Animal Collective - Merriweather Post Pavilion
A Indie Rock Mag la hype on s’en fout un peu, mais comme on n’est pas toujours d’accord et que deux avis valent mieux qu’un surtout quand l’attente autour d’un album et le peu de recul des médias à l’égard de ses auteurs tendent à gommer tout esprit critique, la loi du pour et contre s’est logiquement imposée dans le cas de ce Merriweather Post Pavilion. Aucun des rédacteurs n’a lu la chronique de l’autre avant d’écrire la sienne propre, pas question ici de guerre ouverte où chacun se plairait à démonter sans objectivité les arguments de l’autre mais simplement de deux avis que l’on espère indépendants de toute influence. Au lecteur de juger, d’écouter et de se faire sa propre opinion. Et comme toujours par chez nous, priorité au "pour"...
1. In The Flowers
2. My Girls
3. Also Frightened
4. Summertime Clothes
5. Daily Routine
6. Bluish
7. Guys Eyes
8. Taste
9. Lion In A Coma
10. No More Runnin
11. Brothersport
Pour (Casablancas) :
Et revoilà les branleurs psychédéliques de Brooklyn ! On ne sait trop comment, leur mélange - de moins en moins bricolo - de pop et d’électro, ode au bordel à peine organisé a - de plus en plus - été plébiscité par médias et public. Sort Merriweather Post Pavilion - en pleine tornade médiatique un brin disproportionnée - moins foutraque et détraqué mais toujours aussi foisonnant. Un disque pop ? Pas exactement.
Une demi-décennie passée sur la route, ville après ville, amassant des foules de plus en plus compactes, road-trip marathon que l’on a moins de mal à imaginer avec des avatars de Syd Barett ou Iggy Pop qu’une congrégation de bonnes sœurs dans les rôles principaux. On se représente le tout comme un carnage avec ses légendes et ses anecdotes - le genre de celles que Lester Bangs et Bukowski se plaisaient, jadis, à raconter.
D’entrée ils étaient géniaux car affublés de patronymes aussi fabuleux que stupides. Dans les rôles des destructeurs d’espace physique et musical Avey Tare, Panda Bear, Deakin et Geologist, tous plus ou moins touche-à-tout et tour à tour, hurleur en chef, frappeur de fût d’élite et sauteur-de-partout première classe. Entre ces concerts en forme de rite d’initiation qui vous transpercent les tympans, les quatre joyeux compères prennent le temps de balancer des disques immenses à intervalles métronomiques - Here Comes The Indian (2003) ; Sung Tongs (2004) ; Feels (2005) et Strawberry Jam (2007) sans compter une poignée d’EPs phénoménaux dont People (2006) et Water Curses (2008) et divers projets solo, notamment les passionnants disques de Panda Bear dont le dernier en date, le bluffant et hypnotique Person Pitch.
Explorateurs sonores insatiables, les membres d’Animal Collective forment avec Merriweather Post Pavilion ce qui résonne comme leur œuvre la plus cohérente et aboutie. Autrefois dynamiteurs bricolo-rigolo des barrières sonores et défenseurs d’un véritable melting-pot musical un peu dingue où le désordre était de mise mais créait miraculeusement une continuité, le combo de Brooklyn est aujourd’hui devenu fréquentable. Car devenus entre-temps icônes, tout à tour chéris des milieux underground et des bobos, les membres d’Animal Collective ont peu à peu assagi leur musique. Est-ce pour autant le succès qui a "édulcoré" l’œuvre des américains ?
Rien n’est moins sûr. Ce disque est exactement ce que l’on attendait du combo de Brooklyn dans la mesure où cette forme de pop futuriste et frappée est encore la seule voie qui restait au quatuor pour renouveler sa musique. Pourtant, Merriweather Post Pavilion n’est pas exactement un disque pop. Derrière sa structure faussement "conventionnelle" - 11 titres tenant sur une cinquantaine de minutes - Animal Collective s’offre un disque que personne d’autre n’aurait pu réaliser et élimine de fait les quelques longueurs qui pénalisaient quelque peu ses réalisations précédentes.
C’est d’ailleurs peut-être pour cela que le groupe a toujours atteint le meilleur de lui-même sur ses EPs suivant maintenant chacun de leurs disques. Le changement de cap notable du groupe, qui n’a en effet jamais été aussi accessible depuis Feels, était d’ailleurs déjà amorcé sur le dernier d’entre eux, le génialissime Water Curses - couronné meilleur EP de 2008 dans ces pages - qui annonçait la couleur à venir sur cette nouvelle réalisation. Une concision incroyable régnait le long des 15 minutes parfaites de ce 4-titres emmené par un épatant single éponyme - grand tube pop-psyché de ces dernières années. Tellement synthétique, Water Curses annonçait de manière prophétique l’immensité de l’œuvre à venir en même temps qu’il en dressait les limites.
Aussi génial que soit ce Merriweather Post Pavilion, il faut tout de même noter que l’agitation des médias à son égard est au mieux surdimensionnée voir douteuse - et certainement influencée par les habiles teasers qu’a dispensé le groupe ces derniers mois. Premièrement, il convient de souligner que ce disque n’est pas le chef-d’œuvre absolu annoncé partout, sa cohérence et son intelligence ne prennent forme que quand on connait le reste des œuvres du groupe et il est sain, avant même de poser la galette sur la platine, de s’interroger sur les réelles raisons de ce battage autour d’un groupe qui, lui, ne semble pas s’en soucier.
Preuve en est ce packaging étonnant, emmené par cette pochette épileptique et fascinante, et où le nom du groupe, celui de la maison de disque ou le tracklisting n’apparaissent nulle part que ce soit au dos ou sur la face. Il faut ouvrir les jolis volets dépliants du disque pour découvrir les illustrations centrales, sobres et agréables, ainsi que toutes les précieuses informations. Sans aucun livret ni sucre ajouté. Joli pied de nez aux distributeurs et à la maison de disque.
Que le fan de la première heure soit donc rassuré, Animal Collective n’a pas encore vendu son âme au diable. De toute façon, le disque, bien étrangement accessible, n’en reste pas moins pourvu de son lot de bizarreries dont on a pas fini de faire le tour. Cette pochette-qui-bouge-t’as-vu-c’est-trop-bien n’est que la parfaite transcription imagée de ce voyage mouvant et psychédélique dont on respire les vapeurs enivrantes.
Sur un tempo endiablé, Merriweather Post Pavilion ne laisse aucun répit et fascine du premier au dernier morceau, grâce à une savante programmation des morceaux. D’instinct, on pense l’album articulé autour de ses extrémités avec deux tubes au retentissement énorme, In The Flowers et son final dantesque qui forme la meilleure minute jamais composée par le quatuor, ainsi que Brothersport - quoique moins impressionnant dans sa relecture studio que dans les versions live qui trainent sur le net - avec ses percussions tribales et ses lignes de voix en choeur qui s’entremêlent et se noient. Ces deux titres se trouvent être des portes d’entrée idéales dans le "disque pop d’Animal Collective" et réfutent par la même occasion l’hypothèse selon laquelle Merriweather... serait un disque pop.
Et ce disque n’est pas plus pop que parfait. On parlait plus haut des limites de Merriweather... qui sont en fait les mêmes que les quelques réserves que l’on avait déjà émises sur Water Curses, Quand il s’essaie à des morceaux plus aériens, le groupe abuse un peu du mélange des voix, patauge même parfois et traine souvent en longueur. Parfaites illustrations de ces déboires, Also Frightened, trop mou du genou pour faire mouche et surtout un No More Runnin interminable, Animal Collective signe là ses deux plus mauvais morceaux depuis bien longtemps. Un des titres de l’album s’appelle Daily Routine et on a l’impression que le groupe de Brooklyn paresse parfois en route le long d’un album qui compense heureusement avec ses moments de grâce - Summertime Clothes, Brothersport, My Girls, In The Flowers ou encore Lion In A Coma - habilement placés entre ces quelques trous d’air.
Car Animal Collective joue sur les tempos et les ambiances, entre furie incendiaire et rêves drogués, et nous surprend toujours, traqué dans un virage alors que l’on pensait être sur un chemin balisé, en témoigne la guitare sursaturée qui introduit l’immense Summertime Clothes - qui fait bien moins référence à My Bloody Valentine qu’écho au For Reverend Green de Strawberry Jam.
Le groupe a arrêté maintenant les collages de samples dignes d’un coloriage d’enfant de CP qui donnaient ce côté délicieusement amateur et bordélique à leur musique. Ici, tout est plus réfléchi, si bien que le désordre est en fait extrêmement rangé, chaque ligne de basse est savamment pensée et Panda Bear a visiblement appris à suivre un tempo avec sa batterie. D’où cette impression d’avoir affaire à un disque en apparence plus poli et sage. Cette construction est en fait la démonstration qu’Animal Collective maitrise aujourd’hui parfaitement son art, arrive à le sublimer en le contrôlant totalement, un peu comme l’a fait, dans un tout autre registre, Radiohead avec In Rainbows.
Merriweather... n’est donc pas l’œuvre révolutionnaire que les médias se plaisent à nous vendre depuis quelques mois et ne fait rien d’autre que s’inscrire dans la parfaite lignée des précédentes réalisations du groupe. C’est la principale force de la discographie du groupe, qui commence à devenir franchement impressionnante. Chaque nouvel album est pensé comme une réponse aux autres et irréalisable sans le travail effectué sur l’effort précédent si bien que l’ensemble souffrirait terriblement de l’amputation de l’un de ses membres. Dans ce besoin d’exploration constant, Animal Collective s’est donc prêté avec brio au jeu de la rénovation de la pop avec ce disque hybride et finalement inclassable. Paradoxe délicieux, plus le dépassement du disque précédent semble impossible et plus le résultat suivant est passionnant.
En cela, Merriweather... est un chef-d’œuvre à l’échelle d’un groupe qui évolue et progresse à chaque disque, et devant lequel l’ensemble des freaks de la planète peut s’extasier. Que faire maintenant ? Aux dernières nouvelles, le groupe souhaite réaliser un film d’animation au concept fumeux que l’on imagine délirant. Après ça, à moins de sortir un disque de new-wave-funk kazakh...
Contre (RabbitInYourHeadlights) :
Dérouté puis emballé par le tourneboulant Sung Tongs, bercé par l’harmonieux Feels, secoué par les pulsations sauvages du passionnant Strawberry Jam, on se prend pourtant déjà à douter qu’aucun de ces albums du collectif américain le plus (sur ?)côté des années 2000, à l’inverse de la folktronica lumineuse et atemporelle de Panda Bear en solo et en dépit de quelques moments de grâce et de classe inaltérables (cf. le tubesque Who Could Win A Rabbit sur Sung Tongs, plus que jamais sommet inégalé de leur discographie), vieillisse aussi bien dans sa globalité qu’on l’avait imaginé... et malheureusement ça n’est sûrement pas ce premier opus en trio qui nous fera espérer du contraire.
Soyons honnêtes, ce n’est pas la première fois que l’on est déçu, l’EP People avait déjà bien entaché en 2OO6 la capacité prétendument inépuisable du groupe (dixit la presse spécialisée, jamais avare de superlatifs) à innover sans tomber dans les travers laborieux du prog, un petit bémol mal construit dans une discographie jusque là assez exemplaire, dont la singularité forcée fut par bonheur vite compensée par Strawberry Jam puis l’an dernier par un Water Curses idéalement concis.
Mais cette fois, passées les premières écoutes déçues (comment ? Animal Collective nous refait Strawberry Jam en plus pop ?!) puis curieuses voire intéressées (tiens leur vision de la pop est ici nettement plus expérimentale que sur Feels, voyons donc où ces amalgames de sonorités parfois de prime abord sans queue ni tête peuvent bien nous mener...), il faut bien vite se rendre l’évidence : les incantations de notre bestiaire new-yorkais préféré passent bien souvent ici de la marque de fabrique au gimmick facile, frôlant régulièrement la redite, et leurs "inventions" pillent allègrement l’électro des années 90 (le ridicule Lion In A Coma allant même jusqu’à soutirer son Didjeridoo au grand Aphex Twin, il fallait oser) pour finalement tourner à vide.
Pour la première fois sur format long, la musique d’Animal Collective s’essouffle en moins de temps qu’il n’en avait fallu au groupe pour mettre en place sa savante campagne de teasing, brodant ici au long d’une ritournelle synth-pop se révélant bien convenue une fois débarrassée mentalement de ses atours clinquants (My Girls, aux beats et blips pompés comme ceux du pénible Also Frightened sur les débuts de Plaid que certains critiques peu avisés feraient bien de réviser d’urgence) ou là autour d’une mélodie vocale poussive répétée en boucle jusqu’à l’indigestion (l’insupportable Summertime Clothes avec son beat binaire doublé de handclapping), une trame sonore qui se voudrait visionnaire mais apparaît paradoxalement datée, débauche peu subtile peinant sans même parler de profondeur à retrouver ne serait-ce que la cohérence de l’album précédent - les transitions ambient permettant aux morceaux de s’enchainer sans temps mort n’auront, espérons-le, trompé personne au moins sur une première moitié de disque particulièrement décousue.
Par chance néanmoins, ou plus vraisemblablement par roublardise de construction puisqu’il fallait cacher une baisse d’inspiration d’autant plus flagrante que le groupe était plus que jamais attendu au tournant par les médias musicaux branchouillards du monde entier, Merriweather Post Pavilion se trouve articulé autour de ses quatre plus belles (et quasiment seules) réussites, de l’introductif In The Flowers avec sa mélodie troublante rapidement ensevelie sous le déluge d’un clavier de fête foraine et de percussions tribales bientôt changées comme par magie en beat techno, au Brothersport final qui sans égaler aux oreilles de certains le raz-de-marée sonique déployé par le groupe en live fait preuve d’un beau lyrisme rythmique en débutant comme une comptine d’Aphex Twin pour finalement renouer avec les grands moments de l’électro-pop de Björk période Post et atteindre des sommets sur un refrain laissé semble-t-il aux bons soins mélodiques du sus-nommé Panda Bear.
Quant aux deux autres, savamment positionnés en milieu d’album, il s’agit du gargantuesque Daily Routine, pas routinier pour un sou mais au contraire montagne russe labyrinthique aux contrastes de chaud et de froid saisissants qui se perd rapidement dans les limbes contemplatives et fascinantes de Brian Eno, et surtout du fervent Bluish, pop song superbe de nostalgie brumeuse qui prouve non sans étonner que le groupe est capable d’atteindre des sommets dans une apparente simplicité. De quoi regretter encore plus que le reste, mis à part peut-être l’honorable No More Runnin, soit au mieux anecdotique et un brin pataud (Guys Eyes, ou Taste tout juste sauvé du gouffre kitsch par un refrain touchant de candeur enfantine), au pire totalement raté (cf. plus haut).
Beaucoup de battage médiatique pour pas grand chose donc, mais Animal Collective ne sera malheureusement pas le premier groupe indé à chuter de son piédestal, lien de cause à effet ou pas on ne peut que supposer, sous le feu déstabilisant des projecteurs...
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