Top albums - septembre 2017

"Pâle septembre, entends-tu le glas que je sonne ?" De toute évidence l’auteure de cette chanson n’avait pas connu la fébrilité que l’on ressent à boucler (en retard) le bilan d’un mois tellement surchargé que l’on continue de s’en faire découvrir mutuellement les pépites plus ou moins cachées au sein même de la rédaction d’IRM.

On reviendra ainsi assurément dans nos colonnes sur les albums de The Clientele, Scanner, Lali Puna, James Murray, Vessels, Jay-Jay Johanson, Balmorhea, Giulio Aldinucci, The Nits, Epic Rain ou encore Phil Selway de Radiohead pour ne citer que quelques-uns des plus remarquables laissés-pour-compte de la présente sélection, mais en attendant voici déjà quelques chefs-d’œuvre qui ont eu le mérite de nous mettre plus ou moins d’accord à la rédaction.


Nos albums du mois






1. Godspeed You ! Black Emperor - Luciferian Towers


"Revenu d’entre les morts en 2012 avec ’Allelujah ! Don’t Bend ! Ascend ! après un hiatus d’une décennie pour récidiver trois ans plus tard avec le déjà mémorable Asunder, Sweet And Other Distress, Godspeed You ! Black Emperor semble avoir retrouvé son rythme de croisière.
Luciferian Towers s’ouvre sur les drones lugubres de Undoing A Luciferian Towers, trait d’union avec Asunder, Sweet And Other Distress dont deux des quatre morceaux étaient dominés par ce même type de sonorités électriques traînantes. Ces drones s’étirent donc, forment des boucles, ensorcellent l’auditeur et quand réapparaît le violon survolté de Sophie Trudeau aux trois quarts du titre, à défaut d’explosion, c’est une extase qui se fait ressentir, les cordes répondant aux vents joués par les invités Bonnie Kane et Craig Pederson.
Dans ses communiqués de presse, le groupe nommait son attrait pour "les fausses notes qui explosent" et "les murmures silencieux dirigés vers le ciel". Fam/Famine en est probablement l’exemple le plus éloquent, les accords stridents à la limite de la justesse se confondant dans une élégie bipolaire.
Restent les trois parties d’Anthem For No State, Pt. I, à la fois pierre angulaire et point final de ce long-format. Comme souvent avec les Canadiens, il est question de montées en puissance qui laissent l’auditeur groggy après le maelstrom tout en le maintenant conscient en étirant les compositions. Comme un prédateur qui souhaiterait jouer plus longtemps avec sa proie avant de l’achever définitivement."


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(Elnorton)





2. Chelsea Wolfe - Hiss Spun


"Le songwriting fantomatique et tourmenté de la prêtresse goth rock du label Sargent House qui n’en finit plus d’arroser d’acide l’héritage de Siouxsie atteint des sommets de ferveur magmatique sur ce bouillonnant Hiss Spun, tirant le meilleur de chacun de ses prédécesseurs.
Ici, complaintes vocales à fleur de peau, chants de sirènes pernicieusement éthérés voire même sur Vex le growl furieux d’Aaron Turner se frottent aux dissonances des guitares (les tempétueux Spun et Scrape), aux distorsions d’irrépressibles murs de riffs apocalyptiques (16 Psyche), aux grondements sépulcraux de drones électriques viscéraux (Particle Flux, Welt) et aux martèlements tout aussi implacables si ce n’est carrément épileptiques de la batterie entre deux relatives "éclaircies" doom ambient asphyxiantes et funestes (The Culling). Pour peu de s’y plonger corps et âme, ce sixième opus est peut-être bien le plus magnétique et puissant du lot et lorsque le tempo se fait plus caressant et la voix de Chelsea si triste et romantique qu’on aurait presque envie de l’étreindre pour la réconforter, c’est pour mieux percer nos retranchements et nourrir sa jumelle maléfique à nos jugulaires ensanglantées (Twin Fawn).
Enfin, une sortie de la louve de Sacramento ne serait pas vraiment ce qu’elle est sans une pincée de folk damnée, ici c’est Two Spirit qui fait le boulot, symbolisant au passage la dualité qui sous-tend l’ensemble des chansons du disque sous leurs atours bruyants et de la dame en général, entre séduction souffreteuse et malveillance insidieuse.
A écouter très fort, et dans le noir."


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(Rabbit)





3. Open Mike Eagle - Brick Body Kids Still Daydream


"Les HLM qui ont vu grandir le natif de Chicago (ces fameux "projects" comme on les appelle de l’autre côté de l’Atlantique) retrouvent visage humain sous la plume intello cool du Californien d’adoption, des trombines d’enfants aux yeux pleins de rêves et de geeks de l’alt-rap aux visions bien trop larges pour rester enfermées longtemps entre quatre murs de béton, super-héros ordinaires du tubesque Brick Body Complex animé par un bestiaire qui brandit sa différence telle un étendard. En surplomb des beats trap dégraissés et des basses massives, la douce vélocité du flow smooth et les synthés pastel aux distos oniriques équilibrent les forces, une balance qui penche davantage sur l’ensemble du disque vers la bienveillance des syncopations éthérées ou jazzy, à l’image du tout aussi magique Daydreaming In The Projects, cuivres affables en avant sur le refrain, ou du merveilleusement réconfortant et cristallin 95 Radios, "entre P.M. Dawn et Sun Ra" ponctue l’intéressé.
Le cloud rap est passé par là (le cliquetant Hymnal), le compère Milo du Hellfyre Club également (Breezeway Ritual) ou encore le label Fake Four (TLDR (Smithing) et surtout Happy Wasteland Day) sur lequel l’athlétique rappeur binoclard de L.A. avait sorti 4NML HSPTL en 2012 entre deux collaborations avec Factor. Même les morceaux potentiellement "hymniques" (Legendary Iron Hood / (How Could Anybody) Feel At Home, entame d’album de haute volée) ou "déglingués" (le décalé No Selling (Uncle Butch Pretending It Dont Hurt) où il est question de la jouer cool et tromper la douleur) ne se départissent jamais d’un certain moelleux aérien. Autant dire que Michael Eagle n’avait jamais mieux mérité sa présence chez Mello Music Group, qui n’en finit plus de briller avec une disco impeccable dont Brick Body Kids Still Daydream, sur un versant du catalogue du label de Tucson plus singulier qu’à l’accoutumée, fait déjà figure de futur classique !"


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(Rabbit)





4. From the Mouth of the Sun - Hymn Binding


"S’attaquer à la chronique d’un disque de From the Mouth of the Sun, c’est prendre le risque de rendre une copie hors-sujet. Les arrangements du duo sont en effet tellement denses et viennent puiser si profond dans l’âme de l’auditeur qu’aucun mot ne saurait rendre grâce à cette ambition qui n’a pourtant d’égale que la tendance des musiciens à réprimer toute forme d’orgueil.
C’est donc presque malgré eux que Dag Rosenqvist et Aaron Martin font preuve d’une telle maîtrise. Là où certains druides du classique ambient peinent à se renouveler, From the Mouth of the Sun convoque aussi bien des drones étirés soutenus par des granulations et quelques accords clairs au piano installant une résilience mélancolique (Grace) que de puissantes réminiscences de névroses extatiques traduites par les cordes désarmantes de A Breath to Retrieve Your Body ou l’alliage d’une ballade ambient cristalline où piano et cordes frottées (voire tirées) se répondent dans une osmose apaisante (The First To Forgive).
Sur Hymn Binding, l’ancien Jasper TX et l’auteur de la BO de Remember Me ont travaillé à partir de sources analogiques. Violoncelle, guitares, piano, orgue et même banjo constituent les matières premières de l’Américain et du Suédois, lesquels les ont ensuite sublimées en studio avec la complicité de Taylor Deupree qui a assuré le mastering du disque. Point d’orgue de celui-ci, il est difficile de résister à la tentation d’évoquer Roads, dont les froides variations de cordes jaillissant entre deux tintements suivant un débit funeste rappellent le Silver Mt. Zion de la période He Has Left Us Alone."


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(Elnorton)





5. Thavius Beck - Technol O​.​G.


"Renaissance pour le beatmaker de Los Angeles, Technol O.G. monte encore d’un degré dans ce futurisme que Dialogue continue d’incarner pour tout un versant électronique et abstrait du hip-hop d’aujourd’hui, sûrement inspiré par la vitalité de Brooklyn, New-York où il s’est récemment installé.
D’entrée, après une intro qui en guise de profession de foi semble déconstruire et réassembler l’héritage de Public Enemy, pionniers de l’expérimentation sonique dans le hip-hop, les deux gros morceaux que sont Spectacular Vernacular et Further From The Truth donnent le ton : hypnotisme techno-dub-hop deep et dark quelque part entre Massive Attack et Captain Murphy pour le premier, rouleau-compresseur glitch maximaliste et dystopique pour le second (remixé en bonus par son héritier du label Brainfeeder, Mono/Poly), difficile de se remettre de ces claques initiales et de toute façon Thavius Beck ne nous en laissera pas le temps. De missives ultra-condensées où des piles d’échantillonnages post-modernes, de vocalises pitchées et d’effets psychotropes entrent en collision à vitesse grand V (Vices, Word. Sound. Power.) en uppercuts rappés à toute allure sur fond de polyrythmies déchaînées (A Day In The Life..., How Many ???) ou de groove synthétique asphyxiant (Shots Fired, Suckas & Sycophants, Sh !t’s Not G), Technol O.G. symbolise la déshumanisation paradoxalement grisante des mégapoles modernes et des sociétés virtuelles où tout va trop vite pour vraiment accrocher la rétine et encore moins les neurones, une Catharsis en somme comme en atteste le morceau du même nom en fin de disque, le plus soulful et décontracté du lot malgré le flow toujours aussi véloce du taulier."


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(Rabbit)





6. Dälek - Endangered Philosophies


"Pour être honnête, si la rage parfois difficilement contenue d’un Absence reste, treize ans plus tard, intacte au fond de nos boîtes crâniennes, le clivant Asphalt of Eden - qui recueillait néanmoins son lot d’admirateurs - ressemblait surtout à un exercice de style immersif tenant une place singulière dans la discographie d’Américains qui nous avaient habitués à des ambiances plus percutantes et moins atmosphériques.
Soyons clairs, Endangered Philosophies ne ressuscite pas tout à fait le Dälek du mitan de la décennie précédente, mais il constitue son disque le plus abouti depuis Abandoned Language. L’univers est toujours aussi sombre, les productions denses et soignées, et le flow de MC Dälek n’a rien perdu de sa verve ni de son à propos.
Les onze titres composant ce disque s’articulent parfaitement, et donnent un caractère atmosphérique à un ensemble pourtant rythmé. Les productions lorgnant sur l’abstract du bouleversant The Son Of Immigrant ou de Nothing Stays Permanent constituent des écrins de choix pour un Will Brooks qui retrouve même, sur A Collective Cancelled Thought un terrain de jeu aussi saturé, sombre et dystopique qu’à l’époque des prémices du projet et de Negro Necro Nekros."


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(Elnorton)





7. Blockhead - Funeral Balloons


"Sans toutefois atteindre les sommets de The Music Scene, cette dernière production constitue probablement ce que Blockhead a fait de mieux au cours de la décennie actuelle. Que les hésitations de Bells And Whistles paraissent éloignées lorsque l’artiste s’autorise à franchir toutes les frontières, du trip-hop à l’électronique en passant par le rock, le jazz ou même la soul.
C’est surtout un déluge d’émotions diverses qui envahit l’auditeur, du sentiment de plénitude qui se dégage de la reprise de guitare aux deux tiers de l’introductif The Chuckles, au spleen mélanco-dramatique d’un Funeral Balloons final dominé par des arrangements de cordes déchirants qui évitent toutefois d’être larmoyants. Blockhead parvient toujours à tuer dans l’œuf l’idée d’un excès d’emphase en remettant les rythmiques tranchantes à l’honneur lorsque l’emphase tend à être trop conséquente.
L’électronique cosmico-massive d’un MacGruber aux faux-airs de Sixtoo, la ballade urbaine touche-à-tout Escape From NY ou la polyrythmie de l’abstractif Festival Paramedics sont autant de réussite tandis que l’audace de Blockhead apparaît également sur les relents rockabilly d’un Cop Rock évoluant vers un hybride de big beat tribal pour mieux revenir, de manière circulaire, aux samples vocaux largement inspirés par Elvis Presley.
Sans limite et sans frontière, l’ancien producteur d’Aesop Rock n’est désormais jamais aussi efficace que lorsqu’il travaille seul, et ce Funeral Balloons hanté et tout en tension mais jamais démuni de ses trouvailles abstract addictives constitue un album de choix dans une discographie pourtant déjà tout à fait recommandable."


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(Elnorton)





8. Leyland Kirby - We, so tired of all the darkness in our lives


"Difficile de suivre la totalité des sorties de l’Anglais tant il multiplie les pseudonymes. V/Vm, The Caretaker ou The Stranger, pour évoquer les plus célèbres, ne constituent qu’une partie non-exhaustive de ses alias.
Ce long-format a été diffusé gratuitement selon une certaine urgence. Ou un besoin qui n’aurait su être contrarié, Leyland Kirby expliquant : "S’il n’était pas publié maintenant, ce travail constituerait pour de longues années un amas de poussière numérique supplémentaire, ce qui me semble dommage".
Celui qui vit désormais à Cracovie centre son propos autour du piano, d’une batterie et d’une multitude d’effets électroniques dont il est coutumier. D’une ambient onirique au piano cristallin (Tinseltown) aux synthés dystopiques sur fond de beats acérés d’un Positive Outcome dont le titre n’est qu’assez peu fidèle à son contenu, en passant par l’austérité menaçante d’un piano inquiétant (Clickbait), ce long-format souffle le chaud et le froid, navigue entre une clarté ample et des nappes oppressantes et inquiétantes.
La force de ces compositions réside dans la largeur du panel émotionnel qu’elles peuvent transmettre. Plutôt sombres malgré quelques moments plus éthérés, ces titres peuvent en effet véhiculer un certain apaisement difficilement appréciable après une écoute distraite."


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(Elnorton)



Notre EP du mois




Zoën - Septembre


"Hasard de nos streamings du jour que l’on vous concocte parfois avec quelques semaines voire quelques mois d’avance, au moment où l’on vous touchait finalement un mot du très chouette Le Nouveau Mexique culminant sur Partir Un Peu et son carnet de voyage introspectif, sortait justement ce nouvel EP de Raphaël Zoën. Sur Septembre, le Tourangeau renoue avec ses racines hip-hop, mettant de côté ses influences chansonnières à la Daho pour se concentrer sur des instrus abstract dont l’élégance et la mélancolie se passent de mots, quelque part entre le DJ Shadow kaléidoscopique et mélodique de The Private Press et le Doctor Flake des débuts.
Les sonorités acoustiques ont ainsi la part belle sur ces 7 morceaux aux beats aériens, du superbe Avuelo rappelant les grandes heures d’Alias chez Anticon dans la première moitié des 00s à la sérénade western d’un Rizz dont les vents, clavecin et chœurs féminins évoquent volontiers Morricone, en passant par Black Turtle et ses samples qui sentent bon la soul et le psychédélisme 60s ou le très planant Beautyfool aux claviers réminiscents de la synth pop des sorties précédentes du Français. Quant au morceau-titre jazzy, seule incursion rappée au milieu de cette collection d’instrus aux incursions vocales uniquement échantillonnées, il parvient à s’intégrer à l’ensemble en teintant son propos engagé d’une nostalgie automnale plus délicate."


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(Rabbit)


Le choix des rédacteurs



- Elnorton :

1. Godspeed You ! Black Emperor - Luciferian Towers
2. The National - Sleep Well Beast
3. Blockhead - Funeral Balloons
4. F Ingers - Awkwardly Blissing Out
5. Girls In Hawaii - Nocturne

- Lloyd_cf  :

1. Madeline Kenney - Night Night at the First Landing
2. The Clientele - Music for the Age of Miracles
3. Chelsea Wolfe - Hiss Spun
4. Mogwai - Every Country’s Sun
5. Scanner - The Great Crater

- Rabbit  :

1. Thavius Beck - Technol O​.​G.
2. Godspeed You ! Black Emperor - Luciferian Towers
3. Chelsea Wolfe - Hiss Spun
4. From the Mouth of the Sun - Hymn Binding
5. Open Mike Eagle - Brick Body Kids Still Daydream

- Riton :

1. From the Mouth of the Sun - Hymn Binding
2. Wolves in the Throne Room - Thrice Woven
3. Open Mike Eagle - Brick Body Kids Still Daydream
4. Chelsea Wolfe - Hiss Spun
5. Godspeed You ! Black Emperor - Luciferian Towers

- Spoutnik :

1. Open Mike Eagle - Brick Body Kids Still Daydream
2. Asbest The Moor King - Mind Of A Few
3. Thavius Beck - Technol O​.​G.
4. Nolan The Ninja - YEN
5. Dälek - Endangered Philosophies

- Spydermonkey :

1. Godspeed You ! Black Emperor - Luciferian Towers
2. Leyland Kirby - We, so tired of all the darkness in our lives
3. Epic Rain - Dream Sequences
4. Akira Kosemura - In The Dark Woods
5. Chelsea Wolfe - Hiss Spun



Et s’il vous en faut encore, n’oubliez pas notre compil du mois, IRMxTP Part VIII - The Wood Holds Many Spirits (My Log Saw Something That Night) dédiée aux sombres mystères de la forêt dans Twin Peaks avec 13 morceaux exclusifs dans une veine atmosphérique aux confins du drone, de l’ambient, du néo-classique et de l’électronique, à laquelle vient de succéder un IRMxTP Part IX - The Gifted and the Damned (Great Players Are Either Far or Few) faisant honneur au hip-hop underground qu’on aime, le tout en libre téléchargement via notre page Bandcamp.