L’écurie du montréalais Iann Troalen, sur laquelle on pouvait régulièrement retrouver les sorties de son défunt projet homonyme Musique Moléculaire et pas mal d’artworks signés par ses soins, publie et défend tellement de disques dans le champ des musiques expérimentales à tendances ambient, électronique ou noise que l’on peine à suivre (ce qui ne nous empêche pas d’y dénicher un gros coup de coeur de temps en temps, cf. pour cette année Ssaphia, Grosso Gadgetto ou NLC).

Pour autant, il serait dommage de faire l’impasse sur tant de projets passionnants, représentatifs de la vitalité d’un underground en constante réinvention. Pour ce petit tour d’horizon concentré sur les sorties des mois d’août et septembre, IRM Expr6ss se partage entre albums et EPs (trois chacun), musiciens déjà connus de nos service (Skutiger & Man in the shadow, Pete Swinton et Thierry Arnal aka Scorch Earth Policy Lab, tous chroniqués précédemment dans nos colonnes voire plus si affinité) et découvertes à suivre de très près (Bruno Bernard, Jon Patch et Tom Furgas).

 Bruno Bernard - lisi​è​res (27/09/2024)

On démarre avec notre coup de coeur de cette sélection, sorti il y a quelques jours à peine, que l’on doit à un artiste de Chalon-sur-Saône adepte de la musique acousmatique (comme beaucoup de musiciens ambient sans pour autant qu’ils s’en réfèrent au terme, daté des expérimentations de Pierre Schaeffer dans le champ de la musique concrète), comprendre : une musique électro-acoustique portée sur les field recordings et autres sons trouvés. Volontiers glitch et déstructuré, lisières baigne ainsi dans un background de sonorités tantôt aquatiques ou industrielles, de grouillements ou tapis de percussions et idiophones en tous genres, sur lequel se développent d’étranges méditations à base de fréquences anxiogènes, d’harmonies cristallines aux reverbs scintillantes et autres pulsations ou distos synthétiques, une brillante entreprise de sculpture sonore évoquant le caractère composite de notre environnement phonique.

 Jon Patch - Una Serenada Pel Doctor Mol​·​lusc (2/08/2024)

À en juger par cette longue pièce de 22 minutes dont les synthés dystopiques contrastent avec l’artwork rural, l’Espagnol basé dans les Pyrénées gagne à être connu. Futuriste et mystique, Una Serenada Pel Doctor Mol​·​lusc est une très belle immersion planante probablement marquée par la kosmische musik des Klaus Schulze et consorts, qui ne cesse de muter et de se distordre mais sans sans jamais faillir à nous envelopper de son aura onirique et magnétique.

 Thierry Arnal - TERRA NULLIUS (30/08/2024)

On aime et suit Thierry Arnal depuis les grandes heures de son projet Amantra il y a une grosse demi-douzaine d’années, alias auquel en ont succédé d’autres, de SEPL à [TH.A]. en passant par Hast. Anciennement croisé sur les scènes de nos concerts Sulfure ou du côté d’IRM Netlabel, le Français livre ici l’une de ces progressions abrasives et crépusculaires aux allures de soundtrack de film d’anticipation dont il a le secret, un minimalisme qui déploie sur 25 minutes accaparantes ses saturations et grouillements anxiogènes.

 Tom Furgas - Timespace Three and Four (9/09/2024)

Composé entièrement sur software à partir de banques de samples comme le précédent volet Timespace One and Two sorti en juillet, ce nouvel opus de l’Américain Tom Furgas s’avère plus immersif et intrigant mais surtout plus organique, une sorte de bande originale imaginaire à la croisée de l’ambient et de l’electronica qui cultive un petit côté kitsch façon SF des années 80 que viennent joliment déjouer pulsations deep, field recordings et percussions d’objets. Belle réussite !

 Skutiger & Man in the shadow - Lucif​é​risme (5/08/2024)

Skutiger, c’est Iann Troalen en personne et son compère au sein de Musique Moléculaire à savoir le guitariste et bidouilleur Man in the shadow, un duo qui a en quelque sorte pris la suite du précédent. Dans la lignée par exemple d’un Messe Noire chroniqué dans nos pages l’an dernier, Lucif​é​risme déroule sur une longue piste métamorphe un dark ambient ésotérique voire horrifique qui doit autant à la musique concrète ou au classique contemporain qu’au harsh noise, une sorte de cérémonie occulte baroque et saturée, souvent dissonante et déstructurée mais toujours très évocatrice dans les mystérieuses sphères cabalistiques qu’elle arpente.

 Pete Swinton - JAWA FIRE (11/09/2024)

Enfin, très actif en autoproduit sur sa propre page Bandcamp, ou sur des netlabels tels que The Church of Noisy Goat, on vous avait déjà un peu parlé de Pete Swinton ici. Pour l’une de ses dernières sorties en date, le Britannique délocalisé en Indonésie met ici en musique les différentes étapes de l’éruption d’un volcan, l’île de Java où il réside en comptant un certain nombre, qu’ils soient encore actifs ou depuis longtemps éteints. Entre basses fréquences bouillonnantes, nappes fumigènes et fourmillements de blips électroniques, le résultat forcément très ambient et plutôt minimal flirte par moments avec le glitch mais n’explose jamais, nous plongeant plutôt dans un état de contemplation béate devant le caractère immuable de ces processus géologiques devenus textures et sons.