Top albums - avril 2019

Miroirs tendus à nos peurs subconscientes, à nos fantasmes de transgression sonique, à nos rêves d’ailleurs ou encore à une société nombriliste et mondialisée jusqu’à l’abrutissement des cœurs, nos albums d’avril reflètent plus que nos scrutins approximatifs, projetant comme le disait Sun Ra "d’autres dimensions, des éternités de fuseaux horaires, des parallèles spiralées de cosmos infini" qu’il ne tient qu’à vous de découvrir et d’explorer.




Nos albums du mois






1. Odd Nosdam - Mirrors


Pas faute d’avoir tout apprécié ou presque de l’ex beatmaker de cLOUDDEAD cette décennie, du transcendantal et vibrant Trish à l’ultra-minimaliste et lancinant LIF en passant par les boucles psychédélico-hip-hop de l’EP BLOO encore tout chaud, on avait pourtant plus rien eu de vraiment conséquent à se mettre dans le creux des tympans de la part d’Odd Nosdam depuis le sommet Level Live Wires d’il y a 12 ans déjà, dont les syncopations ascensionnelles de Sisters avait tenté de raviver la flamme en 2016 sur une trop courte demi-heure. Finalement guère plus étoffé, Mirrors n’en met pas moins la barre un cran au-dessus pour clore tardivement une trilogie stylistique entamée en 2005 avec le chef-d’œuvre Burner. Tout y est, des beats downtempo aux chœurs éthérés en passant par l’esthétique low-end savamment distillée, les percus bricolées et les déferlantes texturées (voire déferlantes tout court samplées sur l’intro Mirrors I aux élans dramatiques inédits), les morceaux s’enchaînent dans un souffle, alternant nonchalance saturée (Air Up, Tall Wind), lyrisme (stratos)féérique au groove imparable (l’incroyable Cookies, cousin déglingué des merveilleux Untitled Three et Fat Hooks), pesanteur vaporeuse (les 10 minutes de boom bap shoegazé de Mirrors II) et tunnels narcotiques en guise de transitions (Beyond, The Burn), pour s’éteindre à petit feu sur un final rédemptoire au futurisme mystique et feutré. Magnifique.


(Rabbit)





2. Amon Tobin - Fear in a Handful of Dust


8 ans sans un album, autant dire que le Brésilien était attendu au tournant, une attente aussi longue que son vrai nom, avec ce Fear in a Handful of Dust inaugurant la rupture avec Ninja Tune et le lancement de Nomark, son propre label. Alors qu’attendre cette fois d’Amon Tobin ? Rien de plus qu’un gros coup de pied dans la fourmilière, autrement dit de quoi faire ruminer quiconque aurait voulu une suite directe pour ISAM (2011). Brouillage des repères, rythmiques déstructurées tapageuses et backgrounds jazzy distillés, réduits en poussières de songes lentement soufflées au visage. Les deux premières poignées (On a Hilltop Sat the Moon et Vipers Follow You) annoncent déjà un paysage de curiosités. C’est du côté de la sombre épopée spatiale de l’EP Dark Jovian (paru pour le Disquaire Day de 2015) qu’il faut se tourner, plus pour le côté éthéré sans pulsation que pour l’univers, tant le paysage proposé par ce nouvel album s’apparente plus au rêve initiatique tortueux qu’au voyage extra-terrestre : un beau rêve qui perd peu à peu de son unicité et tourne au vinaigre. Les belles cordes piquées s’emballent pour tomber en déliquescence plusieurs étages en dessous (Freeformed) et raisonner de plus belle (Pale Forms Run By) et ainsi de suite, en un ensemble dans lequel il est bien difficile de prendre pied mais où la richesse des micro-mondes créés par l’artiste exerce rapidement une attraction malsaine. C’est l’envers de son propre décor qu’il semble nous présenter, en explorant sa facette la plus ambient et onirique, au risque d’égarer une bonne partie de sa fanbase originelle...


(Riton)





3. Orchestra of Constant Distress - Cognitive Dissonance


"L’orchestre agrafe deux Skull Defekts (Joachim Nordwall, Henrik Rylander) à un Brainbombs/No Balls (Anders Bryngelsson) et un Human Waste (Henrik Andersson). Ces quatre-là ensemble sonnent exactement comme on imaginait qu’ensemble ils sonneraient. Un riff sur le même riff sur le même riff sur le même riff sur le même riff sur le même riff, du feedback partout et des bruits parasites dans les interstices durant un nombre déraisonnable de minutes. Enfin, en tout cas, ça c’était pour les deux premiers disques. Aujourd’hui, c’est un (tout petit) peu différent. Qu’on ne s’y trompe pas, Orchestra Of Constant Distress demeure ce truc jusqu’au-boutiste empruntant aux formations qui l’alimentent les traits les plus tordus : le nihilisme, le glauque, l’abrasion, l’écrasement consciencieux et la répétition aliénée. Simplement a-t-on l’impression qu’en entrouvrant légèrement ses persiennes, en invitant la nuance dans l’équation, l’hydre suédoise a encore gagné en pouvoir de nuisance. L’attraction fait désormais jeu égal avec la répulsion et on aime se faire mal avec le disque parce qu’il se montre in fine salement séduisant."


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(leoluce)





4. Gontard - 2029


"Au-delà de ces textes qui visent toujours juste, les instrumentations sont plus soignées qu’à l’accoutumée. Hip-pop synthétique aux arrangements parfois ouvertement cheap, tel pourrait être appréhendé ce 2029 décapant. Gontard préfère citer Nicolas Bouvier plutôt que Christian Von Ehrenfels, adepte de la Gestalt-psychologie, à qui l’on doit la pensée selon laquelle "le tout est supérieur à la somme des parties" et qui aurait pourtant parfaitement résumé ce 2029, composé de classiques instantanés (Kevin Malez, Aigle Royal, Il N’y A Pas De Michel-Ange A Gontard-Sur-Misère, La Fille De La Mairie ou Hôpital Tue) mais surtout sublimé par les résonances de chaque piste avec sa voisine. Le concept-album est tout sauf un prétexte. Nous ne sommes pas encore en 2029, et la dystopie caustique projetée par Gontard contraint l’auditeur à une sévère auto-critique face à un immobilisme général qui se propage chaque jour un peu plus."


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(Elnorton)





5. Caulbearer & Scorched Earth Policy Lab - Resurrection


On reviendra à l’occasion sur le très beau début d’année de Thierry Arnal, que ce soit chez Ohm Resistance avec les soundtracks rétrofuturistes à synthés du très bon Resilient d’Amantra, les radiations corrosives de Hast, la compil finale très shoegaze metal d’un fragment. qui devait pas mal à Jesu ou le dernier monolithe drone particulièrement anxiogène de Scorched Earth Policy Lab. C’est toutefois une autre sortie de ce dernier projet qui a emporté l’adhésion de l’équipe ce mois-ci, collaboration avec les Ricains Caulbearer à laquelle IRM n’est pas tout à fait étranger, un duo aux sorties nettement plus sporadiques dont on espérait tous un nouveau long-format depuis le faramineux Haunts. Sur la même longueur d’ondes (bien néfastes, les ondes), notre dream-team transatlantique de l’oppression dark ambient abrasive signe un trois-titres aux crescendos foisonnants et dérangeants, rongé de l’intérieur par des concoctions d’acide sulfurique et de goules maléfiques sur l’incandescent Breach ou l’insidieux Sanctuary aux murmures schizophrènes, tandis que les 20 minutes de Resurrection déroulent une progression d’harmonies stridentes et dissonantes au potentiel d’effroi certain, tel un Ligeti du caveau. Flippant et captivant.


(Rabbit)


Nos EPs du mois



1. 10th Letter - Ten Toes Down OST


"D’ores et déjà l’une des pièces musicales les plus transcendantes et frustrantes à la fois de ce cru 2019, Ten Toes Down voit Jeremi Johnson mettre en musique sur 10 petites minutes le premier court-métrage de Cedric Umoja, artiste influencé par l’afrofuturisme qui s’y met en scène sur les terres de sa famille dans un rapport mystique et politique aux propriétés des communautés noires américaines. L’occasion pour le Philadelphien, après le cyberpunk labyrinthique du génial Ultra Violence de l’an dernier, de renouer plus ouvertement avec des racines jazz dont il ne s’était jamais vraiment éloigné, les quatre instrumentaux de cette bien trop courte bande-son évoquant tour à tour le maître David Axelrod, le groove rétro-futuriste des Heliocentrics, les visions astrales et déstructurées du précurseur Sun Ra ou encore le souffle libertaire de l’Art Ensemble of Chicago."


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(Rabbit)

2. beric. - Irregular In Shape


Première sortie pour le Néerlandais Tim Roosen, ancien DJ sorti d’une retraite de dix ans pour virer de bord vers les horizons plus feutrés de l’électronica et de l’ambient, Irregular In Shape symbolise un vrai retour en forme du label de Seattle Hush Hush Records, auquel on devait notamment ce chef-d’œuvre de Cock and Swan. Chœurs irréels, beats downtempo et vapeurs oniriques s’y entremêlent dans une atmosphère aussi extatique et planante que mélancolique et introspective, évoquant un croisement entre les premiers albums instrumentaux d’Alias pour le beatmaking aussi cotonneux que subtilement équilibriste (Spectral Types, Slow Irregular Variable) et les textures éthérées, tantôt claires-obscures ou solaires, aux touches évanescentes de cordes pincées ou de claviers d’un Biosphere ou d’un Windy & Carl.


(Rabbit)

3. Chris Weeks - The Golden Mirror


Nouvel EP (36 minutes tout de même), pour l’ultra-productif Britannique dont on finira bien par chroniquer le chef-d’œuvre ambient de ce début d’année, Borders. En attendant, quelques mots sur ces 4 titres dont les harmonies frémissantes aux allures de douce symphonie des astres répondent aux couleurs - jaune solaire et noir cosmos - d’un artwork ouvertement inspiré du télescope spatial James-Webb. Toujours cette fascination pour l’espace donc, que Chris Weeks déroule ici dans un minimalisme synthétique et majestueux, tout en nappes évanescentes et enchanteresses d’aurore boréale faite disque.


(Rabbit)


Les bonus des rédacteurs



- Le choix de Rabbit : Vague Voices - Гробник


"Réunion au sommet – ou disons plutôt des cieux aux tréfonds – chez les Bulgares d’Amek Collective avec cette collaboration signée Cyberian (aka Stefan Bachvarov) et le patron Angel Simitchiev plus connu sous le nom de Mytrip. Un peu à l’image de l’excellent Protective sorti par ce dernier avec Evitceles l’année passée, l’album alterne les cumulus ambient aux nappes organiques (l’ascensionnel Crimson Wings, le sombre et crissant Shadow Archetype), des morceaux rythmiques aux textures plus minimalistes (le syncopé Irregular Warfare, les technoïdes Soul Mirror et Berserk) et des titres où les deux facettes de cette collaboration s’équilibrent idéalement. Quant à Machine Immunity, du haut de ses presque 9 minutes insidieuses et saturées, il évoque l’héritage d’un John Carpenter à son sommet. De quoi vous donner envie on l’espère de découvrir la chair triste et autres architectures désolées de l’électro/ambient d’Europe de l’Est si ça n’était pas déjà fait."


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- Le choix de leoluce : Poutre - Last In First Out


Derrière la très belle pochette - œuvre d’un Conger ! Conger ! - se cache le troisième disque de Poutre, condensé virulent mais pas que de tout l’Art des Arlésiens : au programme, noise-rock très sec et hyper-tendu porté par une rythmique caoutchouteuse et nucléaire à laquelle se greffe une guitare incisive et parfois, le chant. Très court mais semblant néanmoins durer bien plus longtemps, L.I.F.O. amalgame rage, sensibilité et intelligence et délivre huit titres magistraux parfaitement millimétrés s’appuyant sur d’élégantes mélodies que le trio ne saccage jamais. Le chant rare est une pièce-maîtresse de cette architecture à l’équilibre miraculeux qui préserve en permanence sa justesse : un petit peu plus de ci et un peu moins de ça et tout se cassait la gueule. Pas ici, pas avec Poutre, pas avec Last In First Out, jamais, car on trouve là-derrière une forme d’engagement total qui préserve le groupe du moindre accident. Des moments les plus rentre-dedans à ceux plus posés mais pas moins virulents, pas un morceau pour faire retomber la tension et empêcher notre adhésion complète à ce très grand petit album (encore une fois, il est très court).



- Le choix d’Elnorton : Orouni - Partitions


Sans tout à fait atteindre les cimes des excellents Jump Out The Window et Grand Tour, Orouni confirme avec Partitions qu’il fait partie des plus habiles pourvoyeurs de pop bucolique à la française. On pourra penser à Eels sur un The Lives of Elevators qui n’aurait pas dépareillé sur Daisies of the Galaxy, à Liam Finn sur le galopant Aloysius ou même à Beirut lorsque les vents apparaissent sur Nora. Mais puisque nous commençons à être familiers des compositions d’un artiste que nous défendions déjà en 2006, c’est avant tout la cohérence et la singularité de l’univers d’Orouni qui brillent une nouvelle fois sur ce disque un peu plus long en bouche qu’à l’accoutumée, mais duquel une poignée d’écoutes supplémentaires permet d’apprécier à sa juste mesure toute la saveur.




La playlist IRM des albums et EPs d’avril






Les tops des rédacteurs



- Elnorton :

1. Jay-Jay Johanson - Kings Cross
2. Gontard ! - 2029
3. Haythem Mahbouli - Catching Moments In Time
4. Marissa Nadler & Stephen Brodsky - Droneflower
5. The Chemical Brothers - No Geography
6. Orouni - Partitions

- leoluce :

1. Rakta - Falha Comum
2. Orchestra of Constant Distress - Cognitive Dissonance
3. Computerstaat - In the City
4. Poutre - Last In First Out
5. G. Lolli - Chiaroscuro
6. Hyperculte - Massif Occidental

- Rabbit :

1. Odd Nosdam - Mirrors
2. Caulbearer & Scorched Earth Policy Lab - Resurrection
3. Amon Tobin - Fear in a Handful of Dust
4. Vague Voices - Гробник
5. Haunted Days - The Ballroom Tape
6. Gontard - 2029

- Riton :

1. Odd Nosdam - Mirrors
2. Amon Tobin - Fear in a Handful of Dust
3. Mt Went - Sheltering Sky
4. Ilia Gorovitz - The Noble Rot
5. Orchestra of Constant Distress - Cognitive Dissonance
6. Caulbearer & Scorched Earth Policy Lab - Resurrection