NaRROW TeRENCE - Violence With Benefits

Après un premier album autoproduit en 2007, Low Voice Conversation, une fructueuse collaboration avec Ez3kiel sur leur dernier enregistrement studio, Battlefield, et deux ans après leur second long qui marquait les contours de l’identité trouble de cet « étroit Terence », l’ensemble polymorphe venu de Rognes et mené par les frères Puaux revient avec un nouvel album mystique et intimiste.

1. Bottom Bitch
2. Carnival Piabone (Interlude)
3. Enki
4. Still Waiting
5. Liar
6. Carnival Violenspiel (Interlude)
7. Wet Dead Horses
8. Clay Musty Smell
9. Carnival Drulinarinbone
10. Dinner
11. Edgar A. Poe
12. Carnival Bastar (Interlude)
13. Ghost Meeting
14. Carnival (Main Theme)

date de sortie : 28-01-2013 Label : Modulor

À la suite d’une sombre histoire de coups portés dans les loges d’une salle de concert parisienne, Antoine et Nicolas Puaux avaient dû ouvrir une parenthèse au sein du projet Narrow Terence et écoper de quelques TIG dont ils ont su tirer profit. D’où le titre de ce nouvel opus, Violence With Benefits ou comment faire d’un chemin de croix le médium d’une inspiration renouvelée de laquelle devra jaillir le fruit mûr et raffiné de la repentance. Sur le fond turquoise de la pochette se détache le visage abîmé d’un Saint Charles Borromée qui, de son œil encore valide, pose un regard indulgent sur celui qui a commis la faute, priant pour qu’il retrouve le chemin de la vertu. Lui qui réforma l’Église et la musique sacrée, au profit d’une discipline accrue et d’une polyphonie chorale qui devait mettre en avant le sens des textes par un accord judicieux avec la mélodie, se trouve être aujourd’hui la figure de proue ironique d’un album païen.


Un album païen certes, mais toutefois fortement influencé par le religieux. D’une part, en raison des conditions évoquées plus haut dans lesquelles il a été créé, qui déterminèrent sa thématique et, d’autre part, parce que c’est en une chapelle baroque qu’il fut immortalisé. Enregistré live et en moins de 48h, ce disque est d’une ampleur majestueuse et d’une authenticité touchante. Beaucoup moins métal que son prédécesseur, il relève néanmoins d’un même esprit de composition, celui d’un songwriting sophistiqué et orchestral où l’expressivité de l’instrumentarium répond au chant rocailleux d’un mystérieux personnage. Il fait d’ailleurs un écho acoustique à Narco Corridos en la présence d’une réinterprétation de Wet Dead Horses, dépouillée de ses guitares saturées et de ses voix hurlées pour laisser place à un hymne épique et harmonieux à la dimension narrative exaltée.



La musique de Narrow Terence s’apparente souvent à la Bande Originale d’un film imaginaire, à l’exemple de l’ouverture cinématographique de ce nouvel album, Bottom Bitch, où les glissandos des violons et les écarts de notes d’un piano sibyllin projettent l’image d’une entrée angoissante dans un manoir hanté. L’influence de Mike Patton se fait rapidement sentir. On retrouve l’originalité de son écriture qui se prête à tous les styles tout en conservant, à chacune de ses mutations, sa personnalité aisément identifiable. De la même façon, les Rognens savent faire évoluer en divers terrains et sur différents registres la substance caractéristique de leur individualité, que le personnage auquel ils donnèrent le nom de Narrow Terence incarne.



Avec Enki, l’orchestre se tourne vers une folk des grands espaces. Des plaines sableuses se dessinent, un cow-boy solitaire emprunte le chemin d’un voyage sans destination. C’est la figure mythique du justicier mélancolique, toujours en errance. Les voix des deux frères alternent puis se complètent. La première, celle de Nicolas, est fine, aiguë, fragile, la seconde, celle d’Antoine, est grave, rugueuse et son chant, le plus présent des deux, lorgne ouvertement sur le blues ténébreux de Tom Waits. Il rappelle sans les imiter son phrasé et ses mélodies évidentes. Still Waiting, qui vient ensuite, est une chanson à la structure simple mais à la beauté mélancolique irrésistible. Avec elle, l’album atteint un sommet de splendeur que la suite fera redescendre sur une pente douce jusqu’aux derniers morceaux, plus anecdotiques, où, sans être trop pesant, l’ennui gagne doucement l’auditeur.



Comme Narco Corridos, Violence With Benefits paraît un peu trop long. Il dure pourtant à peine 50 minutes... c’est sans doute son homogénéité qui étire dans le temps sa conclusion. Cependant, cela n’amenuise pas la grâce ineffable de ses sombres chansons qui ne tarderont pas à constituer aux oreilles de nombreux amateurs un temps fort dans les productions françaises de ce début d’année. On pourra d’ailleurs bientôt croiser le cabaret gothique sur les routes de l’hexagone, notamment dans la fameuse chapelle (Apt (13), le 18/04) où ils ont créé leur dernière œuvre. Un moment qui risque fort de marquer les âmes des pèlerins qui auront eu la chance de s’y réunir.

Chroniques - 13.03.2013 par Le Crapaud