le fait parfois ressembler à un genre de Conformists déviant) mais ce qu’il aime encore plus, c’est les dynamiter sans prévenir, en jouant sur l’épaisseur selon les interventions de chacun. La voix est omniprésente mais sûrement pas les instruments. On entend assez souvent la guitare mais beaucoup moins la basse et la batterie ; en revanche, quand ces deux-là arrivent, ensemble ou séparément, elles laissent une indéniable empreinte. Parfois, tout le monde se retrouve et la musique d’Alpha Strategy revêt alors un poids insoupçonné mais ça reste tout de même assez rare. L’autre grand truc des morceaux, c’est leur côté tribal qui confère une grosse vibration écorchée, très proche du blues, au noise-rock ultra-sec de The Gurgler et c’est vraiment ce qui en fait tout le charme. Ajoutez à cela la voix de Rory Hinchey coincée quelque part sur un segment qui relierait David Yow à David Thomas et vous comprendrez très vite que l’on est face à un disque plutôt singulier.
C’est vrai qu’on a parfois l’impression d’entendre Jesus Lizard reprendre quelques morceaux de Pere Ubu, les traits acerbes des premiers se confrontant à l’abstraction des seconds. On pense aussi pas mal à un Shellac sous Codeine concernant les équations rythmiques patraques. Toutefois, les compositions sont suffisamment racées et intéressantes pour envoyer valdinguer les réminiscences dans l’arrière-plan. Elles se suffisent à elles-mêmes et offrent largement de quoi explorer sans que l’on ait besoin de fantasmer. Dès l’entame, l’itinéraire fracturé de I Smell Like A Wet Tent accroche l’oreille. Ses vocalises étranges, son relief accidenté et tendu à l’extrême, sur le qui-vive permanent, ses emballements aussi brusques que brefs et sa façon de faire naître le silence quand on s’y attend le moins intriguent fortement. Le morceau mute en permanence et on a l’impression d’être passé au suivant alors qu’on est encore bloqué au même endroit. La suite est exactement du même acabit : des fractures partout, un chant aliéné alternant entre divagations titubantes et cris étranglés, des mélodies esseulées au milieu d’une forêt d’angles (Pissed Out The Fire ou le sublime The Gargler) et partout, ce blues éminemment personnel et déchirant qui électrise les tripes (To The Woods That I Know).
Les morceaux étant bâtis sur les mêmes fondations, on a bien du mal à extirper quoi que ce soit de The Gurgler. Il faut réellement envisager l’album comme un tout en se disant que n’importe quel titre est représentatif du reste. Néanmoins, si l’un venait à manquer, il manquerait quelque chose. Sept déclinaisons pour un peu plus d’une demi-heure, c’est sans doute peu mais c’est pourtant largement suffisant puisque l’album possède le goût de l’errance et sait comment s’y prendre pour nous perdre dans ses méandres anguleux sans jamais nous mettre dehors. D’autant plus qu’il sonne bien, la captation de Steve Albini et le mastering de Bob Weston sont très naturels et on a vraiment l’impression qu’Alpha Strategy balance ses diatribes tendues là, juste à côté de nous. Merveille d’équilibre, la dynamique disloquée de The Gurgler n’a pas fini d’intriguer et on sait gré à Antena Krzyku de la coucher sur un chouette vinyle dont la pochette enchevêtrée dit tout.
Magistral.
Comme souvent, on s’est fait avoir... à trop s’imaginer que l’été serait un désert, on a attendu le dernier moment et on s’est fait surprendre par toute une flopée de sorties de la fin du mois d’août, à ne plus savoir où donner de la tête au moment même où se profilait l’échéance de ce vote groupé. Juillet et août, deux mois finalement bien remplis dans notre (...)
- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- ØKSE - s/t
- Lea Thomas - Cosmos Forever
- PureH - Tetragram
- OIZAK - KOHS SCD
- Skyzoo - Keep Me Company
- Jordane Prestrot - Amaryllis
- Sparkz & Pitch 92 - Full Circle
- Ben Lukas Boysen - Alta Ripa
- Bedsore - Dreaming the Strife for Love
- Field Music - Six Weeks, Nine Wells
- 2024 à la loupe (par Rabbit) - 24 chansons
- 2024 à la loupe (par Rabbit) - La shitlist
- ØKSE - s/t
- Lea Thomas - Cosmos Forever
- Octobre 2024 - les albums de la rédaction