L’oeil sur 2025 - 150 albums : #105 à #91 (par Rabbit)

Comme souvent avec mes classements annuels pour IRM, le format s’est imposé de lui-même : 150 albums car me limiter davantage devenait trop frustrant, et sans classification au regard des difficultés ressenties l’an dernier à devoir ranger dans des cases, toutes approximatives et malléables qu’elles puissent être, des sorties souvent inclassables. Je suis donc allé au plus simple : mes albums préférés de l’année, avec pour seule règle de n’en mentionner qu’un par artiste, à moins qu’il ne s’agisse de différents projets ou collaborations... et l’espoir cette fois encore de voir quelques-uns de ces coups de coeur frapper avec la même intensité l’un ou l’autre de nos lecteurs.





105. Bruno Bernard - City Diaries

"Après l’EP Biome et son travail presque naturaliste de recontextualisation de field recordings en une sorte d’écosystème sonore imaginaire, c’est avec ce City Diaries que le Chalonnais Bruno Bernard, passé du label montréalais Musique Moléculaire au giron de l’écurie allemande Adventurous Music, donne véritablement suite à son superbe lisi​è​res de l’an dernier, poussant ici son dark ambient fantasmagorique et texturé dans des retranchements d’autant plus rêches et malaisants. Un bijou de sound design évocateur et ténébreux, dont les titres des morceaux manient justement à plus d’une reprise le champ lexical du crépuscule."

< avis initialement publié ici >



104. KHΛOMΛИ & Innocent But Guilty - EVOLUXTINCTION

Beaucoup de réussites cette année pour le Français KHΛOMΛИ, pourvoyeur en solo de soundcapes radicaux sur lequel on reviendra par deux fois dans ce bilan (via sa meilleure sortie de l’année et une autre collaboration tout aussi remarquable), et forcément cette rencontre avec le Bordelais Innocent But Guilty devait en faire partie, davantage à l’équilibre comme on pouvait s’y attendre entre dystopies post-apocalyptiques aux beats bruts de décoffrage flirtant avec l’indus (Dernière lune, Nota Bene) et dimension aérienne, voire même presque éthérée sur l’introductif Premier soleil ou l’ascentionnel Décollage immédiat. EVOLUXTINCTION va jusqu’à convoquer un trip-hop du côté obscur (Hypoercondriaque, ou ce morceau-titre en suspension), au point de pouvoir parler d’album accessible au regard de ce à quoi nous habitue l’auteur du récent IONOIZΛ, ici assez peu dissonant et ouvert en dépit d’un artwork mortuaire aux improbables percées de lumière de son compère IBG auquel il avait souvent offert par le passé des remixes sans concession.



103. Dictaphone - Unstable

Toujours aussi insaisissable que ce soit sous l’alias Cummi Flu, sous son véritable patronyme ou aux manettes de Dictaphone, en compagnie de Roger Döring (saxo, clarinette) et de la demi-douzaine d’instrumentistes et de vocalistes aux interventions susurrées présents sur ce 6e opus du projet désormais défendu par Denovali, l’Allemand Oliver Doerell n’a rien perdu de son talent pour les atmosphères intrigantes au souffle mystique, télescopant comme à l’accoutumée beats impressionnistes, jazz capiteux et influences moyen-orientales sur cet Unstable d’une réelle finesse texturée par-delà son économie de moyens. Peut-être bien le plus bel album de Dictaphone depuis l’indépassable Poems From A Rooftop.



102. Dayin - Meditations on Forgetting

"Le projet ambient éthéré du Bulgare Angel Simitchiev (de Mytrip, Vague Voices et patron du label et collectif Amek) en est déjà à son cinquième long format en une demi-douzaine d’années, le second pour ses compatriotes de l’excellente écurie expé Mahorka. Que dire donc de plus ou de différent sur cet univers dont les principales caractéristiques perdurent d’une sortie à l’autre : nappes vaporeuses aux textures délicatement abrasives, reverbs oniriques et sensation d’éternité ? Eh bien finalement pas mal de choses, puisque ce Meditations on Forgetting met davantage encore la pédale douce sur les guitares déjà discrètes pour se concentrer sur des harmonies de synthés épurées évoquant presque par moments un Vangelis à son meilleur (Meditations on Forgetting), les textures même sur l’élégiaque Reaching for Silence ou sur un Hope Hurts légèrement plus opaque s’avérant pour l’essentiel moins denses, moins rêches, plus impalpables encore que sur les premiers opus du projet."

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101. Audoynaud - Hyperboréen

Je ne m’étendrai pas de trop sur cet album de la fratrie bourguignonne car l’ami Ben en a déjà très bien parlé (cf. ci-dessous), si ce n’est pour témoigner de la belle impression que m’a faite cet Hyperboréen, et ce en dépit de passages folk quasi médiévaux chantés en Français, qui sur le papier n’avaient rien pour m’emballer. Il faut dire que chez le duo, les chansons en question finissent par se muer en crescendos drone sépulcraux (Iris) ou par laisser place à des chapes de guitares ou de cordes orageuses tantôt majestueuses (Nord) ou larsenisantes et saturées (Rivière), vectrices d’une menace larvée (Silhouette), le disque terminant même son lent et intense déploiement sur 10 minutes de dark ambient ésotérique lardé de hautbois dissonant et d’échos caverneux (Granite). Fameux !

< lire la chronique de Ben >



100. Divide and Dissolve - Insatiable

"Le décolonialisme instrumental de la musicienne basée à Melbourne continue de plus belle, avec 10 titres faisant référence (ne serait-ce que par leurs atmosphères de déréliction, le spoken word étant ici aux abonnés absents) aux dépossessions subies par les peuples opprimés. Comme sur tous ses prédécesseurs, une dimension presque orchestrale aux motifs fantomatiques affleure ici et là, non seulement du fait de ce sax alto élégiaque qui hante régulièrement la musique de Divide and Dissolve (cf. ici les ouvertures lancinantes de Monolithic et Provenance, l’affligé Loneliness avec son orgue gothique en contrepoint ou encore le malaisant Death Cult) mais aussi de patterns de voix déliquescents perdus dans le lointain des basses fréquences (Grief) ou doublés de pulsations abstraites (Hegemonic). Et si par ailleurs Withholding se fait un peu plus dynamique, marchant sur le sentier de la guerre avec ses fûts presque tribaux aux accents belliqueux, c’est bien la lenteur consommée des saturations de guitare porteuses d’une menace plus sourde qui constitue toujours l’essentiel de l’univers de Takiaya Reed, parfois jusqu’à l’épure la plus aride (Disintegrate et sa disto crépusculaire) mais toujours avec une intensité saisissante, surtout à ce degré de minimalisme."

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99. Moki Mcfly - Divin(e)tion : Music in the key of zero

Batteur et leader, sur le même label Mahorka, du combo jazz psyché philippin Luneta Freedom Jazz Collective, Moki Mcfly manie le sampleur avec tout autant de talent comme en témoignent les irrésistibles vignettes de ce Divin(e)tion : Music in the key of zero qui foisonne d’idées sur pas moins de 26 titres. Oeuvrant dans un abstract jazzy aux collages syncopés et aux sonorités plus ou moins lo-fi que ne renieraient pas un Cut Chemist ou même le Damu the Fudgemunk d’il y a quelques années pour le feeling organique des drums, l’album oscille entre influences boom bap marquées, manipulations texturées, déstructurations discrètes et télescopages malicieux. Une réussite particulièrement ludique, que les amateurs de hip-hop instru hors des clous feraient bien d’écumer sans modération.



98. Thor & Friends - Heathen Spirituals

Accompagné encore une fois d’un véritable petit ensemble d’une vingtaine de musiciens et vocalistes, le batteur des Swans se rapproche sur ces trois longs titres de l’esprit des performances scéniques de la petite troupe, entre musique contemporaine répétitive et drone orchestral. Mystique et libertaire, l’univers de l’Américain emprunte autant à Steve Reich (les polyrythmies boisées d’Anne Sexton’s Glasses) qu’à Jessica Moss (les épaisses nappes de cordes aussi capiteuses qu’orageuses de Heathen Spiritual) ou même aux soundtracks carillonnants et faussement solennels d’un Carter Burwell (Christmas Eve at the Wizard’s House), pour ne finalement ressembler qu’à lui-même, loin de l’emphase extravertie que pourrait laisser supposer la pochette théâtrale de ce cinquième opus mais plutôt dans un lyrisme tout en retenue aux circonvolutions aventureuses, que le bonhomme dirige de main de maître mais avec une appréciable modestie.



97. Tenzoe - Eremition

C’est par l’intermédiaire des feat. des excellents Boxguts, Nuse Tyrant, Menes The Pharoah et surtout 7’Rinth (en plus de son duo Wakizashi Jabberwockyz), producteur par ailleurs d’une paire de morceaux en compagnie notamment du prolifique beatmaker pennsylvanien Lord Gamma, que l’on a découvert cette année le mystérieux Tenzoe, probablement américain à en juger par son flow bien que sa page Bandcamp le présente comme étant Japonais. Il faut dire qu’il partage avec le susnommé 7’Rinth, outre un certain goût pour les textures gondolées qui sentent bon la SP-404, cet attrait que l’on connaît pour les samples aux sonorités nippones, ici dans un contexte tantôt mélancolique ou inquiétant mais toujours relativement feutré faisant la part belle aux cordes traditionnelles, aux choeurs pitchés, au piano et autres orchestrations tirées de vieux films ou de chansons rétro. C’est beau, vibrant et inspiré, assurément l’une des révélations hip-hop de ce cru 2025.



96. F.S.Blumm & Nils Frahm - Handling

"5e collaboration long format en 15 ans pour les Allemands F.S.Blumm et Nils Frahm, le doux et clair-obscur Handling est parti pour nous faire oublier les interminables transes kosmische/dub feutrées pour hipsters neurasthéniques dans lesquelles se perd régulièrement le pianiste berlinois depuis Spaces. De retour à ses premières amours modern classical avec l’épuré Old Friends New Friends en 2021, l’auteur du mémorable Felt persiste ici dans le less is more mais en bifurquant vers une ambient aux accents jazz diffus (la version norvégienne, engourdie par le froid, chère à des labels tels que Rune Grammofon, Jazzland ou Hubro), au gré de trois longs titres semi-improvisés où ses piano et célesta impressionnistes aux réverbs scintillantes côtoient dans un océan de silence nappes évanescentes manipulées jusqu’à l’abstraction, affleurements de guitare électrique sonnant parfois comme de la contrebasse, percussions cristallines (glockenspiel notamment) et idiophones ballotés par le vent."

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95. Apparitions - Volcanic Reality

"Auteurs en 2022 d’un premier album remarqué, Eyes Like Predatory Wealth, les Texans Apparitions - soit Andrew Dugas à la guitare, Igor Imbu aux synthés modulaires et Grant Martin à la batterie - reviennent aujourd’hui avec une suite enregistrée non plus par échanges de fichiers à distance mais en prise directe. Toujours entre doom ambient et roulements de fûts en liberté, le bien-nommé Volcanic Reality est à a fois plus rêche et saturé dans ses textures électriques et plus véhément dans ses rythmiques. Un monolithe seulement interrompu par deux minutes d’interlude éthéré, et dont l’artwork impressionniste et abstrait peint en nuances de gris par Faith Coloccia (Mamiffer) n’est pas sans évoquer une certaine filiation avec feu Hydra Head Records, les liner notes avançant d’ailleurs une comparaison avec les massifs Sumac d’Aaron Turner qui ne rend pas tout à fait justice au projet tant la dimension organique, à la fois tribale et lancinante de ce 2e opus en magnifie la fébrilité et l’intensité."

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94. Goldmund - Layers of Afternoon

"Avec Keith Kenniff, Américain aux multiples projets plus ou moins pop (Mint Julep) ou planants (Helios), on est en plein dans l’instantané mélodique aux accents romantiques, et si The Malady Of Elegance (2008) demeure hors de portée dans sa discographie, ce neuvième long format en 20 ans (le 7e pour le label Western Vinyl) fait tout à fait honneur à son très beau prédécesseur The Time It Takes (2020) avec le même genre de compos aériennes et épurées. Un certain Scott Moore remplace l’excellent Christopher Tignor au violon, qui gagne ici en importance et pousse davantage vers un spleen prégnant aux inflexions tragiques réminiscent de l’Australien Luke Howard ou des grands compositeurs de musiques de films japonais tels que le regretté Ryuichi Sakamoto ou Joe Hisaishi, sur fond de piano sensible et de discrètes nappes de synthés vaporeux, en retrait quant à elles par rapport à l’opus précédent."

< avis initialement publié ici >



93. Juana Molina - DOGA

Elle est toujours plus ou moins là où on l’attend, la musicienne argentine, avec ses transes pop électro-acoustiques aux vocalises hypnotiques, à l’exception de ses artworks à la bizarrerie sans cesse renouvelée... mais il faut bien avouer que depuis le déjà fameux Segundo qui fêtait cette année le quart de siècle, l’excellence est toujours au rendez-vous, ici dans une veine moins urgente et arrangée que celle des excellents Halo et Wed 21, qui évoque peut-être davantage le minimalisme immersif et classieux dUn Día, album de la "consécration" internationale si l’on peut appeler ainsi le succès d’estime que cette "Björk sud-américaine", également actrice TV et véritable star dans son pays, n’a malheureusement jamais réussi à transformer en Europe en succès commercial. Mais dans le contexte de médiocrité actuel où l’on érige des Rosalia et autres cash machines racoleuses en "génies de l’expérimentation" (sic) pour quelques orchestrations pompières jetées dans la marmite électro-pop un peu n’importe comment, qui s’en étonnera ?



92. Giallo Point x Wino Willy - The Crash Test

On en causait dans ce podcast en tout début d’année, l’association du beatmaker britannique courtisé par tout le rap indé d’outre-Atlantique et de l’Américain qui fut notamment metteur en son pour Daniel Son, Pro Dillinger ou Mickey Diamond (pour ne pas citer le surcoté Mach-Hommy qui s’avère qui plus est être un véritable enfoiré, voleur d’instrus aux producteurs qu’il engage sans les payer, entre autres joyeusetés) a largement porté ses fruits sur The Crash Test, collection d’instrumentaux sur le thème de la course automobile. Un album aux basses étouffées au cut-off et pour lequel économie de moyens rime avec classe et inspiration, que l’on soit dans une veine abstract et inquiétante (Autodromo Nazionale di Monza, Zandvoort, Snake Oiler), baroque aux orchestrations cinématographiques (Silverstone), jazzy et onirique (Circuit Gilles Villeneuve, La Turbie), rétrofuturiste (Racer X vs Lewis Hamilton), soulful (Suzuka Circuit, Willy T Ribbs) ou calquée sur la tension menaçante des films d’exploitation 70s (le bien-nommé Bullitt vs Rowing aux allures de Lalo Schifrin, ou encore Max Verstappe).



91. Theresa Wong - Journey to the Cave of Guanyin

"Pour sa 2e sortie chez Room40 (après Harbors en 2020, au côté d’Ellen Fullman), la Californienne née à New York choisit de se cantonner au violoncelle solo, et de rendre hommage au folklore du pays de ses origines, la Chine, plus particulièrement celui qui gravite autour de Guanyin, déesse associée à la compassion, via le récit imaginaire d’un marin (dont Guanyin est la sainte patronne) abordant le rivage en fuyant la tempête et s’enfonçant dans une caverne pour aller trouver réconfort dans ses prières auprès de la divinité. Accordé sur une relativement basse fréquence, l’instrument est démultiplié en harmonies résonant comme des drones autour de motifs répétitifs et hypnotiques. Malgré ce dispositif que l’on pourrait s’imaginer limité, l’album impressionne par sa tension presque cinématographique, et une paire de pas de côté qui en démultiplient l’ampleur, des percussions de cordes sourdes et presque anxiogènes du bien-nommé A Ritual Begins jouant sur les silences entre les frappes, aux frottements espacés d’un Inner Chamber qui procure la même sensation de menace larvée, celle probablement des éléments à l’extérieur de la grotte, symbole des heurts de l’existence dont la musicienne tente de s’isoler dans la pénombre de ce cocon acoustique analgésique à défaut d’être rassurant."

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Articles - 22.12.2025 par RabbitInYourHeadlights
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